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Wikisource:Extraits/2019/8

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Auguste Achintre, Joseph-Alexandre Crevier, L'Île Ste Hélène, passé, présent et avenir. Le Présent 1876


LE PRÉSENT.


Nos connaissances historiques concernant l’île Ste. Hélène remontent à quelques années, et tiennent à une rencontre singulière que nous fîmes sur ses rives.

C’était en plein mois de janvier, un dimanche, et par une de ces magnifiques journées d’hiver où, dans le ciel d’un bleu tendre, brille un clair soleil. L’air froid, sec et vif cinglait les visages comme une volée de menu grésil, et les colorait de ces tons frais et roses qui donnent aux promeneurs en cette saison, un air de santé robuste, et particulièrement au teint des femmes une blancheur et un éclat si appétissants, qu’on serait tenté de mordre à leurs joues comme à la chair ferme et luisante d’une pomme.

Sur les chemins balisés qui, de Montréal rayonnent vers les villages de la rive droite du Saint-Laurent, les sleighs aux robes traînantes glissaient rapides et légers au milieu d’une foule de piétons et de nombreux patineurs, enveloppés de fourrures ou d’épais pardessus de drap ; la neige couvrant les campagnes avait les scintillement d’une poussière de cristal, et les énormes glaçons du fleuve, soudés ensemble, laissaient éclater à leur surface les reflets bleuâtres de leur profondeur, comme s’ils avaient emprisonné un pan d’azur dans leurs arêtes prismatiques, ou laissé filtrer à travers leur transparence la lumière d’un ciel submergé.

Signe incontestable d’une température sibérienne, deux jets intermittents de vapeur floconneuse s’échappaient des voies respiratoires des hommes et des chevaux, dont les mouvements et la marche semblent, par ces froids aigus, obéir aux effets d’un engin placé dans l’intérieur.

Profitant de la beauté de cette après-midi et de la solidité du pont de glace, lequel, durant trois mois d’ordinaire, relie l’une à l’autre les deux rives du fleuve, votre serviteur, accompagné de deux amis, arriva après une course à l’allure du jour, c’est-à-dire au pas accéléré, à l’extrémité méridionale de l’isle Ste. Hélène.

À cette époque, l’autorité militaire gardait avec un soin jaloux les abords de ce domaine mystérieux, et l’hiver était le seul moment propice pour qui voulait fouler ce sol, gardé non par des hydres mais par de simples fusilliers anglais, qui montaient leur faction à l’autre bout de l’île.

Nul sentier, nulle habitation, pas d’abri ; des monceaux de neige où l’on enfonce jusqu’à mi-jambe, telle est, en hiver, la physionomie de ces lieux ; et n’étaient les rayonnements du givre se renvoyant de branche en branche les étincelles dérobées au soleil, le croassement d’un corbeau perché à la plus haute cime d’un arbre, on se croirait sur un écueil.

Nous nous disposions au retour, lorsque sur le bord de l’île, un étranger, qui depuis un instant paraissait écouter notre conversation, nous salua poliment et s’avança en souriant vers notre groupe.

— Ah ! messieurs, vous êtes Français ?

— Français de France, comme on dit ici.

— Moi, pareillement. Arrivé d’hier.

Nous examinâmes alors notre interlocuteur. C’était un vieillard à cheveux gris, au dos légèrement voûté, mais d’apparence robuste, à la voix ferme, à l’œil vif, et paraissant encore très-vert.

Ah ! messieurs, on me l’avait bien dit, reprit-il, qu’on l’avait emmené bien loin, bien loin, dans un pays chaud, si chaud que les œuf cuisent au soleil ; mais je n’ai jamais gobé ça. Comment un homme qui avait vécu toute sa vie dans le feu, pouvait-il craindre la chaleur ? Mais, ici, par ce froid-là ! Je comprends tout. Ah ! les brigands ! Je ne m’étonne plus qu’il soit mort !

Puis devenant plus calme et d’une voix radoucie : seriez-vous assez bon, ajouta-t-il, de me dire de quel côté se trouve le monument ?

— Nous nous regardions stupéfaits. Quel monument mon brave ?

— Celui du vieux, parbleu !

Et comme nous hésitions à répondre…

— Ne sommes nous pas à l’île Ste. Hélène ?

— Parfaitement.

— Et bien ! Je vous demande à quel endroit se trouve le tombeau de l’empereur ?

La foudre tombant à nos pieds ne nous aurait pas frappé d’un étonnement égal à celui que nous éprouvâmes.

Nous essayâmes en vain de lui expliquer que l’île dont il parlait était située dans l’océan, sur la côte d’Afrique, ce fut peine perdue. Le vieillard soupçonneux nous quitta brusquement ; et, tandis qu’il choisissait les traces de nos pas afin de marcher plus à l’aise, nous l’entendîmes