Dictionnaire de théologie catholique/Trinité (missions et habitations des personnes de la)

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 150-163).

TRINITÉ (MISSIONS ET HABITATION DES PERSONNES DE LA).

Ces questions ayant été réservées à l’article Trinité, nous leur consacrons, à la suite de l’étude de la théologie trinitaire, un article spécial. On étudiera donc :

I. Les missions des personnes de la Trinité.

II. L’habitation de ces personnes dans l’âme juste (col. 1841).


I. Missions des personnes de la Trinité.

Les théologiens, dans leurs commentaires de la question xliii de la Somme théologique., ont coutume d’exposer : la notion générale des missions divines, les missions visibles et les missions invisibles.

1° Notion générale.

1. Les éléments d’une mission.

En celui qui est envoyé, la mission comporte un point de départ : quelqu’un l’envoie, et un point d’arrivée : il est envoyé quelque part. Sous le premier aspect, la mission peut provenir d’un conseil, d’un commandement ou même parfois simplement d’une origine naturelle, comme c’est le cas des rayons lumineux « envoyés » par le soleil. Sous le second aspect, celui qui est envoyé peut avoir pour terme un lieu nouveau de séjour, ou même une nouvelle manière d’être dans le même lieu ; mais il faut que ce soit en vertu de sa mission. Ainsi l’ambassadeur député par son gouvernement pour le représenter à l’étranger reçoit une mission ; mais reçoit également une mission le citoyen qui, habitant déjà à l’étranger, y devient représentant de son gouvernement. Un fils, malgré l’origine qu’il tient de son père, n’est pas pour autant envoyé par celui-ci partout où il va, car sa naissance est sans influence sur le lieu qu’il fréquente. S. Thomas, Ia, q. xliii, a. 1 ; Billot, De Deo trino, 7e édit., Rome, 1920, p. 041. En bref, toute mission implique :
1. distinction de l’envoyé et du mandant ;
2. influence du mandant sur l’envoyé et dépendance de celui-ci par rapport à celui-là ;
3. en vertu de cette influence, nouvelle présence de l’envoyé là où il n’était pas, du moins comme tel, auparavant, Galtier, De SS. Trinitate. ii. 391.

2. Application aux personnes divines.

Il convient avant tout de rappeler les trois modes de présence de Dieu, puissance, présence, essence. 'Sum. Theol., Ia, q. viii, a. 3. Conséquemment, Dieu pourra acquérir un mode nouveau de présence soit que, par sa puissance, il exerce en un lieu une opération nouvelle, soit que, par sa providence, il prenne un soin particulier d’une créature, soit que, par son essence, il devienne présent à un être d’une manière plus spéciale, comme c’est le fait du Verbe par rapport à l’humanité qu’il s’est unie dans le mystère de l’incarnation. Cela posé, il est facile de comprendre que Dieu, présent partout et toujours, puisse « venir » en un lieu en acquérant un nouveau mode de présence en ce lieu, ou « s’en aller », s’il vient à abandonner ce mode de présence. L’eucharistie nous offre ici un exemple obvie. Cette « venue » et ce « retrait » se font évidemment sans la moindre mutation en Dieu ; ils marquent simplement un effet nouveau dans le terme extrinsèque qui seul reçoit le changement en raison d’une relation nouvelle avec Dieu, relation de raison de Dieu à la créature, relation réelle de la créature à Dieu.

Ce qu’on peut dire de Dieu en général, on peut le dire des personnes divines (avec la restriction qu’on apportera tout à l’heure en ce qui concerne le Père), chaque fois qu’un effet, propre ou approprié à une personne, se produit ad extra. Ainsi Dieu « visite » son peuple, quand ce peuple est l’objet d’une protection plus spéciale ; ainsi l’Esprit Saint est « venu » féconder la vierge Marie, en raison de la conception virginale.

3. Rapport des missions aux processions.
Quand il s’agit de mission des personnes divines, on ne saurait supposer en la personne qui envoie un acte spécial de volonté, commandement ou conseil, ni une impulsion nouvelle imprimée à la personne envoyée : dans la vie trinitaire, toute l’influence se réduit à la procession d’origine.

De ce principe, il faut immédiatement tirer une conséquence. D’une manière générale, sans doute, les trois personnes divines « accompagnent » toujours la mission de l’une d’entre elles : la mission divine est corrélative à un effet produit ad extra et tout effet ad extra est commun aux trois personnes. Voir ci-dessus, col. 1822 sq. Mais puisque, pour être « envoyée » la personne divine doit recevoir une mission et qu’en Dieu cette mission ne peut être que la procession d’origine, le Père, principe sans principe, ne saurait être envoyé. La mission est donc propre au Fils et au Saint-Esprit. Toutefois, avec le Fils et le Saint-Esprit, le Père peut « venir ». Cf. Joa., xiv, 23.

Cette affirmation, qui semble évidente au premier abord, a cependant soulevé entre théologiens quelque controverse et saint Thomas lui-même a varié de sentiment à ce sujet. Tout d’abord, à la suite de Pierre Lombard, In I" m Sent., dist. XV, q. i, a. 2, il avait admis que la mission divine consistait principalement et formellement dans la production ad extra d’un nouvel effet. C’était également l’interprétation de saint Bonaventure. Mais, dans la Somme théologique, I », q. xliii, a. 2, et ailleurs, le Docteur angélique affirme clairement que la mission divine comporte essentiellement une procession et une origine éternelles, à laquelle se rattache un terme temporel : habitudo divines personæ ad suum principium non est nisi ab œterno. Loc. cit., ad 3 nm. Scot et les scotistes retiennent encore l’interprétation de saint Bonaventure. Question de mots plus que de doctrine, puisque tous admettent que seules sont dites envoyées les personnes du Fils et du Saint-Esprit, termes d’une procession divine. Cf. Salmanticcnses, De Trinitate, disp. XIX, dub. ii, n. 26. Les deux éléments sont nécessaires. Voir plus loin, col. 1833. Une difficulté pourrait être soulevée sur ce point en raison de ce que le Fils est dit « conduit par l’Esprit Saint », Matth., iv, 1 ; Luc, iv, 1 ; cf. Ls., xlviii, 16 ; lxi, 1 (ces deux derniers textes pourraient être appliqués au Christ). Difficulté aisément soluble : rien n’empêche qu’un effet particulier de la mission

plus générale du Fils, effet relevant de la nature humaine, soit placé sous l’influence spéciale de l’Esprit Saint. D’ailleurs, en ce qui concerne Isaïe, le texte hébreu signifie non pas l’Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité, mais la divinité. Cf. Pesch, De Deo trino, n. 654 ; XIe concile de Tolède, Denz.-Bannw. n. 285.

4. Définition et division. —
En tenant compte de ces nuances théologiques, on pourrait définir la mission d’une personne divine : « l’éternelle procession de la personne envoyée en relation avec un effet temporel produit dans la création. » Galtier, n. 394. Un double élément est ici indiqué, qui permet de réduire le léger conflit auquel on a fait allusion. La procession divine comporte tout d’abord la procession éternelle, marquant l’influence du mandant sur l’envoyé et se prolongeant dans le temps par l’acquisition d’une relation nouvelle à la créature ; ensuite l’effet temporel, produit par la personne envoyée et qui justifie le nouveau mode de présence, fondement de la nouvelle relation. On notera que cet effet temporel doit être un effet libre. Cf. Galtier, n. 394, 397 ; Billot, p. 642.

On divise les missions divines en missions visibles et missions invisibles. La mission est visible ou invisible selon que la personne envoyée acquiert dans le monde créé un nouveau mode de présence visible ou invisible. Mission visible du Fils : l’incarnation ; du Saint Esprit : les langues de feu à la Pentecôte. Mission invisible du Fils dans l’âme où il vient habiter avec le Père, Joa., xiv, 23 ; du Saint-Esprit, par les effets invisibles de la grâce sous toutes les formes : illumination, révélation, justification, etc.

Jean de Saint-Thomas établit entre l’une et l’autre mission trois points de ressemblance et trois points de dissemblance. Ressemblances : l’une et l’autre mission sont ordonnées à la manifestation de la personne envoyée et de sa mission ; à une communication spéciale des personnes divines à la créature vers laquelle sont envoyées ces personnes ; à la sanctification de cette créature ainsi ramenée vers sa fin surnaturelle. Dissemblances : la mission visible est réalisée dans un effet sensible qui manifeste et représente la personne envoyée, soit par une union substantielle à la créature (mystère de l’incarnation), soit par une apparition qui est le signe de la personne envoyée et de la sanctification par elle opérée, tandis que la mission invisible est réalisée uniquement dans l’effet intérieur et spirituel de l’âme qu’elle sanctifie. La mission visible attire d’une certaine manière la personne divine en ce monde ; la mission invisible entraîne plutôt la créature vers Dieu. Enfin, dans la mission visible, une personne se manifeste sans l’autre ; dans la mission invisible, le Fils et le Saint-Esprit sont envoyés, mais le Père vient avec eux. De Deo trino, disp. XVII, a. 2, n. 3.

Missions visibles.
1. Existence.
Le fait de la mission visible du Fils et du Saint-Esprit est si clairement indiquée par l’Éciiture qu’il est, sans contestation d’aucun théologien, un dogme de la foi. En ce qui concerne la mission visible du Fils dans l’incarnation, les textes abondent chez saint Jean : I Joa., iv, 9, 10, 14 ; cf. Joa., iii, 17 ; iv, 34 ; v, 24, 36-38 ; vi, 29, 38, 39, 40, 44, 58 ; vii, 16, 18, 28, 29, 33 ; viii, 16, 18, 26, 29 ; x, 36 ; xi, 42 ; xii, 49 ; xiii, 20 ; xiv, 24 ; xvii, 3, 8, 18, 21, 23, 25 ; xx, 21. Voir aussi Rom., viii, 3 ; Gal., iv, 1. En ce qui concerne la mission visible du Saint-Esprit, elle est promise par le Christ, Joa., xiv, 26 ; xv, 26 ; cf. xvi, 7, 13 ; réalisée à la Pentecôte, Act., il, 1-5 ; cf. Gal., iv, 6. L’apparition des langues de feu n’est pas d’ailleurs la seule mission visible du Saint-Esprit. Voir plus loin.

La mission visible du Fils est unique. C’est l’incarnation. Mission substantielle, en ce sens qu’elle fut réalisée par l’union hypostatique. Voir Hypostatique (Union), t. vii, col. 512 sq. Il était convenable que cette mission fût substantielle, en raison du but poursuivi dans la rédemption, la réparation surabondante et infinie pour les péchés des hommes. Il était convenable aussi qu’elle fût visible, afin que le Fils pût mieux révéler le Père et apparaître aux hommes comme l’auteur de leur sanctification. Voir Incarnation, t. vi, col. 1464 sq.

Les missions du Saint-Esprit sont, disent les théologiens, au moins au nombre de quatre : deux à l’égard du Christ lui-même, à son baptême sous la forme d’une colombe, Matth., iii, 16 ; Luc, iii, 22 ; à la transfiguration, sous la forme d’une nuée lumineuse, Matth., xvii, 5 ; Marc, ix, 6 ; Luc, ix, 34-35 ; II Petr., i, 17 ; deux à l’égard des apôtres, après la résurrection du Sauveur, quand le Saint-Esprit leur fut donné par le Christ d’une manière sensible, en soufflant sur eux, Joa., xx, 22 ; à la Pentecôte, sous la forme de langues de feu. Act., ii, 3-4. Certains auteurs rattachent aussi à une mission visible du Saint-Esprit la prédication extraordinaire des apôtres, Act., n (en entier), les manifestations charismatiques de la primitive Église. Act., viii, 6-13, 17-18 ; x, 44-46 ; xi, 15 ; xix, 6, etc, Cf. A. d’Alès, De Deo trino, p. 262 ; Galtier, n. 467. Mais, sous ces manifestations diverses, la mission du Saint-Esprit est purement représentative. Galtier, n. 466.

2. Relation aux personnes divines.

La doctrine sur ce point a été nettement formulée par A. d’Alès, th.xii, p. 257. Considérée dans son terme, terminative, la mission visible se réfère à la seule personne envoyée ; considérée en elle-même, elle est l’œuvre commune des trois personnes. Autre chose, en effet, est la formation du signe, ordonné à la manifestation d’une chose ; autre chose, la manifestation même de la chose par ce signe. Le premier aspect relève de l’opération ad extra et par conséquent de la volonté et de la puissance communes aux trois personnes ; le second se termine à la personne signifiée, qui peut être unique. Ainsi, dans l’incarnation, l’œuvre même de l’incarnation a été réalisée par la volonté et la puissance des trois personnes ; si on la rapporte plus spécialement au Saint-Esprit, cf. Luc, i, 35, c’est par appropriation. Ainsi, à la Pentecôte, la formation des langues de feu fut l’œuvre commune des trois personnes ; mais la manifestation humaine du Verbe par l’humanité du Christ s’est terminée au seul Verbe et la manifestation de l’Esprit par les langues, au seul Esprit. Seulement, tandis que la manifestation de l’Esprit saint est purement représentative et n’implique qu’une mission représentative, sans autre union avec la personne représentée qu’une simple relation de raison, la manifestation du Verbe dans l’incarnation est réelle ; elle implique une mission substantielle, possible et réalisée par 1’ « assomption de l’humanité à l’hypostase du Fils de Dieu. Voir Hypostatique (Union), t. vii, col. 518-510 ; Galtier, n. 465.

La mission visible du Fils et du Saint-Esprit sera donc la manifestation temporelle de l’une de ces deux personnes, grâce à un signe sensible réalisé par les trois personnes en vue de cette manifestation strictement personnelle. Le Père ne peut être « envoyé » visiblement, mais il peut sensiblement manifester sa présence, c’est-à-dire « venir » visiblement, lui aussi. Au baptême du Christ, ne s’est-il pas manifesté en disant : Celui-ci est mon Fils hien-aimé » ? Matth., m, 17 ; Luc, iii, 22.

Mais, si la mission visible doit être manifestée par un signe sensible qui permette de discerner la personne envoyée, on ne pourra considérer comme signes de mission les visions imaginatives des anciens prophètes, connues d’eux seuls ; les apparitions angéliques sous formes humaines, manifestation d’anges et non de personnes divines ; ni même la collation du Saint-Esprit par le signe sensible du sacrement, car le signe sacramentel produit en la signifiant la grâce œuvre du Saint-Esprit, mais ne la manifeste pas. Il est tout au plus le signe sensible d’une mission invisible.

Missions invisibles.

1. Le fait des missions invisibles affirmé par l’Écriture,

L’Écriture semble attribuer à une mission du Fils (de la Sagesse divine) l’œuvre de la création. Prov., viii, 38 ; Sap., viii, 1, etc. ; cf. Joa., i, 3 ; v, 17. Mais il y a aussi une mission invisible du Fils dans l’âme des fidèles. Car, si Dieu vient dans l’âme des justes, le Père y habitera avec le Fils, Joa, xiv, 23 ; Jésus est dans le Père, ses disciples sontenlui et lui en eux, Joa., xiv, 27 ; cf. Eph., iii, 17 ; IJoa., ii, 24 ; iv, 12-13, 15, 16.AinsileChrist vit dans le juste, Gal., ii, 20 ; cf. Rom., viii, 10, parce que le juste vit dans la foi du Christ, Gal., ii, 21 ; cf. Eph., m, 17. Ceux qui ont été baptisés ont revêtu le Christ, Gal., iii, 27 ; cf. Rom., vi, 3-5. Ils en sont devenus les membres. I Cor., xii, 27 ; Eph., iv, 15-16.

La présence du Fils entraîne celle du Saint-Esprit. Rom., viii, 10-11 ; Gal., iv, 4-6. La mission invisible du Saint-Esprit en vue de la sanctification des âmes est déjà peut-être entrevue dans l’Ancien Testament. Is., xi, 1-3 ; xli, 1 ; Ez., xxxvi, 27 ; Zach., xii, 10. Elle est fréquemment mentionnée dans le Nouveau. Tout d’abord le Saint-Esprit y est représenté comme la cause immédiate de la collation des grâces, surtout par les sacrements : l’accès du royaume de Dieu n’est promis qu’à ceux qui renaissent de l’eau et de l’Esprit ; Joa., iii, 5 ; cf. Tit., iii, 5 ; Act., ii, 38 ; II Cor., i, 22 ; Eph., i, 13, 14 ; iv, 30. C’est au nom du Saint-Esprit, uni au Père et au Fils, qu’est conféré le baptême, Matth., xxviii, 19, comme c’est par la vertu du Saint-Esprit qu’est communiqué le pouvoir de remettre les péchés. Joa., xx, 22. De plus, le Saint-Esprit apparaît comme la cause exemplaire à laquelle se rapporte l’effet de sanctification produit dans les âmes, quel que soit l’aspect que revête cet effet. Aux persécutés, l’Esprit-Saint suggérera ce qu’ils doivent répondre à leurs persécuteurs. Matth., x, 19-20 ; cf. Luc, xii, 1112. Le Christ enverra ainsi sur les apôtres qui doivent être ses témoins dans le monde l’Esprit promis par le Père, Luc, xxiv, 49 ; ainsi, par l’Esprit et grâce à leur foi, ils deviendront des « sources d’eau vive ». Joa., vu, 38. Le Christ a donc prié son Père et celui-ci donne aux apôtres le Paraclet, Esprit de vérité, qui demeurera avec eux pour l’éternité ; il demeurera près d’eux, en eux, Joa., xiv, 16-17 ; demeurant en eux, il leur enseignera toutes choses, Joa., xiv, 25-26 ; et, par eux, portera témoignage en faveur du Christ. Joa., xv, 26 ; cf. xvi, 13-15 ; Act., i, 8. Par l’Esprit-Saint qui nous a été donné, la charité de Dieu est répandue en nos cœurs ; aussi notre espérance ne saurait-elle être déçue. Rom., v, 5 ; cf. Gal., iv, 6. C’est l’Esprit-Saint qui aide notre faiblesse et, pour nous, demande en « gémissements inénarrables » ce qui nous convient. Rom., viii, 26. Le sang du Christ, offert par lui à Dieu, purifie notre conscience de ses œuvres mortes. Hebr., ix, 14. L’Esprit laisse dans l’âme une onction permanente. I Joa., ii, 20, 27. Habitant en nous, il sera le principe de notre résurrection, comme il fut celui de la résurrection du Christ. Rom., viii, 11. Cette venue du Saint-Esprit, promise par le Christ, est pour nous le principe d’une déification, IPetr., i, 3-4, d’une filiation et d’une adoption divines, Rom., viii, 14-16 ; elle fait de nous le temple de Dieu, le temple de l’Esprit-Saint. I Cor., vi, 19 ; cf. iii, 16 ; II Cor., vi, 16. Sur toute et exposé, voir A. d’Alès, De Deo trino, p. 262-263.

Dans ces textes. l’Esprit Saint apparaît comme l’artisan propre et immédiat du salut des hommes. On remarquera cependant qu’aucun de ces textes ne l’indique expressément comme l’unique artisan du salut, à l’exclusion du Père et du Fils. S’il est indiqué ici comme l’intermédiaire entre les deux premières personnes et nous, on peut conjecturer que c’est en raison de l’ordre de son origine : procédant du Père et du Fils, ou du Père par le Fils, il achève et couronne, par sa mission invisible dans les âmes, l’œuvre de la Trinité tout entière. Cette solution semble implicitement contenue dans les textes où se trouve affirmée, en la mission de l’Esprit, l’union intime des trois personnes. Ainsi, après avoir promis à ceux qui gardent ses commandements l’habitation permanente du Saint-Esprit, Joa., xiv, 16-17, le Christ ajoute, quelques lignes plus loin : « Si quelqu’un m’aime, il gardera mes commandements et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et ferons notre séjour en lui. » Ibid., 23. L’expression « temple de Dieu », ICor., iii, 16-17 ; II Cor., vi, 16, est l’équivalent de « temple du Saint-Esprit », I Cor., vi, 19. Pareillement les formules èv Xpiaftp’iffjaoû et èv ITveôfxaTi sont, chez saint Paul, la plupart du temps, interchangeables. Cf. F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 6° édit., note M, p. 476-480.

2. L’affirmation de la Tradition.
Toute la Tradition reprend les deux idées maîtresses des textes scripturaires : mission invisible du Fils et surtout du Saint-Esprit, à l’occasion de la sanctification des âmes, et habitation dans les âmes ainsi visitées des personnes de la Trinité.

a) Déjà à l’époque subapostolique, saint Ignace d’Antioche exhorte les fidèles à garder leurs corps, temple de Dieu, Ad Phil., ix, 2 ; à agir en tout comme si Dieu habitait en nous, de telle sorte que nous soyons ses temples et que notre Dieu soit avec nous, Ad Eph., xv, 3. Aussi sommes-nous 0eo<popot et XpiOTO<p6pot. Ibid., ix, 2.

b) Saint Irénée rappelle fréquemment que le Fils, envoyé par le Père, nous révèle celui-ci en nous. Cont. hier., IV, vi, 3-7, P. G., t. vii, col. 987 C-990 C. « L’Esprit se mêle à l’âme… Sont parfaits ceux qui possèdent en eux habituellement l’Esprit de Dieu » ; V, vi, 1 et 2 ; vm, 1-2, col. 1137 A-1139 B ; 1141 C-1142 B. Voir aussi Demonstratio, 7, 47, P. O., t.xii, p. 760, 779. Cf. A. d’Alès. La doctrine de l’Esprit dans saint Irénée, dans Rech. de science rel., 1924, p. 521, 525-530. Bien plus, le Père, le Fils et l’Esprit-Saint sont doublement unis dans l’oeuvre de la sanctification des hommes, tout d’abord en ce que le don de Dieu descend du Père au Fils et du Fils au Saint-Esprit pour parvenir aux hommes ; ensuite, en ce que l’hommage de l’homme monte par l’Esprit-Saint au Fils et par le Fils au Père avant que soit consommé son salut. Cette économie divine, conforme à l’ordre des processions trinitaires, se prolonge dans l’effusion du Saint-Esprit dans les âmes : « Descendu sur le Fils de Dieu devenu Fils de l’homme, le Saint-Esprit se repose dans les hommes et habite dans les créatures de Dieu, y opérant la volonté du Père par une transformation de l’homme ancien au nouveau. » Cette action de l’Esprit-Saint s’achève dans la prédication de l’Évangile et la vie de l’Église. Ibid., III, xvii, 1, 2, col. 929 B-930 A ;

IV, xx, 5, col. 1035 AB ; cf. xxxiii, 7, col. 1077 A ; xxxvi, 1, 5, col. 1090-1094 ; xxxviii, 3, col. 1108 B ;

V, xxxvi, 2, col. 1223 B.

c) Terlullien enseigne que l’Esprit-Saint, reçu dans la régénération baptismale, est perdu par le péché et recouvré par la pénitence. De pœnitentia, n ; De pudicitia, ix, P. L. (1844), t. i, col. 1229 B ; t. ii, col. 997 CD. Cf. Galtier, De pœnitentia, n. 148-151.

Les Pères grecs enseignent communément que les créatures raisonnables, hommes et anges, ne peuvent être justifiées, sanctifiées et déifiées que par leur participation aux personnes divines. Ils recourent fréquemment, pour prouver la divinité du Fils ou du Saint-Esprit à l’argument suivant : Notre sanctifica tion ou déification consiste dans la sainteté divine participée ; or, cette sanctification est réalisée par notre participation au Fils et au Saint-Esprit. Donc le Fils et le Saint-Esprit sont la sainteté substantielle, la substance divine. Ainsi,

d) Saint Athanase enseigne notre déification dans le Père par notre participation au Fils. De syn., 51, P. G., t. xxvi, col. 784 AB ; 53, col. 788 CD ; Ad Serap., n, 4, col. 613 C ; Cont. arianos, Or. i, 9, col. 29 A ; De décret. Nie, 24, t. xxv, col. 460 A. Même enseignement touchant le rôle du Saint-Esprit, onction et sceau dans lesquels le Verbe imprime son onction et sou sceau (à propos de I Joa., iv, 13), Ad Serap., i, 24, t. xxvi, col. 585 C-588 A ; cꝟ. 22-23, col. 584 AD ; 31, col. 600 AC. Il s’en faut toutefois que, dans cette œuvre de sanctification, Athanase sépare le Père du Fils et de l’Esprit-Saint ; cette œuvre est èx Ilarpoç Si’Yloû èv Ilveû(xaTi * Ayîw. Cf. Ad Serap., i, 20, col. 577 B-580 A. Et, de ce que, par l’Esprit-Saint, l’homme est rendu participant de la nature divine, cf. II Petr., i, 4, I Cor., iii, 16-17 ; I Joa., iv, 13, Athanase déduit que l’Esprit-Saint est Dieu. Ibid., 24-30, col. 588 B600.

e) Cette même idée fait le fond du tra’té de Didyme sur le Saint-Esprit. Voir surtout 4-7 et 51-53, P. G., t. xxxix, col. 1036 A-1039 A, 1076 C-1079 A. Mais le pouvoir sanctificateur est commun aux trois personnes : « Communier au Saint-Esprit, c’est communier au Père et au Fils ; avoir la charité du Père, c’est l’avoir du Fils, procurée par le Saint-Esprit ; participer à la grâce de Jésus-Christ, c’est avoir la même grâce donnée par le Père au moyen de l’Esprit. En tout cela se manifeste leur identité d’opération à tous trois. » Ibid., 17, col. 1049 CD. Voir aussi, en ce qui concerne la participation au Fils, 53, col. 1078 A.

f) Saint Basile enseigne pareillement que la sainteté s’acquiert par la présence du Saint-Esprit dans l’âme. In ps. xxxii, 4, P. G., t. xxix, col. 333 C ; cf. De Spiritu sancto, xxvi, 61, t. xxxii, col. 180 C-181 A. Les âmes qui « portent l’Esprit-Saint » (7rveufjL<xTo<p6poi) deviennent spirituelles elles-mêmes et répandent la grâce sur les autres. Mais, ici encore, aucune exclusivité : c’est Dieu qui habite en nous par l’Esprit-Saint. Adv. Eunom., t. III, 4-5, t. xxix, col. 661 C-665 B. Bien plus, toute l’économie de notre sanctification doit être comprise de sorte que le Père en est l’auteur, le Fils l’artisan et le Saint-Esprit le principe perfectif, tt)v 7rpoxaTapTix- ? ; v at-rlav… tov IlaTépa, tyjv STQfiioupyix^v -tov Yî6v, tt)v TeXeicùTix^v to IIveû(ia. Non certes qu’il manque à chacune des personnes quelque chose de la puissance opérative commune, mais parce que chaque personne apporte à cette puissance commune un reflet de sa propriété personnelle. De Spir. s., xvi, 37-38, t. xxxii, col. 136 D-137 A. Saint Basile va même jusqu’à interdire de séparer le Père, le Fils et le Saint-Esprit dans l’œuvre commune : ’AyiâÇei xal Çwo7ro’.eï xal (pcùxlÇet xal 7rapaxaXeî, xat toxvtoc xà Toiaûra, ô^otwç ô IIaT7)p xal ô Tloç xal t6 IIveû[j.a t6 "Aytov. Epist., clxxxix, 7, t. xxxii, col. 693 A.

Dans quelques passages, saint Basile semble attribuer exclusivement au Saint-Esprit le rôle de sanctificateur. Cf. Epist., ccxiv, 4, col. 789 B ; ccxxxvi, 6, col. 884 B ; De Spir. s., xvi, 38 ; xviii, 46, col. 136 D, 152 B. Il multiplie les comparaisons pour faire comprendre comment l’Esprit-Saint est en nous. Ibid., xxvi, 61, col. 180 C-182 B. Ces passages doivent être interprétés conformément à la doctrine générale des écrits de Basile. Or, celui-ci rejette énergiquement l’erreur qui consisterait à faire, en Dieu, de la sainteté, la propriété exclusive de la troisième personne. Voir Epist., cxxv, 3, col. 549 B ; De Spir. s., xviii, 47 ; xix, 48, col. 153Bet 156 BC ; Adv. Eunom., t. III, 2-3, t. xxix, col. 660 A-661 B. Si donc il parle de la sanctification comme œuvre propre du Saint-Esprit, c’est pour montrer que l’Esprit-Saint participe à la nature sanctificatrice, commune aux trois personnes ; donc qu’il est Dieu comme le Père et comme le Fils. Cf. Epist., viii, 10, t. xxxii, col. 261 C-264 B (la lettre serait d’Évagrius, cf. Lebreton, Bech. de science rel., 1924, p. 344). Les passages du De Spiritu sancto indiqués plus haut suffiraient d’ailleurs à montrer que cette œuvre sanctificatrice est aussi l’œuvre du Père et du Fils. « En toutes choses, le Saint-Esprit est inséparable et absolument indissociable du Père et du Fils. » De Spir. s., xvi, 37, col. 133 A.

Voir l’exposé et l’interprétation de la doctrine de Basile dans Galtier, L’habitation en nous des trois personnes, Paris, 1928, p. 75-90. Si Basile paraît parfois attribuer au Saint-Esprit d’une manière exclusive la propriété sanctificatrice, c’est que, à défaut d’autre trait distinctif et de nom personnel, il a fallu trouver dans la sainteté (le Saint-Esprit) une sorte de propriété distinctive de la paternité et de la filiation.

g) Cet embarras et cette appropriation de la sainteté à la troisième personne se retrouvent chez saint Grégoire de Nazianze, Or., xxvi, 16, P. G., t. xxxv, col. 1221 AB ; xxxi, 4, t. xxxvi, col. 137 A ; ce qui n’empêche pas cet auteur de reconnaître au Fils le pouvoir de sanctifier par lui-même. Il est, lui aussi, àyiaau, 6c ;. Cf. Or., xxx, 20, col. 130 D (d’après I Cor., i, 30). C’est par la communication de sa personne qu’on explique la sanctification exceptionnelle de sa nature humaine : il est Xpiaroç Sià ttjv 0e6T7)Ta. Ibid., 21, col. 132 B.

h) Plus explicitement encore saint Épiphane rapporte à la Trinité tout entière l’inhabitation dans une âme juste devenue son tabernacle saint et son temple sacré. Ancoralus, 73, P. G., t. xliii, col. 153 C ; il proclame que « toute la Trinité est appelée sainte… Ils sont trois agissants, trois coagissants, trois saints, trois saints ensemble, rpta écyta, xpta auvâyia…, xpla èvepyà, Tpîa (Twepyde ». Ibid., 67, col. 137 C. Voir aussi, contre l’idée trithéiste d’un partage de la puissance divine entre les trois personnes, saint Grégoire de Nysse, Cont. Eunomium, ii, P. G., t. xlv, col. 472 A ; Quod non sinl très dii, col. 125 D-129 A ; S. Jean Chrysostome, In Joannem (xx, 22), hom. lxxxvii, 3, P. G., t. lix, col. 471. Saint Hilaire, qui touche de si près à la pensée grecque, n’hésite pas à briser nettement l’appropriation de la sainteté à la troisième personne : « Il n’y a pas à se troubler de voir le nom de Saint-Esprit appliqué fréquemment au Père et au Fils ; la raison en est seulement que l’un comme l’autre est également et esprit et saint. » De Triniiate, III, 30, P. L., t. x, col. 70 B-71 A. Cf. Galtier, op. cit., p. 69-74.

i) Cyrille d’Alexandrie offre des formules plus riches et plus variées. Le fond de la doctrine est le même. Notre retour à Dieu, dit-il, s’effectue par le Sauveur Jésus-Christ et par la participation et la sanctification de l’Esprit qui nous unit à Dieu et, par là, nous rend participant de la nature divine. 7n Joannem, t. XI, c. x, xii, P. G., t. lxxiv, col. 544 D-545 A ; 577 A. Cꝟ. t. X, c. ii, col. 333 A ; t. I, c. xiii, t. lxxiii, col. 157 A ; Thésaurus, ass. 34, t. lxxv, col. 576 C, 584 D, 592 D, 604 D. 609 A.

Si notre docteur applique au Saint-Esprit l’expression d’ « agent personnel » de sanctification (oojroupyov ou aô-roupyeïv), c’est pour l’opposer aux agents de sanctification créés. Ceux-ci, en effet, n’ont pas d’euxmêmes et en eux-mêmes le pouvoir de sanctifier ; s’ils ni reçoivent la mission, ils ne peuvent communiquer qu’une sainteté reçue du dehors, par participation (ifÇ(j)Œv, …èx’iiETo/î-ç). Tel n’est pas le pouvoir du Saint-Esprit, bien que les hérétiques affirment le contraire. Cf. Thésaurus, ass. 34, col. 593 A, 596 D : « Si l’Esprit-Saint n’agit pas en nous par lui-même (oùx aÙTOupyeî) et si, au lieu d’être par nature ce que dit son nom de saint, il reçoit d’abord par participation qi.£Toxtxûç xod iL£TaV/)7ruxtoç) la sainteté que l’essence divine déverse sur lui pour qu’il nous la transmette (êx7ts(jntei)> ensuite la grâce dont il a été gratifié lui-même, c’est par une créature que la grâce (dite) du Saint-Esprit nous est administrée. Tout cela est faux… C’est par lui-même que l’Esprit agit en nous (ocÙTOopyov àpa to IIveû(i.a èv 7]tnv) ; il nous sanctifie vraiment et il nous unit à lui-même en nous appliquant (en quelque sorte) à lui-même ; ainsi nous rend-il participants de la nature divine. » Col. 597 C, trad. Galtier, op. cit., p. 60.

En parlant de la mission sanctificatrice propre au Saint-Esprit, il ne s’agit donc pas d’opposer la troisième personne au Père et au Fils dans une mission où une opération lui serait exclusivement propre ; Cyrille affirme simplement que le Saint-Esprit, étant Dieu, ne saurait recevoir d’autre que de lui-même, en tant que Dieu, ce pouvoir sanctificateur et que, par là, il se distingue des créatures qui reçoivent ce pouvoir d’ailleurs. Cette doctrine est fortement énoncée dans le Thésaurus, loc. cit., col. 593 A-597 C. D’ailleurs Cyrille revendique aussi pour le Fils le pouvoir sanctificateur. Si le Fils possède ainsi en propre, lui aussi, le pouvoir sanctificateur, c’est qu’il possède la nature divine, sainte par essence, De Trin., dial. vi, col. 1008 D. 1017 D, 1120 AC, 1121 AB. Ayant la nature divine, il nous la fait participer. Dial. iii, col. 833 C, 837 A. Le Fils est « saint substantiellement », oùoiwSwç ôroipxtûv eroçta xod Çw$)… ôaioç, Syioç, <5cya00ç.. In Joan., t. XI, c. vii, t. lxxiv, col. 497 D-500 A. Saint par nature, il lui appartient aussi de sanctifier, àyiàÇei yàp aùréç, <£yioç àv xaxà cpôciv, De Trin., dial. vi, t. lxxv, col. 1013 D, 1017 B ; cf. dial. iv, col. 904 AB et 905 A ; Ado. Nestor., t. IV, c. ii, t. lxxvi, col. 180 B. Bien plus, si notre union au Fils nous renouvelle intérieurement, c’est qu’elle nous unit aussi au Père. In Is., t. III, tom. i, t. lxx, col. 580 CD ; In Joan., t. XI, c. viii, t. lxxiv, col. 509 C ; cf. In Hebr. (n, 17), col. 968 C. L’eucharistie est un moyen de réaliser cette participation à la nature divine. In Joan., t. XI, c. xi, col. 564 D-565 A, 577 A.

D’ailleurs, il est impossible de séparer une personne de l’autre dans leurs œuvres extérieures. Cyrille enseigne cette vérité sous un triple aspect : dans ses commentaires sur les Écritures, celles-ci montrant que le Saint-Esprit est inséparable du Père et du Fils, In Joan. (xiv, 23), t. X, t. lxxiv, col. 289 D ; (xvii, 17, 18, 19), t. XI, col. 544 D-545 A ; (xx, 22), t. XII, col. 709 B-717 ; voir aussi In / »  » ad Cor. (xii, 3, 4), col. 885 A ; dans ses essais dogmatiques, en reconnaissant que le Saint-Esprit possède la nature divine, 771es., loc. cit., t. lxxv, col. 593 D ; De Trin., dial. vi, col. 1012 C ; dans sa polémique contre Nestorius ou contre Julien, anath. ix (epist. xvii), t. lxxvii, col. 121 B ; Cont. Julianum, t. I, t. lxxvi, col. 533 B et D. Cf. A. d’Alès, op. cit., p. 270-271.

Mais alors pourquoi parler de mission sanctificatrice ou de pouvoir sanctificateur propre au Saint-Esprit ? Saint Cyrille s’est posé l’objection. De Trin., dial. vii, roi. 1120 BC. La réponse qu’il y fait nous ramène toujours au même point : le Saint-Esprit a la sainteté du Fil » et du Père et il ne l’a qu’en vertu de sa procession ; il ne l’a donc pas par une participation, eomnu une créature pourrait l’avoir. Il la tient, Comme m<- propriété de nature, en raison de sa divinité et c’est la raison pour laquelle il nous sanctifie et opère par lui-même en nous. De Trin., dial. vii, col. 1093 I) ; 1(196 A ; In Joan.. t. XI, c. iii, t. lxxiv, COJ, 177 C l.n niiiiiic, « l’erreur a laquelle 69 a toujours notre docteur conteste uniquement quc le SaintEsprit possède de lui-même et par nature la sainteté qu’il communique ; (par là) le nom de « saint » n’aurait pour lui qu’une valeur relative. Il ne serait pas plus naturellement saint que le Verbe n’était fils d’après les ariens ; dans les deux cas, ces deux notes seraient prises au sens métaphorique et ne s’appliqueraient pas plus en propre aux deux personnes divines qu’aux divers êtres créés ». P. Galtier, op. cit., p. 67.

j) Les Pères latins parlent aussi de la mission invisible du Fils ou du Saint-Esprit. Mais leur pensée apparaît claire et précise. Une mission divine, explique saint Augustin, n’existe que grâce à une manifestation temporelle de la personne envoyée. De Trin., t. II, c. v, n. 9, P. L., t. xlii, col. 850. Dans le Nouveau Testament, l’incarnation marque la venue visible du Fils, comme les communications de la Sagesse aux patriarches et aux prophètes marquent sa venue invisible dans l’Ancien Testament. Ibid., t. IV, c. xx, n. 28, col. 907. Ces missions n’entraînent aucune infériorité en celui qui est envoyé ; la mission ne le fait pas être, elle le fait connaître, car « comme être né, c’est, pour le Fils, être du Père, être envoyé c’est, pour lui, être connu comme étant du Père ; comme être le don de Dieu (pour le Saint-Esprit), c’est procéder du Père ; être envoyé, c’est être connu comme procédant du Père ». Ibid., n. 29, col. 908. Cf. Cont. serm. arianorum, t. I, n. 4, ibid., col. 685. La formule augustinienne mitti est cognosci est classique. De Trin., t. IV, c. xx, n. 29, t. xlii, col. 908.

Si la grâce de l’habitation confère à l’âme un mode de présence de Dieu différent de l’ubiquité divine, cette habitation par une personne n’est pas exclusive de l’habitation des autres personnes. Il faudrait méconnaître absolument leur inséparabilité pour oser dire que, là où est le Saint-Esprit, le Père et le Fils ne sont pas. Epist., clxxxvii, n. 16, t. xxxiii, col. 837838. Voir la même doctrine chez Fulgence de Ruspe, Ad Thrasimundum, t. II, c. xv, P. L., t. lxv, col. 263 C ; cf. Epist., xiv, q. iv, ibid., col. 427.

Ce qui n’empêche pas Augustin d’attribuer au Saint-Esprit le don de Dieu à l’âme. Voir ci-dessus et De fide et symbolo, n. 17, 18, t. xl, col. 190-191. Mais il l’explique ainsi : « L’amour qui est de Dieu et qui est Dieu est proprement l’Esprit-Saint, par qui est répandu en nos cœurs la charité de Dieu qui fait habiter en nous toute la Trinité. » De Trin., t. XV, n. 31-37, t. xlii, col. 1082-1086. Voir, pour plus de détails sur l’enseignement des Pères, Petau, De Trinitate, ]. VIII, c. iv-v ; Ruiz, De Trinitate, disp. CIX.

3. Doctrine des théologiens.
Interprétant ces données scripturaires et patristiques, les théologiens constatent qu’à la mission invisible des personnes de la Trinité est attachée une habitation des personnes divines.

Pour nous en tenir ici aux considérations générales, disons d’abord que les missions invisibles et l’habitation des personnes ne peuvent se produire que dans les âmes justes. C’est le sens obvie de tous les textes qu’on a lus plus haut. Sans doute, Dieu, par sa grâce actuelle, peut toucher et mouvoir l’âme du pécheur, surtout de celui qui a conservé « informes » les vertus de foi et d’espérance. Mais, par ces touches passagères, Dieu n’acquiert pas un mode nouveau de présence ; il n’y a donc pas encore là de mission invisible. C’est ainsi que le concile de Trente parle du Saint-Esprit non adhuc quidem habitante, sed tantum movenle. Sess. xiv, c. iv, Denz.-Bannw., n. 898. Il est nécessaire, en effet, que le mode de présence, fondement des missions invisibles, soit habituel et différent du mode de présence naturel per essentiam, potentiam et præsentiam. C’est donc par la réalité de la grâce infusée à l’âme et des dons qui l’accompagnent, que Dieu établira en nous un mode de présence nouveau, justifiant

les missions invisibles. Seul, en effet, le don de la grâce permet à l’homme d’atteindre Dieu par des actes de foi, d’espérance et de charité, dépassant l’ordre naturel ; les dons gratuitement donnés, dons des miracles ou des prophéties, ne manifestent une mission des personnes divines qu’à la condition de manifester d’abord la grâce en celui qui en est favorisé. Si ces dons gratuits étaient accordés sans la grâce sanctifiante, « on ne dirait pas, purement et simplement, sans détermination, que le Saint-Esprit a été donné au prophète ou au thaumaturge, mais que celui-ci a reçu l’Esprit de prophétie, l’Esprit des miracles » ? S. Thomas, I », q. xliii, a. 3, ad 4um. (Pour la doctrine générale, voir le corps de l’article.)

La mission invisible des personnes de la Trinité se réalise donc dans l’âme vivifiée par la grâce, soit qu’elle acquière celle-ci pour la première fois, soit qu’elle la recouvre après l’avoir perdue. S. Thomas, ibid., a. 6. Mais il faut encore ajouter qu’elle se renouvelle dans l’âme à chaque accroissement de grâce et de charité. Ibid., ad 2um et ad 3 UB >. Cf. Suarez, De Trinitate, t. XII, c. v, n. 17-19. Chaque accroissement donne à l’âme une amitié plus ferme et plus intime avec Dieu. S. Thomas, In 7 om Sent, dist. XV, q. v, a. 1, sol. 2, ad l um. Cette affirmation semble rallier, avec des divergences plutôt verbales que réelles, cf. Suarez, n. 16, l’ensemble des théologiens. Elle est d’ailleurs tout à fait conforme à l’enseignement de saint Augustin, De Trin., t. IV, c. xx, n. 28, t. xlii, col. 907 ; Epist., clxxxvii, n. 17, 26-27, t. xxxiii, col. 838, 842. Voir la note 1 de Terrien, La grâce et la gloire, t. i, t. I, c. iv, p. 246.

Enfin, les missions invisibles ne peuvent concerner que le Fils et le Saint-Esprit. Sans doute, le Père habite l’âme juste avec le Fils et le Saint-Esprit, cf. Joa., xiv, 23 ; mais le Fils et le Saint-Esprit ayant seuls un principe d’origine, seuls peuvent être dits envoyés. S. Thomas, I », q. xliii, a. 5. On peut toutefois se demander quelles sont les missions invisibles du Fils, quelles sont les missions du Saint-Esprit. « Tous les dons, dit saint Thomas, sont attribués comme tels au Saint-Esprit, parce qu’il est lui-même, en tant qu’amour, le premier de tous ; mais il en est pourtant qui, vu leur caractère particulier, s’approprient au Fils et ce sont ces dons-là qui entrent dans l’idée de mission. » Ibid., ad l am. Par sa nature même, le Verbe, dont la procession éternelle est selon l’intelligence, est manifesté dans l’âme par les dons surnaturels se rapportant à la connaissance surnaturelle de Dieu. Mais ce n’est pas un don quelconque qui manifeste la procession divine du Verbe. « Le Fils, dit encore saint Thomas, est bien le Verbe ; mais non pas un Verbe quelconque, mais le Verbe spirant l’amour… Aussi ne suffit-il pas d’une perfection quelconque de l’intelligence pour qu’on puisse parler de sa mission. Il y faut une disposition de l’intelligence, qui provoque en elle un jaillissement d’amour, qua prorumpat in affectum amoris. » Ibid., ad 2um.

Quant à la mission invisible du Saint-Esprit, elle se rapporte principalement à toute manifestation de l’amour surnaturel de Dieu. De sorte qu’en se plaçant au point de vue de l’effet dans l’âme juste, les deux missions invisibles du Verbe et de l’Esprit-Saint se confondent et s’unissent dans la racine même de la vie surnaturelle, la grâce sanctifiante ; elles ne se distinguent, sans toutefois se séparer, que dans leurs effets, la mission du Verbe se terminant à l’illumination de l’intelligence, la mission du Saint-Esprit à l’embrasement de la volonté. S. Thomas, ibid., ad 3 am.

4. Le magistère.
L’Église n’a pas, à proprement parler, porté de définition touchant les missions divines. Quelques documents toutefois en parlent expressément. Le XIe concile de Tolède déclare que « le SaintEsprit comme le Fils est envoyé par le Père, est envoyé par le Père et par le Fils ». Denz.-Bannw., n. 277. Dans le décret Pro Armenis, Eugène IV dit que, dans le sacrement de confirmation, « le Saint Esprit est donné pour la force (de l’âme), comme il fut donné aux apôtres le jour de la Pentecôte ». Ibid., n. 497. A la session vi, c. ii, le concile de Trente enseigne que le Fils « fut envoyé » par le Père pour notre rédemption et, sess. xxiii, can. 4, il anathématise quiconque affirme « que le Saint-Esprit n’est pas donné par l’ordination sacrée ». Ibid., ii. 794, 964.

II. Habitation des personnes de la Trinité dans l’ame juste.

La présence divine dans l’âme juste est une vérité de foi ; son explication est des plus mystérieuses. Elle est en rapport étroit avec les missions invisibles. Mais la foi ne détermine pas ce rapport ; elle affirme le fait, laissant aux théologiens le soin de l’expliquer. L’habitation des personnes de la Trinité dans l’âme juste ajoute quelque chose à la présence naturelle de Dieu dans les créatures ; mais qu’ajoute-t-elle ?

Les opinions sont diverses et nombreuses. On peut les ramener à trois classes :
1. Les explications inadéquates, qui laissent de côté quelque élément du problème ;
2. les solutions s’attachant à démontrer une présence substantielle des personnes ;
3. les solutions qui veulent, en outre, expliquer une présence plus spéciale de l’Esprit-Saint.

Solutions inadéquates.

Les éléments du problème général sont de deux espèces : d’une part, la grâce créée, inhérente à l’âme et cause formelle de la justification ; d’autre part, la présence des personnes divines. Une solution qui ne tient pas compte de l’un ou de l’autre de ces éléments est inadéquate.

1. Première opinion : l’habitation des personnes est réalisée sans une grâce créée.

On ne retient ici que l’opinion de Pierre Lombard, Sent., t. I, dist. XVII, déclarant que, dans l’âme juste, il n’y a pas d’autre cause formelle de la justification que l’habitation même des personnes de la Trinité. C’est le Saint-Esprit lui-même qui constitue la grâce et la charité habituelle. Telle est du moins la conclusion générale qui semble se dégager des textes.

De ce qui précède, on doit conclure, au contraire, que la présence divine dans l’âme exige un don créé. Depuis que le concile de Trente a déclaré la grâce inhérente à l’âme, sess. vi, c. vii, Denz.-Bannw., n. 779, l’opinion du Lombard, sans avoir été formellement condamnée, n’est plus soutenable.

Mais déjà saint Thomas enseigne que « la mission invisible des personnes divines ne peut se concevoir sans le don de la grâce sanctifiante ». I », q. xliii, a. 3. Les Pères sont d’ailleurs unanimes à enseigner que la présence des personnes divines dans l’âme y fait paraître une réelle image de Dieu, une participation de la vie divine. Cf. S. Cyrille d’Alexandrie, In Joan., t. XI, c. xi, P. G., t. lxxiv, col. 553 D ; De recta fide ad Theod., xxxvi, t. lxxvi, col. 1188 B ; In Is., t. IV, ur. ii, t. lxx, col. 936 B. Voir ici Grace, t. vi, col. 1606.

On a voulu rapprocher de Pierre Lombard Lessius et Petau, mais c’est à tort. Lessius n’exclut pas l’habitus créé de la grâce ; il l’admet même explicitement. De perfect. dio., t. XII, c. xi, n. 76. Toutefois, cet habitus, considéré dans sa réalité physique, ne nous ferait pas formellement « enfants de Dieu » ; il nous fait posséder Dieu, ii. 74 ; cf. Append., n. 9 et 12. De telle sorte que, de puissance absolue, Dieu pourrait, sans la présence de la grâce sanctifiante dans l’âme, conférer à celle ci la filiation adoptive. Append., n. 6 ; cf. De tummo bono, t. II, c. i, n. 4.

Petau est si peu d’accord avec Pierre Lombard sur ce point, qu’il exclut positivement son opinion comme contraire à la foi. De Trinitate, t. VIII, c. vi, n. 3. Voir ici Petau, t. xii col. 1334. Dans la justification, affirme Petau, interviennent « et l’Esprit-Saint qui nous rend fils et l’habitus de la charité, c’est-à-dire la grâce qui est comme le lien ou le nœud qui attache à l’âme la substance même de l’Esprit-Saint ». Id., ibid. Ainsi peut-il distinguer « l’union substantielle » de l’Esprit-Saint de l’union accidentelle par la grâce, c. iv, n. 5 ; ou encore, avec Grégoire de Nazianze, une double communication du Saint-Esprit, l’une ἐνέργειᾳ, l’autre οὐσιωδῆ. Petau est tombé dans le même excès que Lessius, en affirmant que Dieu pourrait, sans infusion de la grâce créée, nous rendre enfants adoptifs uniquement par sa présence substantielle en nous. Id., c. vi, n. 3. Cf. Chr. Pesch, De Deo uno et trino, n. 669, 676 ; De gratia, n. 347-351.

Sur les attaques excessives dirigées contre Lessius par Oviedo, Ripalda et Viva, voir Pesch, De Deo uno et trino, n. 677-678 ; 680. En attaquant Lessius, Oviedo déforme complètement sa théorie ; il l’accuse de faire du Saint-Esprit un composé physique avec l’âme, une sorte d’union substantielle. In Iam —IIam, tract. VIII, controv. i, punct. 4, n. 34-38. Par ailleurs, Oviedo tient la doctrine communément reçue. Voir plus loin, col. 1845.

2. Deuxième opinion : l’habitation des personnes est réalisée uniquement par la grâce créée.

Cette opinion revêt deux formes.

a) Une première forme est celle de Ripalda, De ente supernaturali, disp. CXXXII, n. 95, et de Viva, 'De gratia, disp. IV, q. iii, n. 4.

Pour Ripalda, la présence des personnes divines dans l’âme s’explique par la grâce seule ; et cette présence est du même genre que la présence divine naturelle commune à tous les êtres créés. Elle est simplement d’une espèce particulière. C’est en attaquant la doctrine de Lessius que Ripalda formule ou plutôt esquisse cette opinion ; il y revient plus loin, en plaçant toute la participation de la nature divine dans la grâce elle-même, émanation, image et expression de la divinité elle-même, n. 95, 102. Pour être bien comprise, cette explication doit être encadrée dans la thèse générale sur l’être surnaturel. Voir Ripalda, t. xiii, col. 2717-2719.

Pour Viva, « la grâce n’est pas une participation de la nature divine dans son être réel ; elle n’attire pas dans l’âme la divinité identifiée avec le Saint-Esprit, de sorte que la présence divine serait un élément formel de la filiation adoptive ; elle n’est une participation de la nature divine que par ressemblance ; ainsi le Saint-Esprit agit simplement comme cause de la justification tout autant que la filiation adoptive ». Aussi bien chez Viva que chez Ripalda, une présence

« substantielle » de la Trinité se trouve complètement

éliminée ; le Saint-Esprit habite dans l’âme uniquement par son opération, ἐνέργειᾳ et non pas son essence et subsistence, οὐσίᾳ καὶ ἐνυπάρξει. Voir dans Petau, t. VIII, c. v, n. 13 sq., la doctrine traditionnelle contraire. Ajoutons que Ripalda tombe dans l’exagération en assimilant l’union à Dieu par la grâce à n’importe quelle union de la créature au Créateur. C’est une union ordonnée à la connaissance surnaturelle et à l’amour béatifiant ; ainsi qu’on l’a vu plus haut. Cf. S. Thomas, In Ium Sent, dist. XIV, q. ii, a. 2, ad 2um ; S. Bonaventure, In IIum Sent., dist. XXVI, a. 1, q. ii, ad 1um.

b) Une deuxième forme de cette opinion, plus nuancée, ne semble pas offrir le même degré d’opposition à la doctrine traditionnelle ; c’est la thèse proposée par Vasquez, In Iam part. Sum. S. Thomæ q. viii, a. 3, disp. XXX, c. iii, par Ruiz, disp. CIX, sect. iii, par Alarcon. disp. IX, c. ix ; cf. Coninck, De Trinitate, disp. XV, dub. ii, 2a diff. Comme l’opinion précédente, cette explication part du principe universellement admis que Dieu est présent par son essence partout où s’exercent sa puissance et sa providence. C’est la présence d’immensité. Mais il suit de là que » plus une créature participe à son opération et à sa grâce, plus elle est le lieu de Dieu ». S. Jean Damascène, De fide orth., . I, c. xiii, P. G., t. xciv, col. 852 B. « Dieu donc, agissant dans l’âme pour y produire des effets qu’il ne produit nulle part ailleurs, peut et doit être considéré comme y étant particulièrement présent. A eux seuls, ces effets exigeraient la présence de son essence, et ainsi peut-on dire que si Dieu, par impossible, n’était point substantiellement présent partout, il le serait du moins à l’âme juste, qui ne peut être transformée à son image sans que lui-même la marque de son empreinte. » P. Galtier, L’habitation des trois personnes, Paris, 1928, p. 155.

A cette explication on peut reprocher « de ne pas établir une distinction assez marquée entre le mode de présence propre aux âmes justes et celui qui leur est commun avec tous les êtres ». Id., ibid., p. 156. Le P. Terrien, qui met en valeur cette manière de voir, reconnaît explicitement sur ce point la faiblesse de l’explication. Il pense toutefois résoudre la difficulté en montrant que, « s’il arrive que des effets, comme ceux de la grâce et de la gloire, soient d’un ordre excellemment supérieur et surpassant à l’infini les autres ouvrages sortis de la main divine, Dieu sera dans la créature qui les reçoit d’une manière infiniment plus intime que dans le reste de la création ». La grâce et la gloire. 1. i. p. 246.

Autre objection, déjà formulée contre l’explication de Ripalda : « Ce n’est pas tout un d’opérer sur un être et d’être présent en lui ». La présence èvépYeiqt n’est pas la présence oùa’ux. xai èvurràp^si. Mais, répond en substance Terrien, en l’action divine, il ne faut pas distinguer substance et opération : « La grâce est un rayon dans lequel le foyer qui l’émet passerait tout entier ; elle est encore une eau jaillissante qui, venant baigner l’âme, y porte la source même d’où elle est sortie. » Ibid., p. 245.

2° Solutions préconisant une « présence substantielle » des personnes divines. —

La Tradition, qui est ici la seule règle possible de nos traductions humaines touchant les réalités divines, semble exiger quelque chose de plus que ce qu’apportent les solutions précédentes. Entre la présence divine qui se rattache à l’opération et celle qui se rattache à la substance, il doit y avoir plus qu’une différence de degré ; il y a une différence d’espèce. Aussi doit-on parler de présence substantielle.

Il ne semble pas possible, en effet, d’entendre autrement les textes de l’Écriture, où il est répété avec tant d’insistance que le Saint-Esprit et les autres personnes de la Trinité viennent en nous, habitent en nos coeurs « comme dans un temple ». Le Saint-Esprit est expressément désigné comme le « gage », V « empreinte », la « marque » laissée en nous par Dieu en vue de notre rédemption et de notre salut. Cf. II Cor., i, 21 sq. ; Eph., i, 13 ; iv, 40. « Il est impossible, déclare Suarez, que ces locutions et autres semblables dont est émaillée l’Écriture, puissent s’entendre de la seule infusion de la grâce créée ; il faut, pour en rendre compte, admettre que la personne divine est envoyée à l’âme d’une manière plus personnelle. » De Trin., t. XII, c. v, n. 8. La doctrine des Pères sur ce point est aussi nette que possible. On l’a vu plus haut, col. 1835 sq. Quant aux théologiens, c’est la presque unanimité qui enseigne une présence substantielle des personnes. « Le don de la justification n’est pas constitué par le seul don de la grâce créée et inhérente, mais encore et surtout par le don de la grâce incréée et inhabitante… Bien plus, la grâce créée n’est accordée qu’en vue de la grâce incréée, car l’homme ou toute autre créature (intelligente) ne pourrait entrer dans la société divine, si auparavant ne lui étaient infusés les principes intérieurs d’opération et de béatitude surnaturelles, qui sont précisément les dons de la grâce habituelle. » Billot, De Deo trino, p. 648.

On a vu comment Pierre Lombard a excédé en n’admettant que la présence substantielle de l’Esprit Saint et non la grâce créée. Saint Thomas a bien marqué cependant le point de vue du Maître des Sentences : « Par là, dit-il, il exclut l’erreur de ceux qui disent que, dans la procession (mission) temporelle, le Saint-Esprit n’est pas donné, mais seulement ses dons. » In I am Sent., dist. XIV, expos, textus ; cf. Sum. theol., I », q. xliii, a. 3. Voir aussi Albert le Grand, Summa, I », q. xxxii, memb. i. Chez les thomistes, la cause est d’avance entendue : « Il est certain que dans la justification sont donnés à l’homme les dons de la grâce et de la charité…. mais encore la personne même de l’Esprit-Saint dans sa substance. Doctrine tellement certaine, que le sentiment opposé serait une erreur. » Banez, In 7 iiii, q. xliii, a. 3. Alexandre de Halès, saint Bonaventure et son école, Scot et ses disciples et jusqu’aux nominalistes ne pensent pas autrement. Cf. Alexandre, Summa, I », q. Lxxiii.memb. iv ; S. Bonaventure, In II am Sent., dist. XXVI, a. 1, q. ii ; Scot, Occam, Biel, Durand de Saint-Pourçain dans leurs commentaires de la dist. XIV. Saint Bonaventure fait même à ce sujet une remarque digne d’être signalée. Il se demande si, dans l’âme juste, la grâce est un don créé ou incréé. Le don incréé ne fait pour lui aucun doute : c’est l’Esprit Saint et « cela est déterminé par la foi et par l’Écriture : qui dirait le contraire serait hérétique ». Quant à l’existence du don créé, il en est moins certain, quoiqu’il l’estime beaucoup plus probable. On sait que depuis le concile de Trente, sess. vi, c. vu et can. 11, le doute n’est plus possible. Cf. Terrien, op. cit., t. ii, appendice i, Quelques textes des anciens scolastiques sur la grâce créée et la grâce incréée et sur le rapport de l’une à l’autre.

Les théologiens grecs sont également unanimes. Il suffira de citer Veccos, Liber inscriptionum, viii, dans Làmmer, Scriptorum Grœciie orth. bibliotheca selecta, Fribourg-en-B., 1866, t. i, p. 587 sq. ; cf. P. G., t. cxli, col. 673 sq. ; Bessarion, Apologia inscriptionum Vecci, id., ibid., p. 564 sq. ; cf. P. G., t. clxi, col. 969970. Voir aussi Arcudius, dans le premier de ses Opuscula aurea ; ici t. i, col. 1773. On consultera aussi, de Bessarion, le discours tenu au concile de Florence, Or. dogmatica, c. vii, viii, dans Hardouin, Concil., t. ix, p. 355.

On notera ici qu’en déclarant que « l’unique cause formelle (de la justification) est la justice de Dieu, non celle par laquelle il est juste lui-même, mais celle par laquelle il nous justifie », justice qui nous est « inhérente », le concile de Trente, sess. vi, c. vii, can. 11, Denz.-Bannw., n. 799, 821, n’a voulu que condamner l’erreur protestante de la justification extrinsèque. La doctrine de la présence substantielle de la Trinité dans l’âme comme appartenant à l’élément formel de la justification n’en est pas pour autant atteinte. Il semble même que le concile présuppose notre doctrine et l’insinue, en enseignant que Dieu est la cause efficiente de la justification parce qu’ « il nous marque et nous oint de l’Esprit-Saint promis », et « que la grâce et la charité sont répandues dans nos cœurs par l’Esprit-Saint », etc. Sans doute, il ne faut pas concevoir l’Esprit-Saint comme « informant » l’âme juste : la présence substantielle de la divinité en nous doit être plutôt considérée comme le terme de la relation nouvelle qui s’établit par la grâce entre l’âme et Dieu et dont la grâce créée est elle-même le fondement. Cf. S. Thomas, In I* m Sent., dist. XIV, q. ii, a. 2, ad2um ; S. Bonaventure, In II aBi Sent, dist. XXVI, a. 1, q. ii, ad 1<"" ; Chr. Pesch, n. 668. C’est en ce sens que les posttridentins ont continué à professer la doctrine de la présence substantielle des personnes. Il faudrait donc interpréter en bonne part Ripalda et Viva, ou déclarer leur opinion entachée d’erreur. Quant à Vasquez, Ruiz et Alarcon, l’interprétation en bonne part s’impose, quel que soit le jugement de fait à porter sur leur manière de s’exprimer. En réalité, Vasquez reconnaît implicitement que ce mode spécial de présence divine dans l’âme ne peut soulever aucune controverse entre théologiens ; il nie seulement qu’on puisse le considérer comme étant d’ordre substantiel. Loc. cit., et In / iiii, q. xliii, a. 3. Simple question de vocabulaire, peut-être.

Il reste à déterminer quelle est la nature spéciale de cette relation de l’âme juste à ce terme qu’est ! a présence des personnes divines en elle. Question obscure, que n’éclaircissent pas beaucoup les termes dont on se sert pour la désigner. On ne saurait dire que c’est une relation purement morale, puisant sa source dans les actes par lesquels elle nous oriente vers Dieu : l’habitation divine est tout au moins de nature antérieure à notre activité surnaturelle. Ce n’est pas non plus seulement l’action dynamique de la divinité en nous ; car cette influence sur notre vie surnaturelle est postérieure à l’habitation des personnes et dépend en partie d’elle. Cf. S. Thomas, In J<"° Sent., dist. XIV, q. ii, a. 1, sol. 2. Ce n’est pas non plus une « union substantielle », comme Oviedo le faisait dire à Lessius. Cette expression, mise en honneur par Petau et accueillie favorablement par divers auteurs, est équivoque et a besoin d’explication. Sous la plume de ces auteurs « elle ne vise qu’à accentuer la présence substantielle des personnes divines ; elle s’oppose à l’idée d’une sanctification ne comportant que la présence en nous de la grâce sanctifiante, du don créé. Galtier, L’habitation. .., p. 214. Il ne peut donc être question que d’une union accidentelle de notre âme à la divinité, substantiellement habitant en elle ; c’est-à-dire présente non seulement par son opération, mais par sa substance même, selon un mode spécial qu’il s’agit maintenant de déterminer.

1. Première solution : habitation substantielle par voie de connaissance et d’amour. —

a) Exposé. —

Dans la q. xliii, a. 3, saint Thomas dit expressément que c’est « en le connaissant et en l’aimant que la créature raisonnable atteint Dieu lui-même par son opération et, selon ce mode spécial, Dieu est dit non seulement exister dans la créature raisonnable, mais y habiter comme en son temple ». Aussi n’est-il pas étonnant que de nombreux commentateurs aient enseigné que la présence divine se réalise dans l’âme en raison des actes de connaissance et d’amour surnaturels qui mettent en contact l’âme et Dieu, tout au moins d’une manière « inchoative » sur la terre, en attendant la réalisation parfaite de l’union dans la possession bienheureuse : « De par sa justification, dit en substance Suari’Z, l’âme entre avec Dieu dans les relations de la plus intime et de la plus étroite amitié. Or, l’amitié ne produit pas seulement la conformité des affections ; autant qu’il lui est possible, elle tend à rapprocher et à faire rejoindre les amis. Où donc le ferait-elle plus efficacement qu’entre Dieu et l’âme ? Des deux amis, ici, celui qui aime le plus et à qui appartient toute l’Initiative de l’amour, est aussi celui à qui tout est Il. Rien donc ne saurait faire obstacle au mouvement qui le porte à se rendre présent et à se donner. Contester que l’on jouisse de sa présence par le fait même que l’on jouit de >on amitié serait supposer que sa toute puissance, au lieu de se mettre au service de son amour au contraire pour en arrêter ou en briser l’élan. Ce résumé, cf. Galtier, op. cit., p, 160, montre dans qui Ile mesure on peut parler de pré « substantielle » de la Trinité dans l’âme juste en relation avec les actes surnaturels par lesquels cette âme tend vers Dieu. L’explication est devenue classique. Le P. Terrien l’a développée longuement, op. cit., t. i, t. IV, c. v : l’union par les actes de l’âme. Le P. Froget s’est appliqué à montrer mieux encore comment la présence divine s’établit dans l’état de gloire et comment, par voie de conséquence, elle doit s’établir sur terre dans l’état de grâce par la même voie de la connaissance et de l’amour :

t La grâce n’est-elle pas une inchoation en nous de la gloire future ? En conséquence, nous possédons déjà en germe et d’une façon initiale ce qui constituera un jour notre béatitude. Et, puisque la béatitude formelle consiste dans l’acte par lequel la créature raisonnable prend possession du souverain bien et jouit de lui, il faut que, dès cette vie, le juste atteigne, lui aussi, par son opération, la substance divine, qu’il entre en contact avec elle par la connaissance et l’amour et commence à jouir de Dieu. C’est ce qui a lieu effectivement par la connaissance expérimentale et savoureuse, qui est le fruit du don de sagesse, et surtout par l’amour de charité : connaissance et amour qui supposent, non pas la vue, non pas la pleine possession et l’entière jouissance, mais la présence réelle et sentie de l’objet connu et aimé. » B. Froget, De l’habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes, p. 157.

b) Difficultés. —

La grande difficulté qu’on oppose à cette solution est de savoir s’il est légitime de passer de la communication certaine de Dieu à l’âme glorifiée dans l’état de béatitude à une communication analogue à l’âme qui est encore dans l’état de voie. On peut admettre sans peine que l’amitié consommée du ciel établit entre Dieu et les élus l’union et la présence substantielle, sans pour autant être obligé d’étendre le fait de cette union et de cette présence aux prémices de cette amitié sur la terre. Les analogies qu’on invoque, de l’état de gloire à l’état de grâce, ne suffisent pas à le prouver. Parler d’ « inchoation », de « germe », d’ « ébauche » n’apporte pas une raison convaincante ; il faudrait prouver que la grâce est un commencement de la vision, de l’appréhension, de la possession divine. Et comment le faire, puisqu’ici-bas nous n’avons pas la « lumière de gloire » nécessaire à la vision béatiflque’?

Une difficulté d’ordre particulier, mais d’une importance qui n’échappera à personne, est celle de l’habitation des personnes de la Trinité dans l’âme des enfants, encore incapables de faire un acte de connaissance ou d’amour. Rien ne sert de dire, avec le P. Froget, que l’union de l’âme à la divinité est ici purement habituelle. Si l’union dépend de la connaissance et de l’amour, on conçoit qu’elle soit habituelle en celui qui a déjà pu faire de tels actes ; il s’agit alors d’habitus acquis et persistants. Mais, avant l’usage de la raison, de tels habitus sont inconcevables. D’ailleurs, en formulant la doctrine de la présence divine en raison de nos actes de connaissance et d’amour, n’a-t-on pas fait une confusion « entre le fait de manifester, de rendre connaissable ou de rendre la connaissance possible, et le fait même de la perception ou de la connaissance actuelle à en résulter ? » Galtier, op. cit., p. 190. C’est cette simple possibilité que saint Thomas appelle la « connaissance habituelle » et c’est seulement en ce sens que l’union de la divinité et de l’âme existe chez les enfants sans raison : « Pour qu’il y ait mission, il n’est pas besoin qu’il y ait connaissance actuelle de la personne elle-même, il suffit d’une connaissance habituelle, qui consiste en ce que h don conféré à l’âme, i dire la vertu, représente et à titre de ressemblance, la propriété de la personne divine ; et tel’t le si us où l’on dit qu’être envoyé c’est être connu : être connu comme procédant, par formi de repré.i ntation. Ain.i dit-on d’une chose qu’elle se manifeste ou te tait connaître : elle le fait en se représentant dans ce qui lui ressemble. » In I am Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, sol. et ad l um. Voir des textes similaires dans Alexandre de Halès, Summa, part. II, inq. ii, tract, iii, sect. ii, q. ii, sol. et ad l um, ad 2 am, ad 3um, ad 4um, édit. de Quaracchi, t. i, p. 714 sq., et très explicitement dans saint Augustin, Epist., clxxxvii, 21 et 26, P. L., t. xxxiii, col. 840-842.

2. Deuxième solution : habitation objective par voie de saisie expérimentale. —

a) Exposé. —

De ce qui précède, Jean de Saint-Thomas conclut que, lorsque nos actes de connaissance et d’amour se produisent, Dieu est déjà substantiellement présent à l’âme. Mais cette présence ne constitue pas encore un nouveau mode de présence et, par conséquent, une mission invisible. Si, à l’occasion de nos actes de connaissance et d’amour, un nouveau mode de présence s’établit en nous, c’est qu’en eux Dieu se manifeste à nous comme déjà substantiellement présent à nos âmes. En d’autres termes, par la grâce et les dons surnaturels, Dieu est déjà réellement présent en nous par son essence ; mais il n’y est encore que comme agissant ; on ne saurait encore parler d’une présence différente de celle qu’il possède naturellement. Il appartient aux justes d’avoir la perception, la saisie directe de cette présence, grâce à la foi, à la charité, à l’exercice du don de sagesse. C’est cette connaissance en quelque sorte expérimentale qui établit en leur âme la présence à la fois objective et substantielle de la sainte Trinité, connaissance dont ils peuvent, dès ici-bas, retirer une véritable jouissance. « Quand Dieu, par la médiation de sa grâce, dit Jean de Saint-Thomas, se manifeste, ce qui est la racine et le principe (Dieu, par rapport à notre être) commence à se présenter comme un objet à notre intellect créé lui-même ; et la manifestation qu’il fait ainsi de lui-même n’est point celle d’un objet quelconque, mais celle d’un objet qui nous est aussi intime que possible… et qui se donne à notre connaissance et à notre amour par voie d’expérience et de familiarité. Ainsi s’établit (entre lui et nous) un contact objectif, réel, intime, non seulement dans l’état de vision, mais aussi dans celui de la foi, où il n’est atteint que par la voie cachée de la connaissance expérimentale… Dès icibas, et malgré l’obscurité de la foi, Dieu se laisse connaître et comme toucher expérimentalement (experimentali quodetm tactu cognosciiur). Ce n’est pas la vision, pas plus qu’il n’y a vision de l’âme, quand, expérimentant qu’elle nous anime, nous la sentons comme un objet (qui nous est présent ) ; mais, de même que l’âme se fait ainsi connaître comme nous informant, Dieu seul aussi, en se montrant par sa grâce, comme objet à connaître intimement et par voie d’expérience, nous manifeste sa présence en nous comme agent et principe de tout notre être… Ce n’est donc plus le fait d’être connu et aimé d’une manière quelconque qui constitue un nouveau mode de présence ; c’est de l’être expérimentalement et par un toucher de la présence elle-même, per ipsius prsesentiæ tactum. » Disp. XVII, a. 3, n. Il et 12. (Trad. Gardeil, La structure de l’âme et l’expérience mystique, t. ii, p. 75.)

L’explication a été reprise par le P. Gardeil, dans l’ouvrage cité, t. ii, p. 6-87. La présence de Dieu ainsi comprise est souvent enseignée par les auteurs mystiques : eux aussi parlent couramment d’une union actuelle de l’âme avec Dieu ; union se réalisant par une sorte d’expérience du divin en nous. Elle est le partage de ceux qui se sont élevés à la contemplation divine ; elle « est le fruit de l’union du cœur humain avec celui de Dieu ; union si étroite qu’on peut dire avec vérité que l’homme possède Dieu, qu’il est plein de Dieu ». Union plus ou moins parfaite, « excellente… dans les personnes consommées en sainteté »… mais toujours assez parfaite cependant « pour que ces personnes aient un sentiment exquis de la présence de Dieu, avec une haute idée de sa majesté ». Surin, Les fondements de la vie spirituelle, t. IV, c. vi, Paris, 1697, p. 323-324. Cf. Joseph du Saint-Esprit, Cursus theologiæ mystico-scholasticee, t. i, t. I, synth. iv, lect. 3, n. 177 ; Philippe de la Sainte-Trinité, Summa theol. mysticæ, t. iii, tract. I, dise, i, a. 1, Paris, 1874, p. 9. Voir aussi la doctrine générale dans Nouet, L’homme d’oraison, t. VI, 2e et 14e entretiens ; Poulain-Bainvel, Les grâces d’oraison, c. iv-vi et p. xxx, xxxii. Sans doute il ne faut pas identifier complètement l’explication donnée par Jean de Saint-Thomas avec les affirmations des mystiques. Ceux-ci savent fort bien distinguer entre l’habitation des personnes, commune à tous ceux qui possèdent la grâce sanctifiante, et l’union expérimentale qu’ils réservent aux âmes contemplatives. Parlant de ce qu’il appelle la pénétration (illapsus) de Dieu dans l’âme, expression synonyme pour lui d’union mystique complète, le P. de Reguera dit : « Cette union contemplative ne consiste pas seulement dans l’union commune à tous les justes ; elle y ajoute une sensation spirituelle de Dieu, qui a pénétré dans l’âme. » Praxis theol. myst., 1. 1, t. IV, q. vi, n. 735, trad. Poulain. Voir les références aux autres auteurs mystiques dans Galtier, L’habitation, p. 177178, note.

b) Difficultés. —

C’est précisément la distinction de cette double union, —la plus parfaite, comportant une sorte de saisie expérimentale de Dieu, la seconde réalisée par une habitation véritable, mais dont nous n’avons pas nécessairement conscience, — qui fait défaut à l’explication de Jean de Saint-Thomas.

Le P. Gardeil a bien senti la difficulté et, pour la résoudre, il en revient finalement à une solution analogue à celle que nous avons rencontrée plus haut sous la plume du P. Froget. Dans l’état actuel, l’âme ne peut encore « se rendre compte directement et effectivement de la présence intime du Dieu qui s’offre à sa connaissance et à son amour ». Op. cit., p. 139. Dans l’état présent, l’âme juste n’est donc encore que « capable » d’une saisie expérimentale de Dieu. Et normalement, cette « capacité » qui existe même chez les enfants encore dépourvus de l’usage de la raison, ne doit passer à l’acte qu’au terme de la vie. Si, dès cette vie, quelques âmes ont une saisie expérimentale de Dieu, c’est que Dieu, pour des motifs très spéciaux, les dégage temporairement des liens des sens et les attire à lui par le ravissement. Op. cit., p. 141. Ainsi, pour la très grande majorité des âmes justes, la connaissance expérimentale propre à leur assurer la présence substantielle de la Trinité, demeurerait purement « habituelle ». Sans doute, saint Thomas a employé et pour ainsi dire consacré l’expression de « connaissance expérimentale », I a, q. xliii, a. 5, ad2 am. Mais la « connaissance expérimentale », pour saint Thomas, s’obtient surtout par la constatation des effets permettant de conclure à la présence de leur principe. Voir de multiples exemples dans la Somme, IIa-IIæ, q. xcvii, a. 1, corp. et ad 3um ; cf. a. 2, obj. 2°, corp. et ad 2 nm ; I » -II">, q. cxiii, a. 5, corp. et ad 5um ; cf. De veritate, q. x, a. 10. Sur la pensée de saint Thomas, voir Galtier, op. cit., p. 200-206.

Ici encore il faut donc conclure que la connaissance de la personne divine, essentielle à sa mission — et donc sa présence en nous — est d’ordre purement potentiel. Elle consiste dans l’aptitude du don produit en notre âme à nous introduire dans sa connaissance : ipsum donum perceptum est in se sufficienter ductivum in cognitionem advenientis personæ. In 7 ii, n Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, ad l nm. « Se manifester à nous, c’est de la part de la personne qui vient s’établir en notre âme, se rendre connaissante dans et par son image. Et ainsi se doit entendre qu’antérieurement à tout acte formel se terminant à elle, nous la connaissons déjà et nous l’aimons réellement. Tout enfants ou endormis que nous puissions être, nous en avons une connaissance et un amour virtuels. On peut parler aussi, si l’on veut, d’une connaissance et d’un amour habituels, mais à condition d’entendre le mot « habituel » au sens où l’emploie saint Thomas, non point d’une connaissance actuelle mais demeurée ou mise en sommeil et restée ou devenue inconsciente. » Galtier, op. cit., p. 206-207. Pour saint Thomas, « habituel » désigne ici simplement la capacité de produire les actes requis. Voir De veritate, q. x, a. 9 corp. ; En sorte que « par la seule participation de la grâce et des vertus de foi et de charité, nous sommes déjà capables de posséder Dieu par la connaissance et l’amour, bien que nous ne le connaissions et ne l’aimions pas encore en acte, comme cela est évident des enfants baptisés ». In I hm epist. ad Cor., c. m (17), lect. 3 (édit. de Parme, t. xiii, p. 180). C’est l’interprétation de Cajétan, In I* m part., q. xliii, a. 3. Cf. A. d’Alès, op. cit., p. 284, et Retailleau, La Sainte Trinité dans les âmes justes, p. 156 sq.

3. Troisième solution : présence substantielle « d’ordre ontologique ». —

Les deux explications précédentes sont criticables uniquement parce qu’on peut n’y voir que des cas d’espèces. Les correctifs qu’on a été obligé d’y apporter (le P. Froget pour la première, le P. Gardeil pour la seconde) montrent qu’il faut envisager une troisième solution, non certes opposée, mais d’une formule plus souple, qui soit capable de rendre compte de l’habitation des personnes de la Trinité dans l’âme, simplement par le fait que cette âme est en état de grâce.

a) La présence ontologique des personnes divines. —

En interrogeant la Tradition, on s’aperçoit que l’Écriture et les Pères, pour justifier la présence spéciale de la Trinité, ne demandent pas autre chose que la présence de la grâce. Avec des images empruntées aux phénomènes naturels les plus expressifs, les Pères présentent les personnes divines comme s’appliquant à la substance même de l’âme pour y marquer leur empreinte, y faire passer leur lumière et ainsi compléter la structure spirituelle du juste. Si Petau a su rappeler d’une manière irréfutable ce point de vue traditionnel, il a eu cependant, avons-nous dit, tort de l’interpréter dans le sens d’une union substantielle. Voir col. 1842. Ce terme doit être réservé à l’union hypostatique, l’union substantielle entraînant l’unité substantielle. On ne saurait dire non plus que la substance de l’âme soit » informée » par la substance divine. Les Pères emploient souvent le mot de « forme » pour désigner l’adhérence du Saint-Esprit à l’âme en laquelle il imprime pour ainsi dire à la manière d’un sceau son image. « Ce n’est pas à la manière d’un peintre que le Saint-Esprit peint en nous la divine essence ; ce n’est pas ainsi qu’il nous rend semblable à Dieu ; c’est lui-même qui, étant Dieu et procédant de Dieu, s’applique, comme ferait un sceau à de la cire, au cœur de ceux qui le reçoivent ; c’est par l’union avec lui-même, 81à rîjç Jtpoç èauxè xotvovlaç, et par la ressemblance (ainsi produite), qu’il fait revivre les traits de l’image de Dieu. » S. CyTille, Thésaurus, ass. 34, P. G., t. lxxv, col. 612 A. Voir Terrien, op. cit., appendice v, Le Saint-Esprit a-t-il en propre un rôle de forme dans notre sanctification ? Doctrine des Pères latins et grecs.

lors, quel que soit le sens propre ou approprié à ilonner à l’action du Saint-Esprit en l’âme, il faut conclure avec le P. de Kégnon : « C’est la présence substantielle et personnelle du Saint-Esprit qui nous sanctifie en formant en nous son empreinte. Sans doute, la grâce habituelle n’est pas le Saint-Esprit, pas plus que l’empreinte de la cire n’est le cachet imprimant. Mais la présence du cachet est nécessaire et pour former l’empreinte et pour la conserver. Car l’flmp ost comme une eau qui ne garde la figure imprimée qu’autant que le cachet demeure en elle comme une sorte de vertu informante. » Donc, « la grâce sanctifiante est une qualité qui affecte la substance même de l’âme. Mais… cette qualité, qui informe l’âme, est le résultat immédiat de la Trinité comme la couleur d’une fleur est le résultat de la présence de la lumière ». Études…, t. iv, p. 484, 562. Si donc la production et la conservation de la grâce sanctifiante est l’effet de la venue en nous de la Sainte Trinité, l’habitation des divines personnes doit correspondre avec cette venue elle-même et précéder, au moins logiquement, la production de la grâce. Dans notre langage indigent et incapable d’exprimer adéquatement les réalités divines, un seul mot peut désigner d’une manière suffisamment claire cette sorte de présence : présence de l’être même de la Déité, présence ontologique.

b) Caractère spécial de cette présence. —

Ce qui distingue cette présence de la présence commune, c’est son caractère amical. Par elle-même, elle doit assurer à l’âme la possession effective des personnes divines qui se donnent à elle. Il y a donc, de la part de la Trinité, comme un abandon de soi et une invitation à jouir amicalement de la présence de l’ami. C’est ce qu’enseigne saint Thomas dans la q. xliii, où nous avons déjà puisé tant d’enseignements : « Nous ne possédons vraiment quelque chose, que si nous pouvons en user ou en jouir », a. 3. Cf. S. Bonaventure, In I am Sent., dist. XIV, a. 2, q. i, et ad 2° m ; cf. dist. XV, part, ii, a. un., q. i ; Alexandre de Halès, loc. cit., tit. 3, a. 2, n. 512, solutio, éd. citée, p. 732 ; Richard de Mediavilla, textes cités par les éditeurs de saint Bonaventure, In 7um Sent., dist. XIV, a. 2, q. i, ad2um, et par le P. Hocedez, Richard de Middleton, p. 280 ; Lessius, De perfec. div., t. XII, c. xi, n. 78.

La production de la grâce dans l’âme confère ce caractère spécial à l’habitation divine qui en est la condition préalable. Si la production de la grâce est réalisée en nous par l’application directe et immédiate que les personnes font de leur substance, il s’ensuit qu’on doit attribuer aux personnes divines et, par appropriation au Saint-Esprit, une certaine causalité d’ordre formel dans l’oeuvre de la justification. Causalité formelle exemplaire, agissant selon un mode qui sans doute nous échappe, mais qu’on ne saurait confondre avec le mode de causalité dans la création et la conservation de l’être naturel : suffisante, par conséquent, à justifier un mode nouveau de présence, puisqu’elle exige en l’âme juste la présence immédiate de la Trinité. « La raison de la présence spéciale de Dieu dans les âmes justes est un effet de Dieu qui est en elles et n’est pas dans les autres créatures. Or, cet effet ne peut pas être un acte : s’il en était ainsi, Dieu ne serait pas dans le juste endormi autrement qu’il n’est dans les autres créatures. Il faut donc que cet effet soit une disposition (aliquis habilus) : c’est à raison d’elle que le Saint-Esprit habite l’âme juste. » S. Thomas, In / » Sent., dist. XVII, q. i, a. 1, sed contra 3°.

Cet effet, qui n’existe que dans les âmes justes, est un effet assimilateur, qui imprime dans l’âme une image de la Trinité bien plus parfaite que celle qu’y dépose l’acte simplement créateur. Celle-ci est lointaine et ne dépend nullement du mode de faction dont elle résulte ; celle-là, au contraire, est incomparablement plus parfaite et dépasse l’autre de toute la supériorité du surnaturel sur le naturel : elle va même jusqu’à reproduire les traits les plus particuliers des personnes divines. Et c’est par là que se trouve respectée la loi des appropriations : Notre ressemblance avec-Dieu, pour être due à l’action commune ou plutôt unique des trois Personnes, n’exclut pas que s’y puisse discerne ! <lfs aspects correspondants à leurs tr ; its particuliers. Le don de sagesse, qui nous fait connaître Dieu, est proprement représentatif du Fils ; et de nu in. l’amour (la charité) qui nous permet d’aimer Dieu est proprement représentatif du Saint-Esprit. » Galtier. p. 240 ; cf. S. Thomas, Cont. Gent., t. IV, c. xxi.

c) Cette présence nous confère une véritable possession de Dieu. —

C’est ici que cette troisième explication rejoint les deux précédentes dans ce qu’elles ont d’exact. Du seul fait de sa justification, l’âme possède Dieu substantiellement présent en elle ; mais elle possède aussi, par la grâce créée, le moyen de l’atteindre et de jouir de lui dans la mesure où la chose est possible ici-bas. Il dépend d’elle de poser les actes des vertus infuses qui lui permettent de connaître et d’aimer Dieu sicut oportet ; et, comme nous l’avons entendu déclarer par Jean de Saint-Thomas et d’éminents mystiques, elle pourra, dès ici-bas, atteindre en lui-même le Dieu qui est le principe des dons déposés en elle et jouir de lui d’une manière pour ainsi dire expérimentale. Le plus pauvre dans le domaine de la sanctification surnaturelle possède en germe toutes ces richesses ; il lui suffira de développer le germe qu’il a reçu pour atteindre bientôt aux sommets de la possession divine. Cette dernière explication est celle du P. Galtier, op. cit., p. 209-256. Nous en avons résumé les grandes lignes ; pour les détails, voir l’ouvrage lui-même.

3° Solutions établissant une présence particulière du Saint-Esprit. —

Les explications précédentes n’envisagent qu’une habitation commune des personnes de la Trinité ; elles paraissent à certains théologiens ne pas rendre suffisamment compte de toutes les données scripturaires et traditionnelles. Celles-ci, en effet, insistent tellement sur l’action du Saint-Esprit dans l’âme juste, sur la présence du Saint-Esprit comme principe de sanctification, la liturgie elle-même semble attribuer d’une façon si personnelle au Saint-Esprit la sainteté de l’Église et de ses membres, qu’il a semblé nécessaire à ces théologiens d’expliquer ces insistances par une théorie dépassant la portée de la simple appropriation.

1. Denys Pelau.

L’exposé de la solution de Petau a été fait à Petau, t.xii, col. 1334-1336. Nous la résumons ici en quelques mots : 1. C’est un fait constant que la Sainte Écriture et les Pères attribuent la sanctification de l’âme au Saint-Esprit, spécialement envoyé à cet effet ; 2. On y affirme que les autres personnes ne nous sont données qu’en raison du Saint-Esprit, parce qu’elles en sont inséparables ; 3. Le Saint-Esprit est dit la vertu sanctificatrice du Père et du Fils (Siiva^iç àyiac’n.x’/)), de telle sorte que c’est par lui-même qu’il apporte toute sanctification (aÙTOUpyeîv), le Père et le Fils ne l’apportant que par lui et en lui ; 4. Bien plus, cette sainteté ou vertu sanctificatrice lui est attribuée comme une propriété, telle la paternité pour le Père, la filiation pour le Fils, De Trinitate, t. VIII, c. vi, n. 5-9 ; cf. Thomassin, De incarnatione, t. VI, c. x-xi. Conclusion : le Saint-Esprit est uni aux justes à un titre et selon un mode spécial. Au titre spécial de sanctificateur propre : il est uni par lui-même à l’âme, le Père et le Fils ne lui étant unis qu’en raison de leur inséparabilité. Selon un mode spécial : l’union de l’âme à la divinité se terminant à sa personne. Ce n’est pas une union hypostatique, comme dans l’incarnation, mais une union dont le terme est sa personne, aussi proprement que la personne du Verbe est le terme propre de l’union hypostatique. Voir le développement de ces idées dans P. Galtier, L’habitation…, p. 23-97, avec la discussion des arguments de Petau. Nous avons montré plus haut quelle est la portée exacte des textes patristiques, surtout en ce qui concerne la vertu sanctificatrice attribuée d’une manière apparemment exclusive au Saint-Esprit.

Bien que la thèse de Petau sur le point précis de l’union de l’âme à la personne du Saint-Esprit comme telle ait été discutée et rejetée par la très grande majorité des théologiens, elle fut cependant accueillie avec faveur par quelques auteurs dont l’autorité est incontestable. Nous avons déjà cité Thomassin, qui, dans le De incarnatione, a écrit des chapitres entiers pour démontrer que c’est le Saint-Esprit qui, par sa substance, vivifie, informe et sanctifie l’âme des justes. Cependant, quand cet auteur est amené à parler ex projesso et clairement de la sanctification de l’âme, il ne s’exprime pas autrement que saint Bonaventure ou saint Thomas. Voir, par exemple, t. VII, c. xix, n. 5 ; c. xx, n. 1, 4 ; c. xvii, titre. Cf. Terrien, La grâce et la gloire, t. i, p. 422, note 1. Mais, au xixe siècle et au début du xxe, trois auteurs principalement ont tenté de rajeunir, en la modifiant quelque peu, la thèse de Petau : Scheeben, Th. de Régnon et, plus près de nous, Mgr Wafîelært.

2. Les thèses connexes : Scheeben, de Régnon, Waffelært. —

a) Scheeben s’inspire de Petau, en adoucissant sa théorie. Voir ici Scheeben, t. xiv, col. 1273. Le Saint-Esprit nous serait donné d’une manière pour ainsi dire préliminaire et, de cette donation, résulte entre nous et lui une relation d’ordre moral, très réelle, se terminant uniquement à sa personne. La venue en nous des deux autres personnes ne serait que la conséquence nécessaire de ce premier contact. Les trois personnes seraient présentes à notre âme, mais à des titres divers : le Saint-Esprit comme donné par le Père et le Fils, ceux-ci comme inséparables de leur don. Aussi le Don par excellence, le Saint-Esprit, précéderait en nous le don créé de la grâce et c’est en lui et à cause de lui que la Trinité tout entière s’établirait en notre âme. Et c’est alors seulement que s’accomplirait la transformation de notre âme par la grâce sanctifiante créée par une action commune aux trois personnes. Ainsi serait sauvegardée la thèse traditionnelle de la communauté d’action ad extra et de l’appropriation au Saint-Esprit de notre sanctification. C’est bien là, semble-t-il, la position exacte de Scheeben ; voir spécialement Die Mysterien des Christentums, § 30, 3e édit., p. 146.

On sait que la thèse de Scheeben, lors de son apparition, fut vivement attaquée par Granderath. Voir ici, t. xiv, col. 1273. Son point le plus contestable est la comparaison établie avec l’incarnation. De la possession physique de la nature humaine par le Verbe, en raison de 1’ « assomption » de l’humanité à l’être personnel du Fils, on conclut à la possibilité d’une possession morale de l’âme juste par la personne même du Saint-Esprit. On fait remarquer que « pour être possible à une personne divine, la possession morale et à titre vraiment personnel d’un être créé exigerait de sa part une propriété ou une faculté d’ordre moral lui appartenant également en propre ». Galtier, L’habitation, p. 106. Où trouver, dans le Saint-Esprit, cette propriété lui appartenant à titre spécial ? Il resterait ensuite à prouver qu’une possession simplement morale puisse déterminer une union personnelle. Enfin, il est inexact que, dans l’incarnation, le Père et le Saint-Esprit participent à la possession physique de l’humanité du Fils : la possession personnelle de l’âme par le Saint-Esprit exclurait donc plutôt la présence spéciale des deux autres personnes.

b) Le P. de Régnon, dans ses Études…, t. iv, p. 551553, élargit, lui aussi, la pensée de Petau. Là où les Pères grecs ne songeaient qu’à faire ressortir la divinité du Saint-Esprit, il a cru discerner l’indication d’un trait strictement personnel : la sainteté, propriété du Saint-Esprit. Et, parce que chaque personne vient en nous avec son caractère spécial et personnel, il s’efforce de déduire que, « dans l’ordre surnaturel de notre sanctification », chacune joue un « rôle » et exerce une influence « distincte », d’où résulte entre nous et elles des relations également diverses : « De même que c’est le Fils, non le Père ou le Saint-Esprit, qui nous a rachetés, de même chaque personne, habitant le juste, y exerce une influence propre à sa personne, de telle sorte que, dans l’unique état surnaturel qui provient tout entier de chaque personne, nous acquérons des relations réelles et réellement distinctes avec les trois personnes réellement distinctes de l’unique Dieu. » P. 551-552.

Une triple observation s’impose ici. —

Le point de départ du P. de Régnon est que la Tradition nous donne, comme trait strictement personnel du Saint-Esprit, la sainteté : « Peut-on croire qu’enseignant aux fidèles le difficile mystère de la sainte Trinité, (les Pères) aient, dans une même phrase, distingué les deux premières personnes par leurs noms vraiment personnels, et la troisième par un nom purement appropriatif ? » Op. cit., p. 313. On sait cependant que, ce qui paraît incroyable au P. de Régnon, saint Thomas le pose en fait pour tous les noms qui servent à désigner la troisième personne : I », q. xxxvi, a. 1 ; cf. q. xxvii, a. 4, ad 3 om ; q. xxviii, a. 4 ; q. xxxvii, a. 1 ; q. xxxviii, a. 1, ad 2um et ad 3um ; a. 2. Voir ici Trinité, col. 1746. D’ailleurs, ce n’est pas seulement dans les écrits des Pères, c’est jusque dans les symboles que se trouvent juxtaposés, à propos des personnes divines, les termes propres et les termes appropriatifs. Cf. Galtier, L’habitation, p. 56, note 1. —

En second lieu, le parallélisme avec l’incarnation, ici encore invoqué, va à rencontre de ce qu’on en attend. Il est exact que le Fils seul nous a rachetés et qu’à ce titre se sont établies entre lui et nous des relations se terminant à sa personne. Ces relations n’existent toutefois qu’en raison de l’humanité sainte, instrument de notre salut, hypostatiquement unie à la personne du Verbe. Cas unique et dont on ne peut tirer aucun motif d’étendre aux autres personnes ce qui, en raison de ce cas unique, appartient exclusivement au Verbe incarné. —

Enfin, s’il est vrai d’affirmer que chacune des trois personnes habite en nous avec son caractère spécial, il semble faux d’en déduire, pour chaque personne, une présence spéciale dans l’âme juste. Cette déduction, le P. de Régnon l’a faite à plusieurs reprises (voir p. 542, 552) ; mais elle repose, en définitive, sur une confusion : « Cette confusion consiste à passer d’un trait, propre à la personne en tant que telle, à un rapport qui ne l’affecte nullement en elle-même. Le premier est d’ordre intérieur ; il tient à l’origine même de la personne qu’il caractérise ; il fait que son action ou ; si l’on peut parler ainsi, son mouvement vers le dehors, soit le mouvement et la venue d’une personne dépendante : son arrivée quelque part est une mission. Le second, au contraire, lui est extérieur ; c’est une relation qui lui survient dans le temps et, peut-on dire, dans l’espace. Elle résulte de ce qu’on pourrait appeler son entrée en contact avec le monde créé, à moins qu’elle ne soit ce contact lui-même ; elle ne saurait donc se concevoir que comme le résultat d’une action, d’une influence réellement exercée sur la créature, à laquelle la personne se rend présente. » P. Galtier, op. cit., p. 122.

c) À son tour, Mgr Wafjelært, évoque de Bruges, a tenté une nouvelle interprétation de la thèse de Pctau. La grâce sanctifiante, « cause formelle de l’élévation » non de notre personne, mais de notre nature, à laquelle elle donne uni ressemblance avec la nature divine féconde, n’est qu’une « disposition nécessaire à l’union immédiate de notre personne avec la personne du Saint-Esprit ». Ainsi la grâee ne suffirait pas à elle seule, à créer en nous la filiation divine : cette filiation divine et adoptive appartient en propre à la personne et c’est dans l’union de notre personne à la personne du Saint-Esprit qu’elle trouve sa cause formelle.

Cette dernière assertion serait sans doute discutable ; mais ce qu’il faut en retenir surtout, c’est que i l’union entre l’âme juste et l’Esprit-Saint est présentée ici comme se terminant de part et d’autre à la personne en tant que telle… Le Saint-Esprit s’unirait à nous pour nous communiquer, non point à proprement parler sa nature, mais sa personne ; et nous-mêmes, il ne nous atteindrait pas non plus dans notre nature…, mais dans notre hypostase, dans notre personne. L’union « immédiate » et personnelle ainsi établie entre nous et Dieu se distinguerait même par là de l’union appelée « médiate » qui, commune aux trois personnes, serait l’effet propre de la grâce sanctifiante ». Résumé par Galtier, op. cit., p. 145-146. Mgr Wafîelacrt est revenu plusieurs fois sur cette explication : Disquisitio dogmatica de unione justorum cum Deo, Coll. Brugenses, t. xv, p. 442-453 ; 625-627 ; 673-687 ; t. xvi, p. 6-16 ; L’union de l’âme aimante avec Dieu, Bruges, 1916 ; La colombe spirituelle prenant son essor vers Dieu, 1919, 3e partie, p. 85-159.

On retrouve ici la thèse de Petau, l’habitation personnelle du Saint-Esprit, aggravée de considérations assez nouvelles sur les effets et la nature même de la grâce sanctifiante. L’habitation personnelle ne peut se réaliser que consécutivement à une action personnelle. Y a-t-il donc une action proprement personnelle de l’Esprit-Saint sur nous ? On a vu que la comparaison tirée de l’incarnation est ici sans valeur.

La conception que se fait l’auteur de la nature et du rôle de la grâce sanctifiante est fonction, semble-t-il, d’une équivoque touchant le sujet de la filiation adoptive des enfants de Dieu. Sans doute saint Thomas a dit que « la filiation convient en propre à l’hypostase ou à la personne, et non à la nature ». Sum. iheol., III », q. xxiii, a. 4. Mais c’est uniquement pour rappeler que le nom de fils, étant un nom concret, ne peut s’appliquer qu’à la personne ; il veut exclure par là toute idée de filiation adoptive par rapport au Christhomme. Dans ce sens, ce n’est pas notre nature, c’est nous-mêmes qui sommes les fils de nos parents. Mais il n’en reste pas moins vrai que la génération naturelle se termine directement et formellement à la nature ; ainsi le Verbe incarné est le fils de Marie par sa nature humaine ; ainsi sommes-nous les enfants de nos parents, héritant d’eux non ce qui distingue nos personnes des leurs, mais ce qui nous est commun avec eux dans la nature.

Enfin, reste à se demander ce qu’est cette communication de la personne même du Saint-Esprit en vue de réaliser en nous la filiation divine : conception étrangère à l’enseignement de la Tradition qui, dans les formules les plus favorables à la thèse de Petau, indiquerait plutôt que le Saint-Esprit, dans l’œuvre sanctificatrice qu’on lui assigne en propre, nous communique sa nature et non sa personne. Cf. II Petr., i, 4.

Appendice. —

La question des justes avant le Christ. (Saint Thomas, I », q. xliii, a. 6). —

De toute évidence, la doctrine précédemment exposée est applicable aux justes de l’Ancien Testament. S’ils furent formellement justifiés en vertu des mérites futurs du Christ — et qui en pourrait douter ? — leur justification fut de la même espèce que la nôtre. Cf. Chr. IVsrli. n. 690 ; Franzelin, thèse xlviii.

La question agitée a leur occasion concerne quelques difficultés de textes. I.a difficulté fondamentale est relative à Joa., vii, 39 : nondum erat Spiritus datus], quia Jésus nondum erat glorificatus. — La réponse est simple : il s’agit de la manifestation visible du Saint-Esprit au jour de la Pentecôte ; c I celle manifestation devait, suivre la résurrection glorieuse. S. Thomas, loc. cit., ad l u " ; cf. S. Augustin, De Trin., I. IV, n. 29, P. L., t. xlii, col. 908-909.

La seconde difficulté est tirée de Cyrille d’Alexandrie, qui interprète ce passage de saint Jean comme si le Saint-Esprit n’avait été donné aux justes de l’Ancien Testament que par son opération, èvépyeia, et non par sa substance. In Joan., t. V, c. ii, P. G., t. lxxiii, col. 749-760. L’opinion particulière de saint Cyrille sur ce point nous troublera d’autant moins qu’elle a contre elle la plupart des autorités patristiques touchant ce texte johannique. Voir Galtier, De SS. Trinilate, n. 438-440, et que vraisemblablement son auteur l’a formulée à titre de simple hypothèse pour expliquer le fait d’une sanctification analogue à la nôtre, qu’il ne songe pas le moins du monde à contester. Sur la pensée de Cyrille, voir Kleutgen, De ipso Deo, n. 1141, et Franzelin, thèse xlviii, p. 664.

Enfin, la troisième autorité en cause est celle de Petau qui, s’appuyant sur saint Cyrille, accorde aux justes de l’Ancien Testament le don créé de la grâce et non la présence substantielle du Saint-Esprit. De Trinitate, t. VIII, c. vii, n. 1-10. — Il convient de ne pas s’en émouvoir. « Ce qui est opposé (dans le texte de saint Jean) ce sont deux grandes économies. Dans l’ancien ordre, la grâce de l’Esprit-Saint était pour ainsi dire sporadique, comme un secours fourni par Dieu dans les grandes circonstances. Après que Jésus aura été glorifié, il y aura Esprit : les croyants en seront animés ; il sera répandu partout et avec abondance ; ce sera un état normal de grâce, que l’Église reconnaît dans l’action des sacrements ». M.-J. Lagrange, L’évangile selon saint Jean, Paris, 1927, p. 217.

I. Traités théologiques. —

Les grands commentateurs du Maître des Sentences à la dist. XIV du 1. I ; ou de saint Thomas, Sum. theol., I », q. xliii ; spécialement les Salmanticenses, disp. XIX ; Suarez, De Trinitate, 1. XII ; Jean de Saint-Thomas, q. xliii, disp. XVII ; Gonet, De sacro Trinitatis mysterio (Clypeus), disp. XIII ; Franzelin, De Deo trino, th. xlii-xlviii ; Kleutgen, De ipso Deo, t. II, q. vi ; Chr. Pesch, Preeleetiones dogmaticte, t. ii, tr. ii, sect. v ; Billot, De Deo trino, th. xlii-xliii ; Van Noort, De Deo trino, n. 196 sq. ; A. d’Alès, De Deo trino, th. xii ; P. Galtier, De SS. Trinitate in se et in nobis, th. xxiv-xxvii ; H. Lange, De gratia, Fribourg-en-B., 1930, p. 328-343 ; Diekamp-Hoffmann, Manuale, t. i, § 24 ; et, en général, les manuels.

Pour la doctrine, Petau, De Trinitate, 1. VIII ; Thomassin, De incarnatione, t. VI, c. viii-xx ; Th. de Régnon, Études de théologie positive sur le mystère de la Sainte Trinité. On consultera aussi avec profit Franzelin et Kleutgen.

II Travaux spéciaux. —

J.-B. Terrien, S. J., La grâce et la gloire, Paris, 1897, 1. 1, t. IV, V, VI et t. ii, appendices i et v ; B. Froget, O. P., De l’habitation du Saint-Esprit dans les âmes justes, Paris, 1900 ; F.-D. Joret, O. P., Les missions divines, dans la Vie spirituelle, 1931, p. 113 sq. ; P. Galtier, S. J., L’habitation en nous des trois Personnes, Paris, 1928 ; A. Gardeil, O. P., La structure de l’àme et l’expérience mystique, t. n ; L. von Rudlolï, O. S. B., Des hl. Thomas Lehre von der Formalursache der Eimvohnung Gottes in der Seele der Gerechlen, dans Divus Thomas de Fribourg, 1930, p. 175191 ; M. Retailleau, La Sainte Trinité dans les justes (thèse), Angers, 1932.

On indiquera, en terminant, deux études publiées dans l’Ami du clergé, 1932, p. 294 sq ; 1939, p. 101-104, exposant un point de vue assez nouveau de la question ; on se contentera également d’indiquer Dom L. Chambat, Les missions des personnes de la Sainte Trinité d’après saint Thomas d’Aquin, Abbaye S. Wandrille, 1943.

A. Michel.