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Zirska, immigrante inconnue/03

La bibliothèque libre.
Éditions Serge Brousseau (p. 15-38).


CHAPITRE III

L’ABBÉ PAQUIN


L’abbé Paquin, aumônier du port et des immigrants, était un polyglotte bien connu. Toutes les langues du centre de l’Europe lui étaient familières, y compris le russe. C’était cet excellent prêtre qui servait d’interprète aux nouveaux venus.

Il était grand ami du jeune reporter de « La Vérité ». À maintes reprises déjà il lui avait communiqué des renseignements sur l’arrivée de certains révolutionnaires dans les rangs des immigrants, venant s’établir dans les terres de l’Ouest. Le cas était très commun.

Grand de taille, maigre, il ressemblait au type anglais, avec plus de vivacité et d’enthousiasme. L’excellent prêtre aimait Jean Delande dont il connaissait le bon cœur et la bonne volonté. Souvent les immigrants avaient été le sujet de leurs conversations. Puis, lorsque l’abbé avait quelque « Scoop »[1] à fournir, son jeune ami en était favorisé.

En ce moment, le vieux prêtre décrivait au jeune reporter des communistes qu’on lui avait fait remarquer et qui arrivaient à bord du « Scotland ». De l’aumônier, il obtint tous les détails nécessaires pour les retrouver. La tâche n’était pas des plus intéressantes, pas plus qu’elle n’était simple. On sait que ces habiles chefs de file ont tous les trucs possibles. À l’occasion, ils peuvent devenir ou prendre figure de parfaits citoyens tout à fait respectables. Et, en l’occurrence, il faut bien s’imaginer que toutes les précautions étaient prises pour communiquer clandestinement avec les agents de la ville de Québec, sans attirer l’attention des autorités.

Depuis quelques semaines, le jeune reporter avait l’impression d’être surveillé. Il ignorait par qui, mais il l’était à n’en pas douter.

Quelques jours auparavant, « La Vérité », sous la signature de Delande, avait publié une déclaration sensationnelle de l’abbé Paquin, sur les activités subversives des agents de Moscou, à Québec. Cette déclaration semblait avoir touché son but, car parmi les débardeurs, (il y avait des communistes, là comme ailleurs), il se sentait surveillé. Le jeune homme connaissait tous ces travailleurs du port et depuis quelque temps, on semblait le fuir. Que se passait-il ?… Il se le demandait. De plus l’abbé Paquin avait reçu des lettres anonymes, relatives aux nouvelles qu’il communiquait au jeune reporter de « La Vérité ». On n’ignorait pas que le jeune journaliste était son confident. C’est sur lui qu’il comptait pour la diffusion de ses avertissements aux autorités.

À l’aide de longues manchettes, ces nouvelles éveillaient l’attention des autorités du port et voilà ce que ne voulaient pas les sbires moscovites. L’abbé Paquin obtenait des renseignements de la part des immigrants étrangers eux-mémes. Il les interprétait si bien qu’il obtenait d’eux de précieuses informations.

Les immigrants étaient sollicités par les communistes pour les inviter à rejoindre certains clubs, et, souvent, l’aumônier surprenait ces révolutionnaires par les discours des Européens disposés d’ailleurs à tout dire. En dépit des promesses ou des menaces des intéressés, plusieurs n’hésitaient pas à tout révéler. On s’imagine bien que les agents moscovites, à la solde des soviets, prenaient toutes les précautions requises pour éviter toute question embarrassante, tout incident, pouvant mettre en lumière leur nom ou toutes les adresses des intelligences qu’ils possédaient à leur arrivée, dans le port de Québec. Ce sont ces agents qui rendaient la tâche difficile. Malgré la surveillance des officiers de l’immigration et leur zèle de tous les instants, ces habiles informateurs trouvaient presque toujours possibilité de communiquer avec les arrivants. Quelquefois c’était à l’aide d’un miroir qui renvoyait les éclats du soleil dans la grande salle du haut où, à l’aide du « Morse », ils se comprenaient ; d’autres fois, à l’aide de mégots de cigarettes, enfin rien n’était négligé.

L’abbé Paquin ne se préoccupa aucunement, il va sans dire, des avertissements ou des menaces des communistes. Il confiait même à Jean Delande qu’il allait redoubler de zèle. Cela fit bien l’affaire du petit reporter qui voyait déjà de beaux articles inédits dont il aurait la primeur.

En plus du travail de reportage dont Jean était accablé à l’arrivée de chaque transatlantique, il ne négligeait pas son ami, l’aumônier, dont les nouvelles étaient d’autant plus intéressantes que son talent de polyglotte lui donnait avantage sur tous. Il faut avoir vécu la vie d’un rédacteur maritime, à cette époque, pour connaître sérieusement ce que signifie, pour un pays comme le nôtre, un plan d’immigration à haute pression comme le Canada en a vu aux environs de 1925, 1926 à 1929.

Notre pays a dépensé des sommes folles pour introduire ici des milliers de Slovaques, de Russes, de Ruthènes, d’Écossais, d’Irlandais, de Polonais, d’Anglais en nombre restreint, et de Grecs. Ajoutons à cela quelques bateaux d’immigrants juifs, et à quelques exceptions près, nous avons là les principales races les plus représentées dans cet exode d’Européens attirés au pays par une propagande habile à certains aspects, mais entièrement fausse et très pernicieuse. Le reporter connaissait toutes ces choses, et aussi le fiasco obtenu par cette propagande. Les quelques bateaux juifs, ayant quelques milliers d’Israélites à leur bord, n’ont donné au pays aucun agriculteur, on le conçoit. Un essai qui avait révolté Jean et son ami, l’abbé Paquin, fut cette tentative faite à coups de milliers de dollars pour établir sur les terres de l’Ouest quinze mille mineurs anglais, ne possédant aucune préparation, ignorant les particularités du pays, et étant aussi inaptes à la culture du blé que les journalistes à la plomberie. Sur ces quinze mille pseudo-immigrants, nous nous demandons si cent sont demeurés dans les plaines de l’Ouest… Qui blâmer en cela ? les mineurs anglais ? Aucunement… Le gouvernement ?… Peut-être ! Mais, selon notre humble version, les compagnies de transport furent certainement les plus coupables. Ces compagnies intéressées au transport avaient coopéré ou même avaient d’elles-mêmes chauffé à blanc une publicité intense sur les possibilités du Canada, sa richesse et la facilité d’y vivre. Combien d’Européens en sont revenus de cette publicité mensongère ! On avait décrit le Canada comme un pays de Cocagne, où l’or se trouvait à plein champ et où les agriculteurs étaient tous des Gentlemen farmer.

Les compagnies de transport, à tant la tête, étaient plus intéressées à la quantité qu’à la qualité. Aussi Delande et M. l’abbé Paquin, qui voyaient arriver les sujets, étaient-ils scandalisés en présence des « spécimens » qu’ils voyaient s’établir au pays, aux frais du Canada. Mais cette tentative aux dépens des mineurs anglais fut certainement, si l’affaire eut été connue et dévoilée, le fiasco-record du département de l’immigration. Jean Delande se demandait si le but des supporteurs de cette loi était de noyer l’élément français dans un méli-mélo de races mieux préparées à apprendre l’anglais que le français. Heureusement pour elle, la province de Québec n’a récolté aucun de ces sujets et si on a réussi à établir quelques milliers d’immigrants dans l’Ouest, on peut dire que la majorité des déplacés d’Europe au Canada est retournée à son point de départ, a grossi le nombre des chômeurs des villes ou est maintenant établie aux États-Unis.

Le jeune reporter en était là dans ses pensées lorsqu’il se souvint des recommandations de l’aumônier et de l’arrivée du « Scotland ». Il décida alors qu’il devait négliger ses reportages s’il voulait obtenir le succès et reconnaître ses révolutionnaires.

Comment démasquer trois ou quatre types, presque tous affublés de la même façon, au milieu de cette foule parlant toutes les langues du centre de l’Europe et dont Jean ignorait le premier mot ?

— Tout de même, se dit-il, allons-y… On ne sait jamais… la chance peut me sourire.

En filant ceux qu’il appelait « intelligences de l’intérieur » (il les connaissait bien), il parvenait souvent à trouver, à repérer ses espions. Delande avait bien l’intention de ne pas manquer son truc.

Dans ces agents révolutionnaires, il y a les « leaders » toujours faciles à connaître. Par ailleurs, il y a aussi les subalternes, les sans-gloire, ceux dont le rôle consiste à seconder les gradés ; voilà les plus habiles, les plus difficiles à tromper. Ce sont ces gens de toutes les besognes qui guident d’habitude les arrivants. En général, Jean les connaissait, mais lorsqu’il s’agissait d’une arrivée importante, on se servait de nouveaux, alors la tâche devenait plus compliquée. Ces nouveaux stylés trouvaient toujours le moyen de faire circuler de fausses rumeurs qui conduisaient invariablement les enquêteurs dans les pommes. Les éviter était la tâche du reporter, mais bien souvent il se retrouva dans le No man’s land, ayant suivi une piste montée de toute pièce par ces fins renards. Avec une facilité parfois presque comique, ils parvenaient à passer des « Québec » au jeune homme dont la déconvenue n’était pas toujours à son honneur. « Il fallait s’y attendre, se disait-il. Je suis le dindon de la farce ». Depuis qu’il se sentait surveillé, il avait l’impression d’être moins efficace. Les communistes devenaient de plus en plus prudents, et Delande commençait à trouver la tâche de plus en plus difficile à résoudre.

Il était dix heures et trente minutes lorsque l’Empress of Scotland entra dans le port de Québec. Petit à petit les remorqueurs soufflant et peinant approchaient le majestueux transatlantique vers le quai No 14. Quelques minutes plus tard, on lançait les câbles, et la passerelle fut abaissée en face de la grande porte centrale du quai.

Aussitôt, les officiers en charge montèrent à bord, et après les formalités coutumières, les journalistes obtinrent la permission de monter. Au premier signal de l’officier chargé de contrôler les « passes » des journalistes, tous les représentants de la presse, à Québec comme à Montréal, montèrent la passerelle au pas de course pour atteindre le transatlantique. Jean suivit ses confrères au bureau du « purser » [2] pour obtenir, comme les autres, la liste des passagers. Pour les voyageurs de marque, ceux dont la venue au Canada est annoncée de Londres ou de Paris ou même d’ailleurs, le reporter ne se met pas martel en tête. Il sait très bien que tous les journaux auront demain, ou ce soir, dans leurs pages, « l’interview » accordé à tous les journalistes par ces personnages. En plus de cette nouvelle, les journalistes tentent d’obtenir des exclusivités. Parfois c’est un confrère qui a eu la veine de rencontrer un passager de marque et d’obtenir de lui un mot, un commentaire que son voisin aura manqué. Il y a aussi certains excursionnistes se déplaçant sous des noms d’emprunt et susceptibles de fournir aux journalistes, des informations intéressantes. Encore, dans la première, la classe touriste, le reporter trouve-t-il parfois des passagers des plus intéressants. Ce matin-là, Delande savait qu’un important chef ouvrier anglais retenait l’attention de tous les confrères. Les reporters rencontrèrent le distingué visiteur et obtinrent tous à peu près la même chose. Il savait aussi que ses confrères ne se contenteraient pas de cette seule nouvelle, pas plus que lui-même d’ailleurs. Tous ces journalistes ont la même pensée : « obtenir un « scoop ». À la suite de « l’interview » avec le passager anglais, plusieurs reporters se rendirent saluer le capitaine. Ce dernier donna des détails de la traversée, et après une bonne poignée de main, les reporters coururent aux nouvelles. C’est souvent dans la classe touriste que Jean avait trouvé des primeurs, même si parfois dans la troisième, il avait obtenu des nouvelles d’un intérêt remarquable. Dans cette dernière classe, il est possible de trouver de tout : de l’humble fermier slovaque au grand seigneur russe ruiné.

Un jour, Jean fut fort étonné de rencontrer parmi les immigrants un jeune homme à l’allure distinguée, portant monocle et pouvant causer facilement, en français, en anglais, en russe et en plusieurs langues du centre de l’Europe. Ce personnage déclara à Jean être un fils de grande famille ruinée, comme des centaines d’autres d’ailleurs. Il allait tenter fortune au pays de l’Ouest. Le jeune reporter tenta d’ouvrir les yeux à cet ex-aristocrate qu’il imaginait mal à cultiver la terre dans les prairies canadiennes. Cependant, ce jeune pseudo-colon ne semblait pas partager l’opinion du jeune reporter québécois. Aussi Delande ne fut-il pas étonné lorsque, deux mois plus tard, il revit son aspirant colon, vêtu d’une toilette de fort bon goût, et retournant en France. Un de ses parents lui avait laissé, paraît-il, une jolie petite fortune. Jean le félicita et lui demanda si le pays était bien ce qu’il avait cru d’abord.

— C’est un pays aux grandes possibilités, affirma-t-il ; mais vraiment, pour être colon, j’ai vite compris qu’il me manquait à peu près tout.

— Et comment ! affirma Jean Delande.

Le jeune Russe n’était pas le seul à reconnaître la fausseté des représentations et de la publicité faites, en Europe, sur le Canada. Si ce précédent était tout à fait hors de l’ordinaire, Jean se demandait tout de même pourquoi personne n’avait ouvert les yeux à ce jeune homme distingué avant que lui-même le fasse. Non, on était à tant la tête. Tête d’arîstocrate, tête de paysan ou même tête folle, tout était bon.

Ces compagnies de transport bénéficiaient des largesses du gouvernement canadien. Comme nous l’avons déjà dit, elles avaient décrit le Canada comme le pays le plus riche au monde, ce qui est vrai dans un tout autre sens, et comme l’endroit où la vie est le plus facile, ce qui est totalement faux. Ce n’est pas une vie de plaisir ni d’agrément que l’on offrait à ces immigrants lorsqu’on leur proposait de peupler et de coloniser les grandes prairies de l’Ouest. Si les sacrifices et les conditions réelles eussent été expliqués aux nouveaux venus, un grand nombre d’aventuriers ne seraient jamais venus faire un voyage inutile dans un pays où, comme ailleurs, il faut travailler pour vivre. Un grand nombre, la majorité même, n’étaient pas disposés à s’adapter aux particularités du pays, pas plus qu’ils ne désiraient travailler ferme comme c’est le cas, du moins pour un colon qui veut réussir dans les grandes plaines du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta.

L’immigration que nous avons expérimentée, nous a amené des colons qui n’auraient jamais dû franchir les limites du pays qu’ils habitaient.

Les compagnies de transport tentaient de faire croire qu’elles choisissaient les aspirants mais elles étaient de connivence certaine avec les chefs de bureaux que le gouvernement avait ouverts à cet effet. Le contrôle n’était pas sévère… s’il y en avait !… Jean Delande, qui voyait arriver de près les nouveaux venus, avait l’occasion facile de se rendre compte de la qualité des immigrants. En causant avec l’aumônier, il admettait que parfois il survenait des propositions vraiment avantageuses, mais le pourcentage était tout à fait hors de proportion.

Le Canada a dépensé des sommes folles pour peupler ses grandes prairies et nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que plus de 50% de ces immigrants sont retournés dans les vieux pays, ou chôment à Montréal, à Toronto et ailleurs.

L’abbé Paquin a souvent porté plainte auprès des autorités pour signaler l’arrivée regrettable de certains indésirables.

Par un beau matin ensoleillé, on vit arriver un jour plusieurs groupes de jeunes filles du centre de l’Europe. « Que viennent faire ces Européennes ? », se demanda le bon abbé. Après les avoir entretenues, l’aumônier dit à son ami Delande : « Elles ont l’intention de servir comme domestiques au pays ». Le jeune reporter confia à M. Paquin qu’il n’acceptait pas cette prétention. À son avis, les lupanars des grandes villes allaient profiter beaucoup plus de ces arrivages que tout autre métier. Et ce beau pays, le Canada, ce riche pays qui assurait une vie confortable à ses habitants et aux immigrants qui venaient s’y établir, ne leur offrait qu’un travail rémunéré au mérite… pourtant on leur avait dit, on leur avait promis beaucoup mieux que cela.

Delande estimait que cette loi d’immigration n’obtenait que ce qu’elle méritait : des immigrants inaptes et plusieurs inacceptables. De plus, elle était très onéreuse. Oh ! ces politiciens ignares qui veulent revenir à cette monumentale erreur… comme ils devraient se renseigner et apprendre ce qui est survenu en réalité dans le passé… comme, par exemple, la farce des quinze mille mineurs anglais !

Un jour, dans la chambre de l’abbé Paquin, Delande remarqua quatre jeunes gens qui étudiaient la carte géographique et à qui l’on entendait chuchoter… Boston, Philadelphie, New York.

— Comprenez-vous le désir de ces jeunes, Delande ? dit l’aumônier.

— Pas précisément, mais je m’en doute fort.

— Regarde, ils étudient la carte… ils ne sont pas plus intéressés à l’Ouest canadien, que moi à Calcutta. C’est aux États-Unis qu’ils veulent se rendre. Quoi y faire… ? De la boxe tout simplement.

— C’est absolument ce que je pensais, dit le jeune reporter.

Ces jeunes gens avaient sans aucun doute entendu parler de la possibilité de faire fortune en Amérique par le sport. Les exploits de certains champions leur avaient été racontés… Et voilà des passagers pseudo-fermiers devant s’établir dans nos plaines, perdus pour le Canada comme le prix de leur voyage. Et ces histoires se répétaient chaque jour. Les intéressés qui liront ces lignes peuvent contester partiellement nos prétentions, mais dans l’ensemble elles expriment de grosses et d’importantes vérités.

Il faut, comme ce Delande, avoir vu les immigrants d’alors pour se faire une idée de la récolte que faisait le Canada. Parmi les arrivants, nous en avons rencontré dont l’intelligence ne dépassait pas celle d’un enfant de dix ans.

Jean ne se faisait pas illusion lorsqu’il voyait survenir un bateau juif. Les journalistes, d’ailleurs, ne se souciaient pas d’interviewer ces youpins dont la propreté était fort douteuse. De loin, le jeune reporter regardait ces pseudo-immigrants adeptes du bedit gommerce. Il aurait été superflu de prétendre que ces Juifs se sont installés dans les plaines de l’Ouest. Personne, d’ailleurs, n’aurait cru Jean Delande s’il avait soutenu que ces Juifs deviendraient fermiers au Canada. Pourtant on payait leur passage à cette condition. On passait sous silence ces arrivages plutôt indésirables.

Lorsque M. Paquin avait quelques instants, il causait souvent de la qualité des immigrants avec Jean Delande. Ce dernier soutenait, auprès de l’abbé, que l’Écossais semblait être le meilleur sujet qui soit. On a rapporté à l’abbé des cas très intéressants parmi les Écossais. Jean Delande connaissait tout cela, mais ce qu’il savait surtout, c’est que dans chaque bateau, dans chaque transatlantique, il y avait des révolutionnaires plus à craindre que tout autre arrivant. Il se faisait un devoir de les dénoncer aux autorités, lorsque lui et l’abbé Paquin obtenaient les informations requises. Le jeune journaliste était, en ce moment, appuyé près du bureau du purser et consultait la liste des passagers. Parmi eux, il y avait un M. Novarro. Serait-ce ce Ramon Novarro qui est venu à Québec l’hiver dernier ? Cette étoile de cinéma ?… À tout événement sans plus, Delande se dirigea vers la suite 426.

En face du numéro se trouvait une stewardesse.

— Est-ce la cabine de M. Novarro ? demanda Jean.

Yes, répondit la jeune fille.

Après avoir frappé, une voix anglaise dit en français :

Enntrez.

Jean connaissait le jeune acteur qu’il avait vu au Château Frontenac l’hiver précédent.

— Bonjour ! M. Novarro.

— Quoi ! dit le jeune acteur, avec un accent anglais, vious me connaissez ?

— Bien quoi ! reprit Jean Delande, n’êtes-vous pas venu à Québec l’hiver dernier ?…

— Oh ! oui, répondit-il, mais moi, pas me souvenir…

— C’est juste, vous rencontrez bien des gens, mais j’ai eu l’occasion de vous serrer la main en compagnie de plusieurs journalistes et du City Editor du journal, au Château Frontenac, l’hiver dernier.

Woui, woui, je me souviens… plusieurs reporters. Je vous reconnais.

— Vous êtes de retour des vieux pays ? demanda Jean.

— Oui. Je suis à apprendre le français et la miousique. Le français ! quel beau langue ! Vious me comprenez ?

— Et comment ? dit le jeune reporter, je vous félicite, car l’hiver dernier, si je me souviens bien, vous parliez seulement l’anglais.

Et le jeune acteur continua ainsi en français. Il avait bien un peu de difficulté, mais ne voulait pas parler anglais. Ramon Novarro apprenait la musique et la langue française. En voici un qui en apprendrait à bien des Ontariens, se dit Delande.

En quittant le jeune acteur, Jean avait promis de se rendre sur le train qui le conduisait à New York. Novarro avait quelque chose à lui montrer, disait-il. Immédiatement, le jeune homme se dirigea vers les escaliers qui conduisent à la troisième classe.

— Au diable les scoops, se dit Delande, je veux trouver mes oiseaux.

En l’occurence, les noms des arrivants constituaient un bien maigre renseignement, car Delande savait que ces communistes ont bien des alias.

À cet instant, comme il traversait une cabine à double porte, il fut surpris d’entendre la première porte qu’il venait de franchir, se fermer en arrière de lui. Par curiosité, il revint sur ses pas et tenta d’ouvrir, mais il constata qu’on l’avait fermée à clef.

— Bon ça ! se dit le jeune homme.

Au moment où il réalisait ce fait, il entendit se fermer la porte d’en face.

— Si cette dernière est aussi fermée à clef, pensa Jean, me voilà prisonnier. Et elle était précisément fermée à clef !

— Ah ! les salauds. Qui peut me jouer un si sale tour ? C’est certainement une farce d’un de mes incorrigibles confrères.

Ce qu’ils sont intelligents parfois !

  1. Primeur.
  2. Officier en charge du bureau général du transatlantique.