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Voyage au pays de la quatrième dimension/Les bactéries géantes

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Bibliothèque-Charpentier (p. 211-215).

XXXIII

LES BACTÉRIES GÉANTES

Le début de la seconde période scientifique fut marqué par l’établissement du pouvoir définitif des Douze Savants absolus.

Depuis longtemps on comprenait bien, dans toutes les régions de l’Europe africaine et de l’Atlantide, que quelque chose d’extraordinaire se préparait au Grand Laboratoire Central, mais on manquait sur ce point de précisions.

Par ses instructions fréquentes, par les mesures qu’il ordonnait dans le monde industriel, on s’imaginait que le Grand Laboratoire Central s’intéressait au bien-être général de l’humanité. On s’étonnait, toutefois, de voir ses communications se faire de plus en plus rares avec le monde extérieur et l’on constatait que le vaste palais se transformait, chaque jour davantage, en une sorte de forteresse inaccessible. Les abords en étaient interdits jusqu’à deux degrés, et personne, au surplus, n’eût osé s’aventurer dans cette zone dangereuse.

Rien, à vrai dire, dans la vaste plaine, ne décelait la présence de fortifications quelconques, mais on savait que des terrains asphyxiants, que des cordons radiants, capables de réduire en poussière l’acier le plus dur, protégeaient suffisamment les abords du Laboratoire sur la terre et dans le ciel. On comprenait que cette retraite et cet isolement magnifiques étaient indispensables pour mener à bien des recherches scientifiques et, tout d’abord, on ne s’étonna point outre mesure de ces travaux de défense formidables.

L’inquiétude devint grande cependant le jour où le bruit se répandit avec la rapidité de la lumière, que l’on venait de verser dans les canalisations d’eau potable et dans les fleuves équatoriaux des tonnes de bouillons de culture venant, à n’en point douter, du Grand Laboratoire Central.

Sans doute, connaissait-on bien la plupart des moyens à employer pour détruire les dangereux microbes ou pour s’en protéger, mais encore n’avait-on point les sérums nécessaires en assez grande quantité pour se protéger contre le flot montant de l’invisible ennemi.

La stupéfaction, la consternation, puis enfin la terreur, s’emparèrent de tous les esprits lorsque l’on apprit que le Grand Laboratoire Central refusait de répondre à tous les radiogrammes et qu’il ne consentait, sous aucun prétexte, à s’occuper des effroyables épidémies qui se préparaient.

Nul doute : le Grand Laboratoire Central suivait un plan inconnu, terrifiant, et l’on ne pouvait plus compter sur son assistance. Cependant de rapides analyses permirent de constater que les maladies les plus effroyables étaient représentées dans toutes les canalisations : le typhus, le choléra, la peste, la fièvre jaune, la rage, le tétanos, autant de maladies oubliées depuis longtemps, en raison des mesures énergiques que l’on avait prises pour s’en défendre et qui accouraient en foule, prêtes à s’introduire directement dans l’organisme humain, avec une virulence qui déroutait toutes les méthodes communément employées.

Les bactéries du Grand Laboratoire Central n’étaient pas, en effet, des microbes comme les autres : elles avaient été spécialement élevées dans des conditions particulièrement favorables ; on ne pouvait les comparer aux humbles bacilles se développant dans le corps, combattus chaque jour par l’organisme, noyés par le nombre de leurs ennemis, affaiblis puis éliminés.

L’affolement général aurait eu les plus graves conséquences si l’heureuse intervention d’un savant japonais qui se trouvait là, n’eût détourne brusquement le danger de la plus élégante façon.

Loin de chercher à détruire les microbes, ce médecin avait eu l’heureuse idée de poursuivre, à leur sujet, des recherches sur les origines et les causes réelles du gigantisme. Grâce à ses découvertes, on connaissait, depuis quelque temps déjà, la façon d’accroître d’une façon curieuse la taille de ces organismes primitifs que l’on appelait jadis des microbes et de leur donner un développement tel qu’on pût les observer à l’œil nu. Cette découverte n’avait tout d’abord pour objet que de faciliter les études médicales ; elle sauva, à ce moment-là, toute une partie de l’humanité.

Grâce aux tonnes de la nourriture spéciale que l’on fabriqua en quelques jours, les dangereux bacilles en circulation grandirent lentement, devinrent visibles à l’œil nu et, par là même, furent désormais tout à fait incapables de s’introduire dans l’organisme humain.

Le seul côté amusant de cette aventure fut l’excès dans lequel on tomba dans la fabrication du précieux produit. On avait une telle peur de cet invisible ennemi, une telle foi dans le salut qu’offrait le nouvel aliment, que l’on en fabriqua d’une façon exagérée et qu’à force d’en inonder toutes les canalisations, on se trouva bientôt en présence de microbes ayant la taille de petits animaux domestiques.

Et ce fut un spectacle infiniment répugnant que de voir s’amonceler dans les rues, puis balayer vers les rivières, des entassements de longs serpents argentés, de crabes immondes, d’épongés visqueuses et de hérissons innommables, représentant les terribles bacilles de la veille et qui sécrétaient de hideux poisons. On en garda quelques-uns par curiosité ; on en fit empailler d’autres, en souvenir du terrible danger que l’on avait couru ; mais ces distractions d’un instant firent bientôt place à de nouvelles inquiétudes.