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Wikisource:Extraits/2012/28

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Frédéric Monneron, Les Alpes (1852)

 

L’horizon change et la vérité reste.
(LES DEUX VOIX. Le poète.)






Prologue.

Au ciel te souviens-tu, mon aïeule chérie,
De ce soir automnal de paix, de rêverie,
Où près du Livre d’or de Celui que tu sers,
Assise à ton rouet, tu me disais tes vers ?
Ta voix tremblante et douce, arrivant à mon âme,
Y rallumait soudain une céleste flamme,
Et penché sur le bras d’un fauteuil de douleurs,
Dans ma honte d’enfant dissimulant mes pleurs,
J’écoutais, attentif, ta charmante élégie.
Oui, mon âme ignorante en comprit la magie.
Dès lors j’eus une lyre, et le premier accord
Qu’en a tiré ma main fut pour pleurer ta mort...
Mais aussi j’ai voilé la Muse qui m’inspire,
Car nul autre, après toi, n’encouragea ma lyre.
Accepte donc ces chants intimes, sérieux,
Et s’ils restent dans l'ombre épure-les aux cieux !


I. Un voyageur.

Où va le soucieux poète,
Les yeux éteints, le front pensif ?
D’un pas chancelant et tardif,
Il s’éloigne en baissant la tête.

Puis, par degrés se ranimant,
Il vole, et monte en ce moment
Le rude sentier qui serpente
Parmi la mousse et les débris,
Dans les prés mouillés et fleuris
Qu’ombragent les bois sur la pente.

Plus haut encore il disparaît
Sous les voûtes de la forêt,
Et ses pieds, plus légers encore,
Parmi les rocs qu’il faut gravir,
Sous leur acier font rejaillir
Le feu dans cette nuit sonore.