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Voyage sentimental/19

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Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 67-68).


NAMPONT.
Le Postillon.


Cette histoire m’affecta. Le postillon n’y prit pas garde, et il m’entraîna sur le pavé au grand galop.

Le voyageur qui brûle de soif dans les déserts sablonneux de l’Arabie, n’aspire pas plus vivement au bonheur de trouver une source, que mon ame aspiroit après des mouvemens tranquilles. J’aurois souhaité que le postillon eût parti moins vite ; mais au moment que le bon pèlerin achevoit son histoire, il donna de si grands coups de fouet à ses chevaux, qu’ils partirent comme si mille diables étoient à leurs trousses.

Pour l’amour de Dieu, lui criais-je, allez plus doucement : mais plus je criais, plus il excitoit ses chevaux. Que le diable t’emporte donc ! lui dis je. Vous verrez qu’il continuera d’aller vîte jusqu’à ce qu’il me mette en colère… ensuite il ira doucement afin de me faire goûter les douceurs de cet état.

Il n’y manqua pas. Il arriva à une hauteur, et fut obligé d’aller pas à pas… Je m’étois fâché contre lui… Je m’étois fâché ensuite contre moi-même pour m’être mis en colère…

Un bon galop dans ce moment m’auroit fait du bien….

Allons un peu plus vîte, je t’en prie, mon bon garçon, lui-dis-je…

Mais le postillon me montra la montagne… Je voulois alors me rappeler l’histoire du pauvre allemand et de son âne ; mais j’en avois perdu le fil, et il me fut aussi impossible de le retrouver, qu’au postillon d’aller le trot.

Hé bien, que tout aille à l’aventure ; je me sens disposé à faire de mon mieux, et tout va de travers.

La nature dans ses trésors a toujours des lénitifs pour adoucir nos maux. Je m’endormis, et ne me réveillai qu’au mot d’Amiens qui frappa mon oreille.

Oh ! oh ! dis-je en me frottant les yeux… c’est ici que ma belle dame doit venir.