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Wikisource:Extraits/2012/17

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Georges Palante, Nostalgie et Futurisme

Revue philosophique de la France et de l'étranger
(avril 1916)




Nostalgie et Futurisme


Parmi les modes de notre sensibilité, il en est un qui se définit en fonction de la loi du Temps et qui se rapporte aux rythmes essentiels de notre vie.

Il présente deux formes déterminées par la double direction selon laquelle s’oriente le regard humain. Dans ce style imagé qui est un des charmes de sa vivante psychologie, William James indique ces deux perspectives : l’une en arrière l’autre en avant ; l’une a parte ante, l’autre a parte post. « Le moment présent, dit-il, est comme une sorte de pont en dos d’âne jeté sur le temps et du haut duquel notre regard peut à volonté descendre vers l’avenir ou vers le passé[1]. » De la même façon, dans le roman de Wells[2], l’Explorateur du Temps, assis sur le siège de son fantastique appareil peut à volonté faire machine en avant et machine en arrière. — Selon cette double perspective s’institue une double psychologie : psychologie régressive, ou rétrospective ou récurrente ou nostalgique ou passéiste ; et psychologie progressive, anticipatrice, futuriste. La première se compose de tous les états d’âme qui, dans la pensée comme dans le sentiment, dans le bien comme dans le mal, dans la joie comme dans la tristesse, dans l’amour comme dans la haine, nous reportent en arrière, sur la ligne déjà parcourue, ceux qui évoquent les visions d’antan, les êtres disparus, les rêves évanouis, les passions assoupies, la journée écoulée, l’aube abolie. — La seconde comprend tous les états d’âme qui nous portent en avant, qui projettent la vie vers l’avenir, qui nous font saluer les aubes naissantes, les lendemains inconnus : espoir, pressentiment, impatience de l’avenir, ardeur de curiosité et d’audace, élan vers la vie, vers les promesses de bonheur ou de danger ; anticipation des âges prochains ou lointains, des futuritions sombres ou lumineuses, menaçantes ou consolatrices, de l’individu, de la race, de l’espèce ; hâte de vivre, de saisir l’instant qui fuit ; et aussi besoin de ne plus se souvenir, rupture avec le passé, joie de s’abstraire du passé, joie du reniement du passé, amour du nouveau, de l’imprévu, de l’inédit ; apothéose de la vitesse, du devenir, de la mobilité, de la métamorphose ; insouciance futuriste, hymne à l’oubli libérateur.

À cette dualité psychologique correspondent


  1. W. James, Précis de Psychologie, p. 386.
  2. Wells, La machine à explorer le temps.