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Zoloé et ses deux acolythes/2

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De l’imprimerie de l’auteur (p. 10-24).

Mariage diplomatique.
— Épisodes.


Le Vicomte de SABAR, (Baras.)[ws 1]


Baron d’Orsec, soyez le bien venu. Je vous attendais avec impatience, je m’occupais de votre bonheur.

Le Baron D’ORSEC, (de Corse.)

Sérieusement !

Le Vicomte de SABAR.

Très-sérieusement en vérité. Vous n’êtes pas riche ; rien de moins stable que les emplois et la faveur, dans un pays comme celui-ci. Un beau jour, avec toute votre gloire et vos services, vous pourriez bien ne conserver que la cape et l’épée. Foi de gentilhomme, il me paraîtrait dur d’en revenir à la simple paie d’officier…

Le Baron D’ORSEC.

Aussi votre prudence, dit-on, a pourvu à l’avenir…

Le Vicomte de SABAR.

Vous croyez !… Je disais donc que, pour vous mettre à l’abri des caprices du sort, il vous faudrait faire un bon mariage.

Le Baron D’ORSEC.

Ma santé, mes goûts, Vicomte, ne s’accordent guère avec vos vues. Je ne vous en remercie pas moins de votre zèle. Vous le savez, mon ami, j’ai vaincu sans femme ; je puis vivre de même.

Le Vicomte de SABAR.

Quelle simplicité ! je vous donne une femme mûre qui ne demande que votre nom, deux cent mille livres de bonnes rentes avec sa main, beaucoup d’amis…

Le Baron D’ORSEC.

Son nom ?

Le Vicomte de SABAR.

La comtesse de Barmont, Zoloé, toujours aimable, charmante, spirituelle, magnifique, du meilleur ton, d’une famille ancienne, d’une fraîcheur, ma foi, très-appétissante…

Le baron D’ORSEC.

Et d’une coquetterie…

Le Vicomte de SABAR.

Eh ! morbleu, qu’est-ce que cet enfantillage ? mon ami ? Veuve, elle a pu user de sa liberté ; mariée, elle se renfermera dans les bornes de la décence. N’est ce pas tout ce que tu demandes ?

le Baron
Le Baron D’ORSEC.

Mais pourquoi tant de générosité, mon ami ? pourquoi ne pas garder ce cadeau pour vous même ?

Le Vicomte de SABAR.

Et ma femme !… réponse donc avant de me quitter.

Le Baron D’ORSEC.

Mais encore, qui vous a chargé de cette mission ?

Le Vicomte de SABAR.

Prononcez le oui ? et Zoloé ne dira pas non.

Le Baron D’ORSEC.

J’entens…


Ah ! ah ! s’écrie en entrant le pétulant Mirval ? je vous trouve enfin, Vicomte. Comment diable, vous vous faites céler à vos meilleurs amis ! et sans attendre de réponse, savez-vous la chronique du jour ? oh ! non, je le parie. Vous autres diplomates, ne vous informez guère de ce qui fait rire les humains. Eh ! bien, ne voilà-t-il pas le galant sénateur D***, l’homme le mieux timpanisé de France ? Tout en achetant un chapeau, le paillard lorgna si bien la blanche main, la peau satinée, le sein rebelle, l’œil fripon de la marchande, qu’il sentit son cœur percé au vif de l’aiguillon d’amour. Visites multipliées sous différens prétextes, à des heures propices, propos gais, tentatives amenées avec art pour sonder la place, de petits cadeaux, la cuisinière gagnée, tels sont les préliminaires d’usage.

La capitulation fut longue, mais enfin acceptée. L’époux de la belle partait, chaque matin, vers les quatre heures, pour sa fabrique, et ne revenait qu’à neuf, pour déjeuner. C’est plus de tems qu’il n’en faut pour le plus vigoureux athlète. Ainsi la partie fut réglée, conclue, pour la matinée du deuxième jour suivant. Toinon, la complaisante cuisinière, devait apposer une échelle, car le prudent mari emportait en poche la clef de la chambre ; on leverait une croisée à coulisse ; et l’heureux D*** se trouvait au comble de ses vœux.

Mais point du tout. Le diable, ou la jalousie plutôt lui préparait bien une autre scène. Le garçon de boutique, grand, leste et bien fait ; bras nerveux, large dos, figure vermeille, avait précédé le nouvel amant comme substitut aux fonctions matrimoniales. Ses yeux attentifs aux actions de sa maîtresse avaient démêlé l’énigme de son refroidissement subit.

D’un autre côté, Toinon qui, plus d’une fois, avait eu part à la surabondance de verve du jeune homme, lui confie dans un moment d’extase, le dénouement qui allait, sous deux jours, mettre l’amoureux D***, dans les bras de son amante.

Tous les noirs venins de la jalousie se rassemblent dans sa tête, il jure de se venger de la perfide ; et sur le champ, il en prépare le moyen. Il dénonce au chapelier, le complot formé contre l’honneur conjugal ; il soufle la rage dans son cœur. Le mari furieux ne méditait rien de moins que d’immoler à la fois l’adultère et son complice ; mais réfléchissant qu’une semblable punition ne le vengeait qu’un instant et l’exposait, il s’arrête à ce projet :

Tandis que D*** allait souiller de sa présence, le sanctuaire des lois, le chapelier court chez son épouse, lui révèle le larcin que l’infidèle se proposait de lui faire. Il lui proteste, il lui jure que rien n’est plus vrai. Il l’amène à venir elle même être témoin du crime, et à l’aider dans sa vengeance. Madame D***, jusqu’alors pleine de confiance dans la sagesse de son mari, n’avait jamais conçu la moindre inquiétude sur ses excursions nocturnes. Des affaires, lui disait-il, l’obligeaient à passer la nuit au sénat ; il avait allégué le même prétexte pour se ménager l’occasion de voir sa nouvelle conquête ; on feignit de le croire. Déjà il triomphait ; mais qu’il fut cruellement déçu dans son attente !

La chambre donnait sur l’encoignure d’un passage public peu fréquenté. L’obscurité d’ailleurs protégeait de son ombre ce mystère amoureux. L’échelle est dressée. L’amant s’élance, la fenêtre se lève. Déjà la moitié de son corps était dans l’appartement de sa divinité, lorsqu’on même tems qu’une lumière brille, plusieurs voix s’écrient, à tue tête, au dessous du galant : Au voleur, au voleur ! Son amante, éperdue à ces cris funestes, lâche la croisée qui tombe avec force sur l’échine du malheureux D***. Le garçon, son rival, secoue l’échelle, la renverse, laisse le grave sénateur pris dans ce trébuchet, la garde arrive. Les éclats de ris immodérés se font entendre, à la vue d’un homme suspendu en l’air. Enfin le triste D*** est descendu et conduit, confus et à moitié éreinté, entre deux fusiliers, chez le commissaire de police où il est relâché par respect pour son caractère.

La chronique ajoute, mais sans en affirmer la vérité, que, pour venger complètement le chapelier, madame D*** lui prodigua les mêmes faveurs que son mari brûlait d’obtenir de la belle chapelière.

Ce n’est pas tout : j’accourais plein de cette anecdote, pour la raconter à madame la marquise de Mirbonne, lorsque dans le petit Carousel, je rencontre deux forts qui portaient sur un brancard, une espèce d’homme couché et enveloppé de la tête aux pieds, dans un manteau bleu. Je m’imagine d’abord que quelqu’affaire d’honneur avait envoyé le personnage dans l’autre monde, et qu’on allait le remettre à sa famille pour en disposer. Je demande à l’un des porteurs, avec un air d’intérêt, de quoi il s’agissait. Suivez-nous, me répond-il, vous en jugerez. Le brancard s’arrête à la maison du sénateur C***, car c’était lui-même qu’on promenait dans cet équipage. Sa figure couperosée, des yeux qu’il roulait pleins de vin, des paroles sans suite, des gestes d’insensé, des restes impurs qui sortaient de sa bouche et dont ses habits étaient tout dégoûtans, me firent bientôt connaître la cause de l’état indécent où je trouvais l’un des représentans de la France.

Comme au vrai ce spectacle paraissait m’affecter, l’un des porteurs en sortant me dit : vous êtes bien bon, citoyen, de plaindre le citoyen C***. Cinq fois par décade, notre ministère lui est nécessaire. Que diable voulez-vous qu’il fasse ? C’est aujourd’hui un entrepreneur, demain un fournisseur, une autre fois un chef de bureau ou tel autre avec lequel il a quelqu’intérêt à démêler, qui l’entraîne chez un traiteur. Ce n’est que là, en vérité, qu’on peut parler affaire. Il n’y a que la première bouteille qui coûte à avaler. Trente et quarante la suivent, et il n’en faut pas moins du tiers pour mettre l’officieux C*** en belle humeur.

Le porteur allait continuer sur ce ton ; mais pressé d’arriver au lever de la marquise, je me hâtai de le quitter et de traverser les Tuileries. Ici, dans une allée étroite, j’apperçus de loin, un homme qui se démenait comme un fou ; il se frappait le sein des poings, et la tête contre les arbres. En approchant, j’entendais des sons confus qui semblaient le mugissement d’un taureau en fureur. Bientôt je fus assez près pour distinguer ces paroles. Malheureuse passion du jeu, s’écriait-il ! j’ai tout perdu ; plus de ressource, ma réputation est à jamais flétrie. J’ai épuisé la caisse qui m’était confiée ; je n’ai pas rougi d’emprunter et de nier le prêt qu’on m’a fait. Comment ai-je l’audace de siéger encore parmi les législateurs ?… Oui, je renonce au jeu, je veux réparer… Puis s’arrêtant tout-à-coup : mais qui sait si la fortune me sera toujours contraire ? laisserai-je mes antagonistes se pavaner de mes dépouilles ? non, non, il me faut ma revanche. Il me reste un autre dépôt. Si je gagne, eh ! bien, tout sera dans l’ordre. Si je perds, que me restera-t-il à faire qu’à mourir ? J’enfilai une autre allée, après avoir entendu ces mots ; mais à la stature et au son de voix, il ne me fut pas possible de ne pas reconnaître le représentant S***.

Ô mon ami, ajouta le vicomte, après que l’infatigable conteur eût fini, que je vous ai gré de votre zèle ! puis lui frappant sur l’épaule et lançant au Baron un regard pénétrant : Puissent-ils tous combler la mesure et accélérer le jour de leur nullité !…

Le chevalier Mirval, impatient d’aller, le même jour, colporter dans vingt cercles, ces scandaleuses nouvelles, disparut comme l’éclair et laissa les deux amis libres de renouer leur entretien précédent.

Il fut arrêté que d’Orsec irait se présenter incessamment chez la comtesse, et qu’il ratifierait la négociation dont le baron avait été le ministre plénipotentiaire.




  1. Note de wikisource : les noms à droite des personnages sont inscrits au crayon en marge du texte.