Dictionnaire de théologie catholique/CONTEMPLATION

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 3.2 : CONSTANTINOPLE - CZEPANSKIp. 174-182).
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un seul. Pareillement, si le l’ère est tout-puissant, s’il est Dieu, le Fils, l’Esprit-Saint le sont semblablement, sans qu’il y ait trois tout-puissants, sans qu’il y ait trois Dieux, mais bien un seul et même Dieu.

Si donc il y a réelle distinction des personnes, elle a son origine, non dans la substance qui est commune, mais dans le caractère de chaque personne et les relations qui les opposent l’une à l’autre dans la possession indivise, inséparable de cette commune nature. La substance du Père est celle du Fils et de l’Esprit-Saint, mais, en lui, elle n’est ni faite ni créée, ni engendrée. Elle est et elle engendre, et avec le Fils elle est un même principe actif de procession pour la troisième personne. Pater, le Père, c’est-à-dire l’essence divine par laquelle et en laquelle il est Dieu et Père, Pater a nullo est factus, nec creatus, nec genitus. La substance du Fils est celle même du Père et de l’Esprit-Saint ; mais si, en lui, elle n’est ni faite, ni créée, elle est engendrée, et elle est avec le Père un même principe actif de procession pour la troisième personne. Filius, le Fils, c’est-à-dire l’essence divine par laquelle et en laquelle il est Dieu et Fils éternellement engendré, Filius a Pâtre solo est, non factus, nec creatus, sed genitus. La substance de l’Esprit-Saint est celle même du Père et du Fils. Mais si, en lui, elle n’est ni faite, ni créée, ni engendrée, elle procède du Père et du Fils comme d’un même principe dans lequel et avec lequel il entre en communion de la divinité. Spiritus Sanctus, l’Esprit-Saint, c’est-à-dire l’essence divine par laquelle et en laquelle il est Dieu et éternellement procédant du Père et du Fils comme d’un principe unique, Spiritus Sanctus a Paire et Filio, non factus, nec creatus, nec genitus, sed procedens. Et ainsi n’y a-t-il qu’un seul Père, un seul Fils, un seul Esprit-Saint.

En dehors de ces caractères personnels, tout est commun comme l’essence divine elle-même, et la première partie du sublime symbole athanasien s’achève dans une nouvelle affirmation de la consubstantialité : Et in hac Trinitate nihil prius aut posterius, nihil majus aut minus sed tot.e très personne co.etern.e SIBI sunt et co.equales, ila ut per omnia, sicut jam supra dictuni est, et unitas in Trinitate, et Trinitas in unitate veneranda sit. Dans les trois personnes, aucune différence de durée ou de perfection : toutes trois sont coéternelles, elles sont parfaitement égales dans l’indivisible unité de leur substance commune.

Pour le mot consubstantiel et sa signification dogmatique, voir : 1° les articles : Arianisme et son abondante bibliographie ; Esprit-Saint ; Essence ; Hypostase ; Jésus-Christ ; Macédoniens ; Personne ; Substance ; Trinité ; 2° les Pères dont les noms et les œuvres sont cités au cours du présent article, et principalement saint Athanase, P. G., t. xxv-xxviii ; 3° Suicer, Thésaurus ecclesiasticus, v’(Vooûvioç, Amsterdam, 1728, t. ir, col. 480-488 ; 4° les historiens des conciles et des dogmes : Hefele, Hisluiredes conciles, traduction Leclercq, Paris, 1907, t. i-iii ; Th. de Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité, Paris, 1898, t. i, p. 71-82, 200-217 ; t. ii, p. 6-24, et passim ; J. Tunnel, Histoire de la théologie positive, Paris, 1904, p. 65-71, 207-210 ; J. Schwane, Histoire des dogmes, trad. Belet et Degert, Paris, 1903, t. i, n. passim, et surtout t. I, p. 196-199, 212-214 ; t. ii, p. 134-174, 256-288 ; J. Tixeront, Histoire des dogmes, I. La théologie, anténicéenne, Paris, 1906, p. 286, 409, 425, 432 ; 5° les théologiens, soit à propos de l’unité divine, dans les traités De Deo uno ; soit à propos de la génération du Fils ou de la procession du Saint-Esprit, dans les traités De Deo trino ; soit à propos de la divinité du Verbe incarné, dans les traités De Ye> bo incarnato, et principalement Franzelin, De Deo trino, th. viii-x, Rome, 1874, p. 118-167.

H. Quilliet.


CONTARINI Gaspard, diplomate et cardinal, né à Venise le 16 octobre 1483, mort le 24 août 1542. Après avoir été un des disciples les plus zélés de l’enseignement que Pomponace donnait à Padoue, Contarini fut chargé de diverses missions diplomatiques. Il dut en 1527 négocier la liberté de Clément VII, prisonnier de l’empereur Charles-Quint. Pour le récompenser de ses services, Paul III, le 21 mai 1535, le nomma cardinal. Alors il entra dans les ordres et reçut la prêtrise. Contarini fut un des neuf membres de la commission nommée par le pape pour examiner les réformes à apporter dans le gouvernement de l’Église. En 1540, il parut comme légat à la diète de Ratisbonne où devait être tentée une conciliation entre les catholiques et les protestants. De retour à Rome, Contarini eut à se justifier du rôle qu’il avait tenu dans cette assemblée et le pape le nomma cardinal-légat à Bologne, mais il mourut quelques mois plus tard. Ses Œuvres d’un latin fort élégant ont été réunies en un in-fol., publié à Paris en 1571. On y remarque les traités suivants : De immortalitate animi ; De sacramentis christianæ legis et catholicæ Ecclesiæ libri IV ; De officio episcopi libri II ; De potestate pontificis ; De libero arbitrio ; De prædestinatione ; De justificatione ; Scholia in Epist. D. Pauli et Jabobi ; Summa conciliorum magis illustrium ; Confutatio articulorum seu quæstionum Lutheri ; Explanatio in psalmum Ad te levavi, et enfin ses Epistolæ et relationes, fort importants pour l’histoire de son époque.

L. Boccatelli, Vita del card. G. Contarini, in-4°, Brescia, 1746 ; G. Tiraboschi, Storia della letteratura italiana, in-8°, 1824, t. vii, p. 443 ; Fr. Dittrich, Regesten und Briefe des card. G. Contarini, in-8° Braunsberg, 1881 ; Id., Gasparo Contarini, ibid., 1885 ; W. Braun, Kardinal Gasparo Contarini oder der « Reformkatholizismus » unserer Tage im Lichte der Geschichte, in-8°, Leipzig, 1903 (on y discute la doctrine de Contarini sur la justification) ; Kirchenlexikon, t. iii, col. 1038.

B. Heurtebize.


CONTELORIO Félix, théologien italien, né à Spolète, mort à Rome le 28 septembre 1652. Il fut docteur en théologie et préfet de la Bibliothèque vaticane (1626-1630). Il est auteur d’un traité De canonizatione sanctorum, in-4°, Lyon, 1609, 1634. On lui attribue en outre divers Discours sur la Divinité, sur la Trinité et sur l’Ascension de N.-S., Rome, 1614, 1616 ; un Catalogue des cardinaux depuis l’an 1294 jusqu’en 1430 ; une réponse à la question : Si un clerc peut être tiré d’un lieu sacré dans le cas où on ne peut en tirer un laïque.

Dupin, Table des auteurs ecclésiastiques du xviie siècle, in-8°, Paris, 1704, col. 1691 ; Hurter, t. i, p. 489.

B. Heurtebize.


CONTEMPLATION. — I. De la contemplation en général. II. Division de la contemplation. III. De la contemplation acquise. IV. De la contemplation infuse ou mystique.

I. De la contemplation en général.

1° Il n’est pas rare de rencontrer, dans certains livres de spiritualité, un parallèle établi entre la contemplation et l’action, et certaines règles concernant les proportions dans lesquelles doit s’opérer l’alliance de ces deux choses en apparence opposées. En résumé, ce que l’on veut alors, c’est mettre la prière, quelle que soit sa forme, en regard des actions extérieures, et indiquer la mesure dans laquelle la vie d’oraison doit s’allier a la vie active. Il est à peine besoin de dire que ce n’est nullement la contemplation entendue dans ce sens très particulier que nous nous proposons d’étudier. Nous n’avons pas davantage en vue le genre de méditation que saint Ignace appelle dans ses Exercices du nom de « contemplation » . La simple considération du lieu, du temps et des autres circonstances dans lesquelles s’opère le mystère médité, n’a rien de commun avec l’acte contemplatif, tel qu’on l’entend au sens strict dans le langage de l’ascétisme et de la mystique. C’est cet acte seul qui doit retenir notre attention.

Saint Thomas a excellemment défini la contemplation : une vue si>ni>le de la vérité. Suni. tlteol., IIa-IIæ, q. clxxx. a. 3, ad l um. Dans la pensée du grand docteur, il s’agit ici d’une intuition semblable à celle qui nous

fait adhérer sans raisonnement, sans aucun travail discursif, aux premières et grandes vérités de l’ordre intellectuel et moral, à cette vérité, par exemple, « que le tout est plus grand que sa partie ; » ou à cette autre vérité : « Toute faute appelle un châtiment. » Qu’une intelligence saine soit placée en face des vérités de ce genre : elle les apercevra de suite, sans travail, sans effort, sans nul circuit, dans la lumière qu’elles portant avec elles, et qu’elles répandent autour d’elles. La contemplation qui nous occupe est aussi une vue simple de la vérité, mais de la vérité surnaturelle, une intuition de la vérité excluant l’effort, la recherche, et impliquant la possession, la jouissance actuelles.

Ce n’est pas à dire, assurément, que cette possession n’ait pas été précédée d’ell’orts, qu’elle ne soit pas le couronnement du travail laborieux de la méditation. .Mais tant que l’intelligence peinait, tant qu’elle poursuivait la vérité dans la méditation, la contemplation c’était pas commencée encore. Elle ne commence que lorsque l’intelligence embrasse une vérité, même acquise péniblement, d’un regard aussi ferme, aussi calme, aussi possesseur, que si cette vérité portait avec elle son évidence intrinsèque.

Ajoutons avec saint Thomas que cette intuition de la vérité surnaturelle, qui fait l’essence de la contemplation, « se termine toujours à un mouvement affectif. » Sian. theol., IIa-IIæ, q. CLXXX, a. 1. Notre intelligence peut contempler une vérité de l’ordre naturel, un postulat de mathématique, par exemple, sans l’aimer aucunement. S’agit-il, au contraire, d’une vérité appartenant au domaine de la révélation : la contemplation de cette vérité-, dit saint Thomas, se termine toujours à l’amour. Ce serait donc, au sens du grand docteur, la tronquer que de la limiter à une opération purement intellectuelle ; elle est un exercice de nos deux grandes facultés, l’intelligence et la volonté.

Saint Bonaventure requiert, comme saint Thomas, le concours de l’intelligence et de la volonté pour la production de l’acte contemplatif : « La contemplation n’est pas exclusivement un acte de I intelligence ; elle implique aussi un sentiment savoureux de la vérité perçue. On ne regarde pas alors Dieu, ou les choses de Dieu, d’une façon quelconque, mais avec amour, avec un sentiment affectueux et plein de suavité, Tract, de seplem iiineribtu œternit., part. III. dist. III. Selon la formule an--i justi que concise de Cajétan, dans son commentaire de saint Thomas, nous dirons donc que la « contemplation est un acte de l’intelligence, mais que cet a v ;, eau-’et -on terme dans l’amour » .

2 » Les quelques données qui précèdent suffisent à montrer toute la distance qui sépare la contemplation <le la simple méditation. Elles ont beau être toutes deux une ascension de l’a me vers Dieu, avoir le même objet ndre au même but ; des difli renées essentielles empéchentqu’on ne confonde ces deux opérations, g Méditer, cV-i faire acte discursif, c’est considérer successivement la nature, les propriétés, les accidents d’un objet. Je suppose que l’objet de la méditation soi) le crucifiement deJésus on envisage alors toutes tes circonstance de

la pa ion qui sont de natuie s i noir

notre cœui el à provoquer notre amour. Dans la contemplation, au contraire, il n’est plus question de bîre discursifs l< rej ird de l’âme se flxe sur une

demeure concentré sur elle, rivi en

quelque sorte par l’admiration, De la contemplation à la méditation, il a doue toute la distance qui Bépare un

impie’l nu ai le composé.’In peul deux opérations à celles d’un peintre qui étudie le tableau d’un grand maître. Il commeno par ans

lion, par ei la propor tion d( b parti lu i du

coloris, Puis, ravi et comme suspendu par l’admiralion, il oublie tous I pour em toile

d’un seul regard et la considérer dans son ensemble harmonieux. » Card. Brancati, De oralione christiana, Venise, 1687 ; Montreuil, 1896 ; OpuscuL, III, c. IV.

Si l’on étudie la méditation et la contemplation au point de vue de leur influence respective sur la direction de notre vie, les différences entre les deux apparaissent nettement accentuées. « | Lorsque nous méditons, la beauté de Dieu et des choses spirituelles se révèle à nous comme dans une simple peinture, dans un tableau qui ne nous cause pas une émotion très forte, tandis que la contemplation nous les montre vivantes, dans une réalité et une vérité qui nous émeuvent profondément et qui appellent tout notre amour. (Méditer sur la colère divine, c’est avoir sous les yeux un lion mort : spectacle qui n’est pas fait pour inspirer beaucoup d’épouvante. Contempler la colère divine, c’est se trouver en face d’un lion vivant, et entendre avec effroi ses rugissements. Aussi l’àmc qui médite s’achemine vers la perfection d’un pas languissant ; celle qui contemple, ne marche plus, elle se sent soulevée, elle a des ailes, elle vole. » Alvarez de Paz, De inquisit. pacis, Lyon, 1617 ; Paris, 1875, 1. V, part. III, c. I.

3° Quel est l’objet de la contemplation ? Pour résoudre ce problème, il faut se souvenir du rôle de la contemplation, se rappeler qu’elle est, entre les mains de Dieu, un instrument destiné à accroître en nous la charité, et à nous imprimer un élan vigoureux vers la perfection. Il s’ensuit que la contemplation a pour objet tout ce qui peut exciter dans une âme l’amour divin, et augmenter en elle le désir de la sainteté. Les perfections divines, les mystères de la vie mortelle de Jésus, ceux de sa vie glorieuse et de sa vie eucharistique, les réalités de l’autre monde, notre misère native, notre relèvement et notre ennoblissement par la grâce : tel est le champ où la contemplation a la faculté d( se mouvoir. En résumé, son domaine a la même étendue que celui de la méditation. Tout ce qui a été inédite’peut être ensuite contemplé : l’objet reste le même ; il n’y a que le mode d’opération qui varie.

4° Il est opportun d’opposer ici quelques mots de réponse au préjugé qui considère la contemplation comme incompatible avec les devoirs de la vie apostolique, comme un objet de luxe, presque une entrave pour les âmes vouées aux travaux du /rie. S’il est quelqu’un d’intéressé à laisser se perpétuer ce préjugé, c’est le démon. Il sait, en effet, que les coups les plus rudes lui ont toujours été portés par les hommes qui savaient mener de front la vie apostolique et la vie contemplative. Il sait quel ennemi fut pour lui un saint Vincent Ferrier qui courait sur tous les chemins de l’Europe, soulevant les multitudes par sa parole, les entraînant à sa suite, et cherchant dans les joies de la contemplation lapins élevée une source toujours renouvelée il inspiration. Il sait quels adversaires redoutables lurent pour lui un saint Ignace qui brûla par humilité le manuscrit oii, après ses extases, il consignait ses révélations concernant l’essence divine ; un François-Xavier qui, pour se délasseï dications, se faisait cn i dans le clocher de Goa, et donnait plusieurs

heures tOUtei les nuits a la contemplation.

Ce préjugé que noncombattons n’est pas nouveau.

Au xvir siècle, le P. Louis Lallemanl le rencontrait

déjà sur son chemin, el il le rétutail dans un article

dont voici la conclusion : kvec la contemplation, on

fera plus ei pour soi et pour les autres en un mois,

qu’on Déferai ! sans elle en dis ans. Si l’on n’a reçu cet

lent don. il est dangereux de s’épancher trop dans

metions qui regardent li I in ne doit s’y

employer que par manière d sai, I & n’est qu’on y

fût engagé par l’obéi La doctrine ipiritu

Paris, 1094, 1892, ~" principe, c. iv.

D’ailleui | 1 1 hensibls qu’avec

les joies de la contemplation servant de contrepoids aux peines endurées p ; ir les saints et aux travaux héroïques soutenus par eux. Prétendre qu’on peut porter facilement et joyeusement un tel fardeau avec les secours ordinaires de la grâce, et trouver une compensation suffisante dans les joies de la dévotion ordinaire, c’est un optimisme exagéré. C’est oublier que le Sauveur lui-même jouissait encore sur la croix de la vision intuitive. Que les saints aient été apôtres ou qu’ils aient été voués exclusivement à la contemplation, leur vie demeure une énigme dont les joies de la contemplation peuvent seules donner la clé ; et il est regrettable que si peu d’hagiographes songent à contenter sur ce point notre curiosité, à nous renseigner sur la façon dont les saints traitaient habituellement avec Dieu dans leur oraison.

II. Division de la. contemplation. — 1° Le nom de contemplation convient, ainsi que nous l’avons dit, à toute vue simple de la vérité, accompagnée d’amour. Mais les premiers écrivains qui tentèrent de décrire avec quelque exactitude les faits psychologiques placés sous cette étiquette de contemplation, s’aperçurent bientôt qu’une classification ou plutôt qu’une division de ces faits s’imposait. C’est qu’en effet telle vue simple de la vérité se révélait à eux comme le résultat des forces combinées de notre nature et de la grâce ; tandis que telle autre vue simple leur apparaissait comme un produit direct de l’action de Dieu sur une âme. Il s’agissait de trouver un nom qui peignît d’une façon suffisamment expressive chacune de ces deux classes de phénomènes très distincts. Essayons de reconstituer le travail qui dut s’opérer alors dans l’esprit des créateurs de terminologie. Ils se trouvaient, d’une part, en face d’une oraison qui réclamait le jeu ordinaire de nos facultés, et rien de plus ; ils avaient, d’autre part, sous les yeux une oraison où il se passait quelque chose d’insolite, de mystérieux, sans nulle analogie avec les phénomènes de la vie courante. Quelques ccrivaihs appelèrent cette dernière sorte de contemplation du nom de surnaturelle, voulant exprimer par là qu’elle n’avait rien de commun avec les procédés de l’oraison ordinaire. Cette dénomination était-elle heureuse ? Non certes, car elle semblait une confiscation du mot « surnaturel » au profit d’un seul genre d’oraison, alors que tous les autres, y compris la prière vocale, méritent aussi cette appellation. Puis cette première faute devait en engendrer une autre. Quel nom fallait-il alors donner à la contemplation qui est une résultante de notre travail personnel ? Il est évident qu’après avoir décerné à la première contemplation le titre de surnaturelle, on devait, en bonne logique, appeler la seconde du nom de naturelle. Quelques écrivains, Brancati entre autres, ne se sont pas effrayés de cette association de mots véritablement choquants. Mais la plupart ont compris qu’ils faisaient fausse route, et ils ont cherché mieux.

2° Le terme de contemplation infuse leur parut exprimer à merveille l’action de Dieu faisant lui-même oraison en nous, sans nous, sans notre concours. A la vérité, ce mot est très expressif ; il éveille l’idée de Dieu versant lui-même la contemplation dans une âme. Mais est-il rigoureusement exact ? Non, car il faut convenir qu’il s’applique dans une certaine mesure à toutes les oraisons. Il n’en est pas une seule durant laquelle il nous soit loisible de nous passer de Dieu, pas une où la grâce versée par lui dans une âme ne soutienne et ne transforme notre action personnelle.

Les auteurs de cette terminologie voulaient exprimer deux idées qu’il ne faut pas confondre : l’idée tout d’abord d’une grâce que Dieu verse dans l’âme durant l’oraison ; puis l’idée de la conscience que l’âme possède de cette opération divine. Que l’on veuille bien remarquer que c’est ce dernier trait qui distingue la

contemplation infuse des autres oraisons moins parfaites. Dans la pensée des écrivains mystiques, il s’agissait donc d’une infusion de grâce perçue par l’âme. Le terme de contemplation infuse suffisait-il à traduire d’une façon adéquate cette idée complexe ? Nous en doutons ; il eût mieux valu, pour plus de clarté’, allonger la dénomination primitive et dire « contemplation’manifestement infuse » . La plupart des écrivains contemporains se rendant compte sans doute de l’insuffisance des termes autrefois en usage, et désireux de posséder un mot qui ne prêtât plus à l’équivoque, se sont arrêtés à celui de contemplation mystique ; ce mot a aussi nos préférences, et c’est de lui que nous nous servirons habituellement dans notre étude.

Rendons-nous compte dès maintenant de la mentalité des écrivains mystiques relativement à la seconde sorte de contemplation. Ils ont vu qu’à côté de la contemplation que nul effort ne peut produire, il en existe une autre qu’il est possible de produire, au moins à petite dose, à l’aide d’un effort. Ils ont dit : l’eflort est comme la monnaie qui sert à acquérir un objet ; cette contemplation est donc susceptible d’être acquise. L ur intention, assurément, n’était pas d’exclure de cette oraison l’action de la grâce ; mais seulement de mettre en lumière l’idée d’efforts arrivant ici à leur but. Ils n’avaient pas davantage la pensée de signifier que cette contemplation était le résultat d’une habitude lentement acquise : ils savaient très bien qu’elle est parfois produite en un instant, soit par une grâce spéciale, soit par un événement influant, pour les modifier, sur notre tournure d’esprit, sur nos dispositions habituelles. Ils se contentaient d’affirmer qu’elle peut être acquise dans une certaine mesure par notre industrie personnelle.

De nos jours, quelques auteurs se sont avisés de nier cette division de la contemplation : pour eux, toute contemplation, quelle qu’elle soit, est mystique ; celle qui porte le nom d’acquise n’existe que dans l’esprit des faiseurs de classifications. Nous attarder à combattre cette opinion singulière, serait œuvre inutile : ceux qui la soutiennent sont trop peu nombreux. Qu’il nous suffise de leur rappeler avec Terzago que, de ce fait, ils se placent en dehors de la tradition ; « car tous les théologiens, aussi bien scolastiques que mystiques, s’accordent à diviser la contemplation en acquise et infuse. » Theologia historico-mystica, Venise, 176b diss. VII, § 3. Ce sont ces deux sortes de contemplation que nous allons nous-même étudier successivement.

III. De la. contemplation acquise. — 1° Nous avons défini plus haut la contemplation acquise ; nous avons dit qu’elle est une vue simple, une intuition de la vérité, que nous pouvons nous procurer par notre effort personnel aidé de la grâce. Si notre étude devait se limiter à l’acte de contemplation acquise, elle serait dès maintenant à peu près terminée. Il ne nous resterait plus qu’à traiter la question de la possibilité de cet acte et quelques lignes seraient suffisantes pour mener à bien ce travail. « Après que nous avons considéré dans ses diverses circonslances un mystère du Christ, tel que la nativité ou la Hagellation, rien ne nous empêche, en effet, d’embrasser ce mystère d’un seul regard, de nous arrêter devant lui pour l’envisager d’une vue simple de foi, non plus dans ses détails, , mais dans son ensemble. Avec un peu d’exercice, tout le monde est donc capable de contempler aussi bien que de méditer. » Brancati, De oratione christiana ; Opuscul., III, c. xvii.

S’agit-il d’un acte isolé et de peu de durée comme celui qui vient d’être décrit, aucune difficulté sérieuse ne peut surgir. Mais le problème devient plus compliqué lorsqu’il est question d’une contemplation qui dure plus longtemps, et qui est assez habituelle pour constituer un état spécial d’oraison. Cet état d’oraison*

dont la contemplation acquise fait les frais principaux, n’est autre que celui qui, dans les ouvrages d’ascétisme, prend le nom d’oraison de simplicité ou de simple regard. Avant de décrire la contemplation acquise sous cette forme qui a cessé d’être transitoire pour revêtir un caractère plus fixe, plus permanent, il sera utile d’embrasser dans une sorte de synthèse les diverses étapes par lesquelles l’âme doit ordinairement passer pour arriver à ce Urine.

2° Aux débuts de la vie spirituelle, nous rencontrons la méditation ordinaire : c’est l’intelligence qui tient ici le rôle principal : l’àme raisonne, elle considère, elle discourt, comme on disait au xviie siècle. Tous ces actes ont pour but de créer en nous des convictions solides. Aussi à mesure que les convictions s’implantent dans notre âme, les raisonnements deviennent moins nécessaires, et du coup la place des affections s’élargit. Bientôt un simple coup d’œil nous suffira pour raviver notre conviction, et presque tout le temps que nous donnions autrefois aux raisonnements, sera occupé par les affections. Cette manière d’aller à Dieu mérite d’elle classée à part, au-dessus de la méditalion, sous le nom d’oraison affective. Puis un nouveau travail, un travail de simplification, cette fois, s’opère en nous. Sous l’influence de la grâce, nos affections et nos résolutions tendent de plus en plus à l’unité ; elles deviennent moins variées et s’expriment par moins de paroles. Par une évolution qui pour l’ordinaire ne s’opère pas par des sauts brusques, mais lentement, progressivement, l’oraison affective se transforme alors en une oraison qui est une succession de simples regards, c’est-à-dire une succession d’actes de contemplation acquise. Si l’âme correspond fidèlement à la grâce, il est à présumer que ces acles occuperont dans son oraison une place toujours plus large, et que le droit de cette oraison à être appelée du nom de contemplation acquise sera chaque jour mieux établi. riplions de l’état d’oraison qui nous occupe font souvent honneur à l’imagination des écrivains plus (nielles ne servent la vérité. « On dépeint ces états, dit le P. Poulain, de manière à laisser croire que l’intelligence et la volonté sont devenues complètement immobiles. La multiplicité des acles aurait disparu entièrement. Non ; elle a seulemen notable’diminué, assez pour attirer l’attention N’inventons pas des états chimériques, et ne les substituons pas am véritables, > Le » grâces de l’oraison, Paris, 1901, I partie, c. ii, n. 6.

Lorsqu’on nous représente une âme immobili pendant an quart d’heure et même pendant une demiheure par une pensée ou un sentiment unique, est-ce la réalité que i on - i si attaché à peindre’.' ou bien n’at-on pas reproduit, sans la contrôler, une assertion trouvée dans un livre quelconque ? Il est de ces affirmations que les auteurs se transmettent commi axiomes indiscutables, et dont personne ne songe à vérifier l’exactitude. Beaucoup répètent, pour I a lu dans Brancati, qui lui-même l’avail sans doute lu ailleurs, qu’un acte de contemplation acquise peut durer une demi-heure. L’étrangeté du fait en question il. irrail pourtant rendre ces écrivains 1res circon-| ii les inviter ; i réserver leur jugement. Qu’une ; tout spéciale puisse ainsi tenir une intelligence ou une volonté immobiles durant un temps relativement

idérable, la chose est bien certaine : il Berail puéril d’assigner à l’action divine ses limites, de l’emprisonner dans un cadre de convention. Hais il s’agil de

il si une telle, 1 ICI exisl ni si cl|.

titue la façon habituelle dont Dieu traite avei

dent la contemplatii n ai

ne ni arrivi r à la certitude en ce point, si l’on n’inter n’s, si l’on n’étudie sur elles le* proo divins.’Suarei lem blable, concluait que l’oraison de simple regard ne consiste pas à n’avoir qu’une idée et qu’un sentiment ; un certain renouvellement de sentiments lui parait, au contraire, nécessaire. « C’est seulement en ce sens, dit-il, que cette oraison peut d’habitude se prolonger ; mais il est très rare qu’un acte simple dure longtemps, n De oratione, 1. II, c. x, n. 13.

Toute étude des faits aboutira nécessairement à des conclusions identiques, elle démontrera que l’unité absolue de pensées et de sentiments, qui est décrite dans certains livres, est une pure chimère. Par conséquent, on est encore dans l’oraison de contemplation acquise, lorsque, après avoir épuisé une pensée ou un sentiment, on passe à une autre pensée et à un autre sentiment. Ce qui caractérise cette oraison, ce n’est pas l’immobilité absolue de l’àme arrêtée devant une seule idée, et se nourrissant d’un seul sentiment : une certaine variété de pensées et de sentiments n’est nullement incompatible avec ce que l’on nomme la simplicité dans l’oraison. Lorsqu’une oraison nous apparaîtra comme un composé d’actes d’intuition, comme une série de simples regards se succédant d’une façon lente et douce, nous aurons donc le droit d’appeler cette manière de traiter avec Dieu du nom de contemplation acquise.

4° On exagère encore lorsqu’on attribue à cette sorte d’oraison un objet unique, lorsqu’on pense que son champ d’action ne s’étend pas au delà d’une simple attention à Dieu présent. Que l’attention à Dieu présent constitue une des variétés, la plus intéressante peut-être, de la contemplation acquise, personne ne songe à le contester ; mais ce n’est pas une raison de croire qu’elle soit à elle seule toute la contemplation. Voici une personne qui, durant son oraison, se sent pénétrée du néant des choses humaines, ou de la pensée de la mort, ou du souvenir des souffrances de Jésus sur la croix. Elle n’exécute sur ce thème aucune variation ; son imagination se refuse même à composer une scène, un tableau. Une simple idée qui revient sans cesse et avec force : telle est la note caractéristique de cette oraison. L’attention à Dieu présent n’est ici qu’accessoire, c’est certain. Néanmoins, si l’on nous demande quel nom il faut donner à cette oraison, nous n’hésiterons pas à dire qu’elle réunit tous les traits d’une contemplation véritable. Parfois, c’est sur Dieu lui-même que notre attention est appelée avec cette force et cette insistance ; mais ne peut-il se faire que ce soit quelqu’un de ses attributs, son incompn liensibilité, par exemple, ou sa bonté, que nous avons en vue plutôt que sa présence’.' L’oraison d’attention amoureuse à Dieu présent décrite par Courbon, Instruction sur l’oraison, Paris, 1685, 1874, part. IIP. i r * instr., est donc un des modes de la contemplation acquise, mais ce n’est pas son mode unique.

Notre manière de voir était celle de Bossuet ; c’est ce dont il n’est pas permis de douter lorsqu’on a lu son opuscule sur la Manière de faire l’oraison de foi, i mie, dit-il, reçoit une oraison plus pure et plus intime, que l’on peut nommer oraison de simplicité’, qui consiste dans un simple regard vers quelque objet divin, soit Dieu en lui-même ou quelqu’une de ses perfections, soit Noire-Seigneur Jésus-Christ ou quelqu’un de ses mystères, ou quelques autres vérités chrétiennes. » S.’A.

La contemplation acquise a été désignée par saint îles sous l< nom i d’oraison de sin i lit ii, / ;. ponses sur le coutumù < l I. de Chantai, a.’. ! ’» , (dit. Migne, t. ii, col. 236.

. Lorsqu’une Ame commence < jouir de la contemplation,

elle est parfois hantée d’un scrupuli P toul le temps de l’oi primer ou i savourer un

entiment une.  :

l’inertie ? n’est-ce pas aussi tenir la porte ouverte aux illusions les plus dangereuses ? Telles sont les ques-’lions que celle âme se pose avec angoisse. Nous répondons que l’illusion n’est pas fort à redouter dans la circonstance présente. Rien de plus facile, en effet, que de discerner ici la vérité de ce qui n’est que sa caricature. Dans la contemplation, on se sent occupé et comme rempli de Dieu ou des choses de Dieu ; et l’on sent aussi que cette concentration de toutes les facultés sur un seul objet n’a rien de commun avec la rêverie vague qui accepte sans contrainte et sans réaction toutes les images qui se présentent à l’esprit. Il serait donc déraisonnable de considérer cette façon si simple et si élevée de traiter avec Dieu comme une perte de temps. Regardons-la plutôt comme une grâce de choix, comme une de ces faveurs auxquelles on est tenu de répondre par une humilité très profonde sans doute, mais aussi par une sincère gratitude.

D’après le P. de Caussade, on peut comparer l’activité que nous déployons dans ces états d’oraison à celle qui se trahit chez une âme passionnée lorsqu’elle se repose dans la vue et la jouissance de l’objet de sa passion : « Il faut savoir, dit-il, que l’esprit et le cœur ne se reposent pas à la manière du corps, mais plutôt en continuant leur action d’une manière plus simple, plus douce et qui charme notre âme. Ainsi, quand un avare laisse reposer son esprit et son cœur, c’est-à-dire ses pensées et ses affections dans ses richesses, comme l’ambitieux dans les objets qu’il ambitionne, et chacun dans ce qu’il aime, ni les uns ni les autres ne laissent pas pour cela d’agir : ils ne sont nullement oisifs, mais, au contraire, fort criminellement occupés. Or, si la corruption de la nature peut opérer ce long et criminel repos en des créatures dont on se sera fait de vaines idoles, faut-il s’étonner que l’habitude, qui est une seconde nature, et la grâce, encore plus forte, puissent opérer le saint repos d’esprit et de cœur que les bonnes âmes trouvent en pensant à Dieu, leur véritable centre, en goûtant Dieu, leur unique trésor ? » Instruction sur les états d’oraison, Perpignan, 1741 ; Paris, 1892, 1895, part. II", dial. prélim.

6° Serait-ce une témérité présomptueuse que de désirer la grâce de la contemplation acquise et de la solliciter de Dieu ? Non certes : « On n’est ni téméraire, ni présomptueux, dit Gerson, parce qu’on désire un genre d’oraison qui doit nous faire aimer Dieu de tout notre cœur. Les ecclésiastiques, les religieux, tous ceux, en un mot, qui se sont consacrés à Dieu, ont même le devoir de s’adonner à la contemplation. » De monte contempl., c. xxviii. « Lorsqu’une âme, dit à son tour Alvarez de Paz, s’est corrigée de ses défauts et qu’elle a triomphé de ses inclinations désordonnées ; lorsque de plus elle s’est longtemps exercée à méditer, elle peut et doit ambitionner de monter plus haut, s’essayer à la contemplation et renouveler avec humilité ses tentatives. .. Ayons à cœur de ne pas demeurer toujours des enfants ; devenons des hommes par la pratique généreuse de la mortification et acquérons ainsi le droit de tendre à une oraison plus élevée. » De inquisilione pacis, 1. V, part. II, c. xiii.

Les âmes les mieux préparées à la contemplation hésitent souvent à s’engager dans cette voie nouvelle : elles répugnent à s’écarter des sentiers battus. C’est au confesseur qu’il appartient de dissiper leurs scrupules et de stimuler leurs lenteurs. Mais c’est d’un confesseur prudent et instruit que nous réclamons ici l’intervention. Un confesseur qui professe pour ces élats spéciaux d’oraison un scepticisme railleur, ou se tient à leur égard dans une ignorance systématique, serait un guide plus nuisible qu’utile.

7° A quel signe un confesseur reconnaîtra-t-il qu’une âme est mûre pour la contemplation acquise ? D’abord, à une quasi-impossibilité pour cette âme de faire orai son selon les procédés qui jusqu’à ce jour lui avaient été familiers. Ainsi, lorsqu’une personne de bonne volonté, et qui aime l’oraison, ne réussit plus, en dépit de tous ses efforts, ni à méditer, ni à multiplier les affections ; lorsque cette impossibilité n’est pas le résultat d’une épreuve passagère, d’une sécheresse momentanée, mais un état permanent et qui dure depuis un temps notable, il y a toute présomption pour juger que le moment est venu de passer à l’oraison de simple regard. S’opiniâtrer à demeurer dans les degrés inférieurs d’oraison serait aller contre la volonté formelle de Dieu ; à tout le moins serait-ce perdre son temps.

Une autre marque non moins positive est désignée par Courbon sous le nom de disposition à l’unité : « C’est-à-dire qu’une simple pensée et une simple affection suffisent à nous occuper durant un temps notable. Alors on ne se sent plus porté à cette multitude de pensées qu’on avait autrefois, ni à cette foule d’actes qu’on avait l’habitude de produire ; mais il commence à se laire dans l’âme une espèce de silence ; tout y est plus tranquille, tout s’y passe à plus petit bruit. Ce ne sont plus ces affections véhémentes et passionnées, ces désirs et ces mouvements tout sensibles ; il n’y a plus rien que de doux et de paisible. C’est là un signe que Dieu conduit l’âme peu à peu à l’oraison dont nous parlons, et qu’il la prépare à ce saint exercice. » Instructions sur l’oraison, Paris, 1685, 1874, part. IIe, 5e instruction.

8° Ce serait une erreur de croire que la contemplation acquise ressemble à une fête perpétuelle et de s’imaginer qu’elle est une source intarissable de joies et de consolations spirituelles. Parfois, il est vrai, l’âme qui contemple s’élance vers Dieu avec une joyeuse ardeur ; elle se sent comme soulevée, portée au-dessus d’elle-même. Son intelligence cesse d’être harcelée par les distractions, et une paix ineffable règne dans sa volonté. Il n’est pas rare que cette paix rejaillisse jusqu’aux facultés sensibles : tout conspire alors à fonder dans cette âme le règne de Dieu ; tout en elle est dans l’allégresse.

Il est certain que lorsqu’elle revêt cette forme si consolante, la contemplation apparaît extrêmement enviable. Au risque de paraître cultiver le paradoxe, disons cependant qu’il est une sorte de contemplation accompagnée d’ennui, de sécheresse, de désolation, qui est de beaucoup préférable à la première. L’excellence de cette contemplation où la souffrance a fait place à la joie, devient d’ailleurs évidente lorsqu’on sait qu’elle est un commencement d’initiation à la vie mystique, comme le vestibule de cette vie, et qu’au travers des fentes de la cloison filtrent déjà quelques rayons de la lumière dont l’âme sera inondée bientôt dans la contemplation infuse.

La contemplation qui a perdu tout caractère joyeux, consolant, pour revêtir cette forme habituellement douloureuse, a été longuement décrite par saint Jean de la Croix, qui l’a appelée du nom de nuit des sens, dénomination que l’usage a consacrée. Essayons de préciser les caractères de cet état si intéressant d’orai>on.

Plusieurs éléments entrent dans sa composition. C’est d’abord une aridité habituelle dont l’âme soutire beaucoup. On se trouve impuissant à méditer ; le moindre raisonnement coûte un effort inouï, ou devient même impossible, et l’imagination, frappée d’une sorte d’atonie, ne peut plus rendre aucun service à l’intelligence. « Lorsque le Seigneur introduit l’âme dans la nuit obscure, il lui refuse toute satisfaction et ne la laisse s’attacher à aucune chose, pour dégager et purifier en elle la partie inférieure. C’est alors un signe presque évident que le dégoût et la sécheresse ne proviennent pas de fautes ou d’imperfections récemment commises. L’âme se trouve dans l’impossibilité de faire usage de l’imagination pour s’exciter à discourir

et à méditer comme auparavant. Le Seigueur ne se manifeste plus à l’âme par la voie des sens, ainsi qu’il le faisait autrefois à l’aide du raisonnement qui compose et divise les matières. Les communications divines suivent maintenant la voie du pur esprit, d’où le discours successif est banni, et fait place à l’acte simple de la contemplation, inaccessible au concours des sens extérieurs et intérieurs. » La nuit obscure, I. I, c. IX.

A cette aridité se joint, surtout dans l’oraison, un souvenir de Dieu qu’il est assez facile de distinguer de celui qui est propre à l’état ordinaire. Ce souvenir est confus, très peu précis, semblable à celui que le seul mot de Dieu, prononcé en notre présence, pourrait éveiller en nous. De plus, ce souvenir revient à tout moment avec une persistance singulière. Si les distractions triomphent de lui pour un instant, il ne tarde pas à faire de nouveau irruption dans l’âme. C’est comme une sorte de hantise, d’idée fixe qui nous suit partout. Et — trait plus caractéristique encore — ce souvenir, loin d’être doux, est amer, lourd, angoissante porter ; il cause une anxiété indéfinissable, un malaise intraduisible, et il éveille des scrupules fort pénibles ; on est porté alors à se demander si l’on aime encore Dieu, et si l’on ne recule pas, au lieu d’avancer. Saint Jean de la Croix observe que cette crainte de n’être plus dans l’amitié île Dieu est précisément le motif qui doit nous rassurer. « Il y a une grande différence enlre cette aridité et la tiédeur, puisque le propre de cette dernière est précisément de rendre la volonté languissante et de chasser de l’esprit toute sollicitude relative aux choses de Dieu. Dans la nuit des sens, la partie sensilive est, il est vrai, abattue, faible et lâche pour agir, n’ayant plus le soutien d’aucune consolation sensible ; toutefois, l’esprit est prompt et plein de vigueur. Quand, au contraire, la sécheresse ne procède que du tempérament, on n’épouve que répugnance et dégoût pour les choses surnaturelles, sans pour cela ressentir Icsirs ardents d’aimer Dieu, propres aux aridités de la voie purgative. » La nuit obscure, I. I, c. ix.

Au témoignage du grand mystique, les faits que nous venons de décrire ne sont que les signes de la nuit des sens. Nous n’avons donc pas encore pénétré la nature intime de cet état ; nous n’avons pas encore découvert son caractère spécifique. Ce caractère se trouve exprimé dans les lignes suivantes de saint Jean de la Croix : n’éprouver dans le principe aucune saveur ; néanmoins il puise une certaine force et vigueur ion dans la nourriture substantielle qu’il reçoit. Cette nourriture est un commencement de contempla-Hon che, ordinairement secrète pour les sens

et imperceptible à celui-là même qui la possède. » La obscure, I. I, c. ix.

Que signifie ce commencement de contemplation re, sinon que la nuit des sens e^t une ébauche d’oraison infuse, un commencement de contemplation

iqueV La nuil des sens n’est dune qu’une péri de transition ; cette purification si pénible n’est que I épreuve préparatoire < laquelle les joies enivrantes de l’union mystique doivent un jour succéder. Elle mérite titre le nom que loi donne le P. Poulain, et qui peint d’une façi I icte sa fonction, le nom d’tM

tous-mystique. La mystique de S. Jean de la Croix, Paris, 1893, c. iv.

La n leur pour cette période si dif flcile d< la vie spirituelle est de toute évidence I Qi

qui subit cette épreuve, I

lui laisser entrevoir les desseins de Dieu il, et

l.i mi nie impatience qui, loin de

taire sonner plus vite l’heure de la grâce, ne ferait que l.i retarder : voilà une esquisse rapidi de ce que doit tti diri’lion.

IV. Dl LACONTI Mil MU. I I i

contemplation i I elle un caracl

I fique qui la distingue de la contemplation acquise et lui donne une entité propre, particulière ? ou bien la première de ces deux oraisons n’est-elle que la seconde renforcée, devenue plus lumineuse et plus ardente ? Nous croyons qu’antérieurement à toute analyse psychologique, il est possible de se faire une conviction sur ce point. Si ces deux sortes de contemplation ne sont, en effet, que des variétés d’un même état, s’il n’existe de l’une à l’autre que des différences d’intensité, à quoi peuvent bien servir tous les ouvrages de mystique ? En séparant la mystique de l’ascétisme ordinaire, et en proclamant que ces deux mondes sont absolument distincts, les plus grands docteurs se sont trompés grossièrement. De plus, en décrivant avec force détails les étais mystiques, ils ont sacrifié à l’imagination, et, pour le moins, perdu leur temps. Il leur suffisait, sans tant disserter, de déclarer que la contemplation acquise avait son couronnement naturel et son plein épanouissement dans la contemplation infuse : toute la mystique eût alors tenu dans quatre lignes.

C’est jusqu’à ces conséquences extrêmes qu’il faut aller, lorsqu’on s’obstine à ne noter entre les deux contemplations que des différences d’intensité, lorsqu’on se contente de dire, par exemple, que l’une se fait dans une lumière plus vive que l’autre, ou qu’elle est accompagnée d’un amour plus embrasé. On a beau hausser le ton et décrire avec enthousiasme l’éclat de cette lumière, la force de cet amour : ce n’est là qu’une amplification oratoire. Tant que le trait distinctjf de ces deux états n’a pas été indiqué, on doit, en bonne logique, les classer tous les deux sous le même titre. Il nous faut donc opter entre ces deux partis : accuser de naïveté les théologiens et les écrivains qui dissertent de la contemplation infuse avec l’ampleur qui convient à une science véritable, ou bien reconnaître qu’entre cette contemplation et celle que nous avons étudiée sous le nom d’acquise, il existe en réalité’une cloison étanche. La première hypothèse est invraisemblable ; personne ne voudrait souscrire à une exécution aussi sommaire de la mystique. Nous sommes donc autorisés à conclure, même avant d’avoir interrogé les faits, qu’il y a un trait essentiel qui distingue la contemplation infuse de la contemplation acquise ; et c’est ce trait essentiel, celle différence spécifique, pour parler comme les philosophes, qu’il nous faut maintenant cherchera préciser. 2 n Gerson a clairement indiqué’la note qui convient à tous les états mystiques sans exception : o II n’en est aucun, dit-il, qui ne soit une connaissance expérimentale de Dieu. « Sur le Magnificat, tr. VII, c. n. I, élément constitutif de la contemplation mystique est donc le sentiment que l’âme éprouve de la présence de i lieu en elle, une sorte de perception, d’expérimentation de Dieu. Le trait qui appartient en propre à la contemplation mystique est Ici nettement marqué’, et il n’est plus à craindre que l’on confonde cetle contemplation avec celle que nous pouvons acquérir par nous-mi n Dans celle dernière, quelle que soi i d’ailleurs la simplicité’des aeies qui ta composent, on pense i Dit u

tandis que dans la conlemplalion infuse, on sent s.i.

ri mente i l’aide d’un sens spirituel qui,

faction d’une grâce spéciale, s’éveille au plus intn le lame.

i orsqu’il s’agit de ce degré dé* la contemplation infuse

qu’on nomme l’union, tous les écrivains, s’appuymt

sur un texte tré connu de ilnti I rdenl

innaltre que dans cel étal l’âme expérimente Mien. Plusieurs oui même pensé que cette connaissance expé «  rimentale de Dieu était la note distinctive « le l’union, le trait qui la différenciait des étals inl de la

quiétude, par exi mple Rien n

n.1 du levl i saillie lien > attl il t I unnm le

,, . ni de i’pi’’iiee de Dieu, il si rail facile il en placer dix autri en dit autant

quiétude. Cornons-nous à quelques extraits. Racontant comment, avant sa conversion définitive, elle (Hait purfois élevée à l’état mystique durant un temps très court : « Quelquefois, dit-elle, au milieu d’une lecture, j’étais tout à coup saisie du sentiment, de la présence de Dieu. Il m’était absolument impossible de douter qu’Une fût au dedans de moi. » Vie par elle-même, c. x. « Durant l’oraison de quiétude, dit-elle ailleurs, l’âme ne voit pas l’adorable maître qui l’instruit ; elle sait seulement avec certitude qu’il est avec elle. » Sur le Cantique des cantiques, c. IV.

Que telle soit aussi la pensée de saint François de Sales, ces quelques lignes extraites de son Traité sur l’amour de Dieu suffiront à le prouver : « L’âme qui est en quiétude devant Dieu suce insensiblement la douceur de cette présence… Elle n’a aucun besoin, en ce repos, de la mémoire, car elle a présent son amant. Elle n’a pas non plus besoin de l’imagination, car qu’est-il besoin de se représenter en image, soit extérieure, soit intérieure, celui de la présence de qui on jouit ? » L. VI,

c. VIII.

D’après Scaramelli, cette expérimentation de Dieu est l’indice irrécusable de la quiétude. « On observera, dit-il, si l’âme connaît Dieu présent par une certaine connaissance expérimentale qui lui fasse sentir et savourer sa présence, et si, sans aucune fatigue, elle sent le calme, le repos et la paix intérieure, du moins dans les facultés spirituelles. S’il en est ainsi, l’âme est déjà élevée par Dieu à ce degré d’oraison. » Directoire mystique, Venise, 1754 ; Paris, 1865, tr. III, n. 32.

Ces citations suffisent, nous semble-t-il, à démontrer que le sentiment de la présence de Dieu s’éveille dans l’âme dès que celle-ci jouit de la contemplation mystique, c’est-à-dire dès que Dieu lui donne l’oraison de quiétude. Ce sentiment, qu’on veuille bien le remarquer, n’est nullement réductible à celui qu’une dévotion ordinaire fait éprouver. Une âme recueillie sous le regard de Dieu, peut, à l’aide de l’imagination, se représenter Dieu présent en elle : rien de plus légitime que cette représentation, et rien qui facilite davantage le recueillement et les épanchements de l’amour. Mais cette image de Dieu, dont nous sommes les auteurs, ne ressemble en rien à la réalité que la contemplation mystique nous fait sentir et nous fait toucher au plus intime de nous-mêmes. De cette perception de Dieu, ainsi que de cet attouchement de Dieu, naît en nous un sentiment qu’on ne peut confondre, quand on l’a goûté une fois, avec aucune des joies de la dévotion ordinaire L’âme s’aperçoit fort bien qu’elle est dans une voie nouvelle, que ce sont choses jusque-là inconnues d’elle. « Quand après une longue étude de la pureté de cœur, dit le P. Louis Lallemant, Dieu vient à entrer dans une âme et à s’y montrer ouvertement par le don de sa sainte présence, qui est le commencement de ses dons surnaturels, l’âme se trouve si charmée de ce nouvel état, qu’il lui semble qu’elle n’avait jamais connu ni aimé Dieu. » Doctrine spirituelle, 7e principe, a. 2, § 1.

La présence de Dieu sentie, tel est donc le caractère fondamental de la contemplation mystique, le trait qui lui donne sa physionomie particulière. Malheureusement, selon la remarque très judicieuse du P. Poulain, « les écrivains de seconde main n’ont pas toujours assez mis cette vérité en lumière dans leurs descriptions. Ils s’attardent à noter les circonstances secondaires qui ne donnent pas d’idées précises. Ils disent, par exemple, que cette contemplation diffère de la contemplation vulgaire en ce qu’elle est plus profonde, plus sublime, plus suave, etc. Mais ce sont là des différences de quantité, non de qualité et d’espèce. » Mystique de S. Jean de la Croix, p. 18, note 1.

3° Jusqu’à présent, notre conception de la contemplation mystique reste passablement nuageuse. Nous savons qu’elle est une sensation spirituelle d’un genre

particulier : c’est quelque chose déjà. Mais ne serait-il pas possible de préciser davantage, d’emprunter, par exemple, à l’un de nos sens corporels une analogie qui éclairerait pour nous la question ? Il a semblé aux écrivains mystiques que l’entreprise n’était pas irréalisable : ils ont cherché quel est celui de nos sens extérieurs qui pouvait nous donner l’idée la plus exacte de la sensation spirituelle produite par l’état mystique, et voici le résultat de leurs recherches. Cette sensation, ont-ils dit. n’a rien d’analogue, du moins dans les degrés inférieurs, avec celle que nous fait éprouver la vue : nous ne voyons pas Dieu dans la contemplation mystique. Les locutions dont se servent les mystiques, comme « contempler Dieu dans l’obscurité, le contempler dans la divine ténèbre » , prouvent bien que la vue spirituelle ne trouve nullement sa satisfaction dans cet état d’oraison. Notre perception de Dieu, du moins dans les premiers degrés de la contemplation mystique, n’est donc nullement une vision de Dieu.

A-t-elle plus d’analogie avec la sensation que nous fait éprouver le toucher ? Oui, répondent les écrivains mystiques ; nous avons la sensation d’être comme immergés en Dieu. Notre sensation a quelque chose de comparable à celle d’une éponge qui est plongée dans l’océan, et qui, de toutes parts, est pénétrée par l’eau. Nous nous sentons comme placés en Dieu, enveloppés par lui, en contact avec lui. On peut donc dire très justement de cette sensation qu’elle est une sorte de palpation de Dieu. « Expliquons par la parité des touches matérielles qui s’opèrent sur les corps, la touche très suave que Dieu produit dans les âmes de ses bien-airnés, en exposant la nature de cette sensation véritable et réelle, mais purement spirituelle, par laquelle l’âme sent Dieu au plus intime de son être et le goûte avec une grande jouissance. » Scaramelli, Directoire mystique, tr. III, n. 122.

4° Une question assez importante trouve ici sa place naturelle : la contemplation mystique nous est-elle accessible ? Pouvons-nous nous hausser jusqu’à elle ? Notre solution différera absolument de celle que nous avons indiquée lorsqu’une question identique s’est posée au sujet de la contemplation acquise. Ni la production de la contemplation infuse, ni sa durée, ni son intensité, ne dépendent de nous : tout ici vient de la munificence divine. « Un soufile de vent, dit Alvarez de Paz, soulève la paille qui est sur la terre et la tient suspendue. Que le vent cesse : la paille retombe à terre. De même, c’est le soufile de l’Esprit-Saint qui suspend les facultés intellectuelles et qui enllamme d’amour la volonté. Sitôt que ce souffle ne soutient plus l’âme, elle retourne aux choses visibles. Nous disposer à la contemplation mystique par une grande pureté de cœur, par l’abnégation, par le sacrifice, voilà ce que nous pouvons. Mais atteindre à cette contemplation, si Dieu lui-même ne nous hausse jusqu’à elle, la chose nous est impossible. » De inquisitione pacis, 1. V, part. II, c. xii.

5° Cette contemplation à laquelle nous ne pouvons nous élever par notre industrie personnelle, nous sera-t-il permis du moins de la désirer et de la demander à Dieu ? Les écrivains mystiques n’ont pas tous abordé la question ; il semble que plusieurs aient voulu esquiver la difficulté. Mais ceux qui n’ont pas reculé devant le problème l’ont tous résolu en affirmant la légitimité de ce désir et de cette demande. Voici d’abord le témoignage d’un de nos mystiques les pluséminents : « Il nous faut, dit Alvarez de Paz, distinguer de la contemplation mystique les dons particuliers qui peuvent lui être ajoutés, tels que les extases, les ravissements, les visions corporelles ou imaginaires. Désirer ces dons et les demander est chose défendue. Celui qui les reçoit doit même décliner avec humilité un si périlleux honneur, et supplier Dieu plutôt de le faire marcher par la voie royale de la souffrance. Quant à la contempla

tion mystique elle-même, est-il permis de la désirer ardemment et de la solliciter avec humilité ? Pourquoi pas ; n’est-elle pas le moyen le plus efficace d’atteindre à la perfection ? Et s’il est légitime de désirer la fin, serait-il interdit de désirer le moyen qui doit conduire à cette fin ?… Si donc, o homme de Dieu, tu t’es disposé autant que le permet la fragilité humaine, si tu te sens pressé par l’aiguillon de l’amour divin, verse, pour obtenir ce bien, verse des torrents de larmes et le jour et la nuit, et ne prends pas de repos que Dieu ne te l’ait accordé. C’est un don : pour l’obtenir, il faut désirer et demander. » De inquisitione pacis, 1. V, part. II,

c. XIII.

Un autre excellent mystique, le P. Surin, dans cent endroits de ses œuvres, propose comme stimulant aux âmes de bonne volonté les joies de la contemplation mystique ; il va jusqu’à déclarer qu’il n’est personne à qui cette contemplation ne soit proposée, personne qui ne puisse s’accuser soi-même d’infidélité à la grâce tant que ce but n’est pas atteint : « Ces biens mystiques sont choses que ceux qui coopèrent à la grâce ordinaire peuvent espérer. On peut dire à chacun qu’il y peut atteindre, et que c’est par sa faute, s’il n’y parvient pas, ayant les aides que Dieu donne en l’Eglise et l’efficacité du sang de Jésus-Christ qu’il a répandu pour acquérir ces trésors aux hommes. » Traité de l’amour de Dieu, I. III, c. i. Le dominicain Valyornera a une thèse intitulée : « Tous doivent aspirer à la contemplation surnaturelle ; » et l’argument dont il se sert pour prouver cette thèse, c’est que la vocation à la sainteté se confond avec la vocation à la contemplation mystique : « Il est utile à tous, dit-il, d’aspirer à une humilité très parfaite, à une douceur très parfaite, à toutes les autres vertus portées à leur degré le plus parfait. Pourquoi serait-il moins utile d’aspirer à l’oraison la plus parfaite ? Il est expédient de désirer une grande sainteté : le sera-t-il moins de la demander très instamment à Dieu comme un moyen de procurer sa gloire ? » Mystica t/teologia, Barcelone, 1662 ; Turin, 1891, part. III. disp. III.

Saint Thérèse affirme aussi avec force que rien n’est plus légitime que le désir des biens mystiques. Elle déclare que nous sommes tous conviés à ce banquet, el elle promet à toutes les âmes de bonne volonté que Dieu leur donnera à boire de a tte eau vive : « Considérez, dit-elle, que Notre-Seigneur nous convie tous ; il est la vérité même ; nous ne saurions douter de la vérité de ses paroles, si ce banquet n’étail pas général, il ne nous y appellerai ! pas tous ; et, quand même il nous appellerait, il ne dirait pas : Je vous donnerai à boire. Il aurait pu dire : Venez ions ; vous ne perdrez rien à me servir ; quant à cette eau céleste, j’en

donnerai boin a ceux à qui il ni" plaira. Mais

comme il ne met de ri striction ni dans son appel,

ni dans sa promesse, je tiens pour certain que tous

cens qui i ront pas en route, boiront enfin de

i., . i Chemin dt la perfection, c. xx.

6° La contemplation infuse est-elle toujours une

p. n. de la générosité, le privilège exclusif des

âmes d’une vertu ; Non certes ; Dieu reste le

maître de ses’ions, et il les répartit comme il l’entend.

ncr de la contemplation mystique n’est

i abli’! ' perfi cti o. pas plus que

bsence ne trahit la médiocrité. Tantôt cette con lemplation "-t donnée a une âme parfaite ; tantôt elle

est ii’lot d’une âme imparfaite ► Brani iti, Oputc,

II. C. MI i n confi or qui constate chez une personne f.ivo il.- l’étal m. tique la survivance de défauta vraiment choquant. ne doit donc m s’en étonner, ni

llll"

que ms I illusion compli

nani son état. Il i’iccorde la

contemplation à une âme très imparfaite, comme compensation d’une épreuve pénible à laquelle il la soumet, ou encore qu’il laisse à une âme de bonne volonté certains défauts très apparents, afin de la tenir constamment dans l’humilité. Il nous faut donc, en cette matière où tout dépend du bon plaisir de Dieu, nous garder des conclusions hâtives et des jugements précipités.

7° Il est certain que tout chrétien qui a la grâce sanctifiante possède les dons du Saint-Esprit, et non moins certain que ces dons demeurent malheureusement oisifs dans beaucoup d’âmes. Le nom lire des personnes chez lesquelles leur action devient perceptible, est malheureusement trop rare. Dans l’état d’oraison qui nous occupe, cette action devient très évidente : la contemplation mystique ne va jamais sans une intervention très active des deux dons d’intelligence et de sagesse.

Pour apprécier à sa valeur le don d’intelligence, il faut comparer les clartés dont il illumine la contemplation infuse, à la lumière vacillante que la simple foi projette sur l’oraison ordinaire. « Entre la lumière de la foi et la lumière du don d’intelligence, dit le P. Pergmayr, il y a une aussi grande différence qu’entre la lumière d’un flambeau et celle du soleil. Si j’entre dans un salon durant la nuit avec un flambeau allumé, je vois tous les tableaux qui s’y trouvent, mais imparfaitement, et non comme je le voudrais, parce qu’ils ne sont pas suffisamment éclairés. Mais si j’y entre en plein midi, lorsque le soleil éclaire tout, alors je vois les tableaux dans toute leur beauté. La lumière du soleil est l’image de celle que le don d’intelligence verse dans nos âmes en nous révélant les mystères dans une clarté vive, éblouissante, qui nous dispense de toute recherche pénible, de toute méditation laborieuse. » Méditations sur les dons du Saint-Esprit. Tournai, 1872, 6 1, médit.

Pendant que le don d’intelligence illumine ainsi la vérité contemplée, le don de sagesse communique à cette vérité une agréable saveur. « Le don d’intelligence, dil saint Bonaventure, a pour mission de pénétrer la vérité, tandis que le don de sagesse a pour fonction de la goûter. » Tract, de dono intelleclus, c. v. Saint Thomas définissait le rôle du don de sagesse en termes non moins heureux : « C’est, disait-il, une science savoureuse. » Sum. theol., I q. xuii, a..", ad 2um. 11 faut donc se garder de confondre les joies de la eontemplation mystique avec celles de la piété ordinaire. « Celles-ci, dit Scaramelli, proviennent de quelque acte de simple foi, en vertu duquel l’âmee Dieu est

présent, tandis que les premières proviennent du don , qui place l’âme près de Dieu en le lui rendant présent par sa lumière, de sorte que non seulement elle croit à sa présence, mais même qu’elle la sent avec une sensation spirituelle très douce, i Directoire mystique, tr. 111. n. " ! ii.

8° Il nous reste a dire quelques mots des degrés de

la contemplation mystique. Lorsque l’on consulte sur

ce sujet les anciens auteurs, on demeure très perpli et l’on ne sait vraiment à quel chiffre s’arn tei Les uns admettent huit d - itres dix, d’autres vont

jusqu’à quinze. Sainte Thérèse rendit un service incomle a la mystique en introduisant de l’ordre dans ce chaos, en créant une classification qui possède tous

née la plus ripoiin

Sa méthode nous explique pourquoi les écrivains qui l’ont pn cédée ont Imaj iné di mbreuz :

ces écrivains accumulaient les faits sans esprit d’tique. | r au Crible, ! < -mander

Diraient pas les uns dans les autri I quence, c’est qu leur plumi la

contemplation se multipliaient et devenaient chaque jour plus nombreux, Sans s.- douter quelle faisait

œuvre scientifique, la sainte inaugura un système de critique qui ruine toutes ces classilications échafaudéi au hasard. La loi de ce système n’a pas été formulée par elle ; mais la voici telle qu’elle se dégage clairement de son œuvre : Joui degré de la contemplation est constitué par un fait nouveau s’ajoutant aux faits des degrés précédents ; et il est nécessaire que ce l’ait soit directement et facilement observable

C’est en vertu de cette loi que sainte Thérèse réduisit à quatre les degrés de la contemplation infuse. A l’échelon le moins élevé se trouve la quiétude ; et ce nom doit être appliqué à toute union mystique dans laquelle l’âme éprouve encore des distractions. Plus haut, nous rencontrons Vunion pleine, dans laquelle le sentiment de Dieu présent est assez fort pour empêcher toute distraction. Néanmoins, dans ce second degré de contemplation, on peut encore recevoir les impressions des sens, et exécuter des mouvements volontaires, et par suite sortir de l’oraison. Dans le troisième degré, au contraire, l’extase, les sens n’agissent plus et tout mouvement corporel est devenu impossible. Vunion transformante, aussi appelée du nom de mariage spirituel, occupe le sommet de la vie mystique. Deux faits la caractérisent : l’àme jouit presque sans interruption de la vue intellectuelle de Dieu ; de plus, elle a conscience d’être déifiée, de participer dans ses actes à la vie divine. Sauf variantes de peu d’importance, cette classification de sainte Thérèse est aujourd’hui généralement admise ; elle est devenue presque classique, et les écrivains qui traitent de la mystique auront intérêt à ne s’en écarter jamais.

Tous les écrivains mystiques ont disserté longuement sur la contemplation, et une foule d’auteurs ascétiques ont touché incidemment à cette question. Une bibliographie complète du sujet serait donc disproportionnée avec le cadre d’un simple article. Nous renvoyons les lecteurs désireux de se documenter d’une façon sérieuse à la savante bibliographie que le P. Poulain a insérée à la suite de son très remarquable ouvrage, Les grâces d’07’aison, Paris, 1901.

P. Le.ieune.