La théorie de la relativité et ses applications à l’astronomie

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Article écrit pour l’Annuaire du Bureau des Longitudes
Gauthier-Villars et Cie.
LA
THÉORIE DE LA RELATIVITÉ
ET SES APPLICATIONS
À L’ASTRONOMIE
PAR
M. Émile PICARD
SECRÉTAIRE PERPÉTUEL DE L’ACADÉMIE DES SCIENCES.
PARIS
GAUTHIER-VILLARS ET Cie, ÉDITEURS
LIBRAIRES DU BUREAU DES LONGITUDES, DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE
55, Quai des Grands-Augustins, 55

1922

LA
THÉORIE DE LA RELATIVITÉ
ET SES APPLICATIONS
À L’ASTRONOMIE[1]


1.On parle beaucoup aujourd’hui de la relativité, et le grand public, qui ne se préoccupe guère habituellement des théories physiques, s’est intéressé à cette doctrine en raison surtout des propositions d’allure paradoxale qu’on y rencontre. Il y a vu principalement une modification dans les idées fondamentales de l’humanité relatives à l’espace et au temps. Cependant les questions philosophiques que soulèvent la nature du temps et celle de l’espace ne datent pas d’hier. Pour Aristote « Le temps est le nombre relatif au mouvement, lorsque l’on considère celui-ci comme présentant une partie qui précède et une partie qui suit », ce que, dans son histoire des doctrines cosmogoniques, Duhem paraphrase sous la forme suivante : Le temps est ce qui permet d’énumérer les états pris par une chose en mouvement en les rangeant dans l’ordre de succession. Ainsi, pour le Stagyrite, les notions de temps et de mouvement sont indissolublement liées ; il dit d’ailleurs explicitement : « Nous mesurons le mouvement à l’aide du temps et le temps à l’aide du mouvement ».

2.Une question se pose de suite : le temps n’est-il qu’une idée conçue par notre esprit, ou bien a-t-il une réalité indépendante de cet esprit ? Pour Aristote, la seconde alternative est à adopter. Il admet que, dans des choses réellement existantes, il y a un caractère indépendant de toute intelligence capable de compter ; c’est ce qu’il appelle le nombre nombrable (ἀριθμούμενος) à distinguer du nombre compté ou nombré (ἀριθμητός). Mais une difficulté très sérieuse se présente, et qui a posé dans ces temps lointains un problème de relativité. Puisque tout mouvement peut nous donner la notion du temps, la considération de mouvements différents ne nous donnera-t-elle pas des temps différents ? Aristote répond par la négative. Il croit pouvoir établir que, quel que soit le mouvement, on aboutira toujours à définir le même temps, mais sa démonstration ne fut pas, semble-t-il, unanimement admise. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que pour les péripatéticiens les substances vouées à la génération et à la corruption sont seules soumises au temps, les êtres qui durent toujours n’étant pas dans le temps ; ce que reprendra plus tard la doctrine catholique en distinguant le temps et l’éternité.

3.Les néoplatoniciens distinguaient deux temps. Suivant eux, il y a en dehors du temps physique un autre temps, le temps primordial qui est la cause du premier ; au sujet du temps physique, certains parlaient du temps de la lune, de celui du soleil et des planètes. On croirait presque entendre les relativistes modernes parler du temps local.

Les discussions commencées dans l’antiquité sur la nature du temps n’ont jamais cessé durant le moyen âge et les temps modernes, et les philosophes disserteront sans doute toujours sur son essence. On sait que pour Kant le temps et l’espace sont des formes a priori de notre sensibilité, formes à travers lesquelles nous voyons nécessairement les choses, et cette opinion s’est trouvée ruinée, au moins en ce qui concerne l’espace, par l’étude des géométries non euclidiennes. Plus récemment, une distinction essentielle a été faite par M. Bergson entre la durée réelle, c’est-à-dire la durée vécue que la conscience perçoit, et le temps paramètre qui figure dans nos formules.

4.En présence d’opinions si diverses sur le temps, on est tenté de dire avec saint Augustin : « Qu’est-ce donc que le temps ? Si nul ne me le demande, je le sais ; si je cherche à l’expliquer quand on me le demande, je ne le sais pas. » Ne pouvant définir le temps, il faut se borner à le nombrer, pour parler comme les péripatéticiens, c’est-à-dire à le mesurer. C’est donc reprendre le problème des temps différents, un instant soulevé dans l’antiquité. Ce préambule n’aura peut-être pas été inutile, car, il y a, je crois, intérêt à rappeler que certaines difficultés ne datent pas d’hier.

Ceci dit, je voudrais essayer de tracer une esquisse de la théorie moderne de la relativité, en vue d’indiquer les applications à l’astronomie. Je le ferai en narrateur impartial, si j’ose dire, n’ayant pas encore une opinion sur la place que l’avenir réservera à l’édifice si séduisant par certains côtés construit par Einstein, et me demandant si c’est un progrès que de chercher à ramener la physique à la géométrie, mais plein d’admiration pour l’effort accompli dans cette audacieuse tentative.

La théorie de la relativité est très abstraite, et c’est, à mon sens, une entreprise vaine que de vouloir l’exposer avec quelque précision sans employer les symboles mathématiques. Comme on l’a dit, il y a des cas où il est plus facile d’apprendre les mathématiques que de s’en passer. J’ai cherché seulement à indiquer ici les idées essentielles, sans entrer dans le détail de calculs souvent très longs ; d’ailleurs la première théorie de la relativité (relativité restreinte d’Einstein) n’exige que les éléments des mathématiques.

I.

5.Dans la vie courante, l’homme n’éprouve pas la moindre difficulté en ce qui concerne l’espace et le temps. Il croit avoir une conception très nette d’un espace absolu à travers lequel se meuvent les corps. Cet espace est celui sur lequel raisonnent les géomètres. Quant au temps, il s’écoule d’une manière régulière et continue, entièrement indépendant de l’espace et indifférent aux phénomènes physiques. À la vérité, pour qui réfléchit quelque peu, la définition de l’unité de temps n’est pas sans présenter de sérieuses difficultés, exigeant divers postulats sur l’égalité de durées de deux phénomènes regardés comme identiques ; la difficulté est atténuée toutefois par le fait expérimental que plusieurs phénomènes de nature différente peuvent concourir d’une manière concordante à l’idée d’égalité de deux temps.

C’est en partant de l’espace et du temps absolus, que s’est peu à peu édifiée la physique moderne. D’après les principes mêmes qui sont à la base de notre Dynamique, aucune expérience mécanique, à laquelle sont étrangers les corps extérieurs, effectuée dans un système animé par rapport à l’espace absolu d’un mouvement de translation rectiligne et uniforme, ne permet à un observateur entraîné avec ce système de mettre le mouvement de celui-ci en évidence ; c’est un principe de relativité. On peut aussi, au lieu de considérer le mouvement par rapport à l’espace absolu, envisager le mouvement d’un système par rapport à un autre, par exemple le mouvement de translation de la Terre par rapport au Soleil ; aucune difficulté n’est apparue, tant qu’il ne s’est agi que de phénomènes mécaniques.

6.Dès le temps d’Arago et de Fresnel, la même question se posa pour les phénomènes lumineux. Il résulta de leurs expériences, et de celles des physiciens qui les ont suivis, que les lois de la réfraction et de la réflexion de la lumière ne se ressentent en rien du mouvement de translation de la Terre ; mais aucune contradiction n’apparut encore à ce sujet, avec les théories admises. Il n’en fut pas de même d’une expérience, aujourd’hui célèbre, imaginée en 1887 par le physicien américain Michelson, et trop souvent décrite pour que nous y revenions.

Si l’on admet que la loi habituelle de composition des vitesses de la cinématique s’applique aux phénomènes lumineux, une contradiction apparaît avec le résultat de l’expérience de Michelson, un déplacement de franges d’interférence prévu par la théorie classique ne se produisant pas. C’est en analysant cette expérience qu’Einstein fut conduit, en 1905, dans son premier Mémoire sur la relativité, à formuler l’hypothèse suivante : la vitesse de la lumière, pour un observateur placé dans un système animé d’un mouvement de translation rectiligne et uniforme, est une constante universelle , indépendante de l’état de mouvement du système. Avec ce postulat se trouvait expliqué le fait que l’expérience de Michelson ne décelait pas le mouvement de la Terre par rapport à l’éther regardé comme immobile, et l’on pouvait poser le principe de la relativité pour les phénomènes lumineux dans les mêmes conditions que pour les phénomènes mécaniques.

À la vérité, certains doutes ont été émis sur l’interprétation de l’expérience de Michelson, le calcul fait à ce sujet prêtant à quelques objections ; mais ces doutes ne paraissent pas partagés par la majorité des physiciens, et nous admettrons le principe d’Einstein de la constance de la vitesse de la lumière, d’où va se tirer toute la théorie de la relativité restreinte[2].

II.

7.Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de préciser plusieurs points. Nous avons parlé de temps et de longueur. Cela n’a de sens que si les observateurs placés sur différents systèmes savent mesurer ces grandeurs. Nous avons, par hypothèse, un système variable S animé d’un mouvement de translation uniforme par rapport à un système σ ; ce sera, par exemple, une droite glissant d’un mouvement uniforme sur une autre.

8.Soit envisagé S ; tout d’abord, quand dirons nous qu’un point M de S est à égale distance de deux points A et B de ce même système ? Ce sera quand, des miroirs ayant été placés en ces derniers points, un signal lumineux émis en M reviendra en ce point au même instant après réflexions en A et B. Il résulte de là qu’un observateur de S peut faire des graduations dans ce système, sans déplacer des règles.

9.Une autre notion essentielle est ensuite celle de la simultanéité (dans le système S) de deux événements se passant en A et B. Ces événements seront simultanés si des signaux lumineux, partant respectivement de A et B à l’instant où ces événements se produisent, arrivent simultanément au milieu M de AB. Le réglage des horloges résulte évidemment de là : deux horloges identiques du système S placées en A et B marcheront d’accord si elles marquent la même heure, quand deux événements se produisent simultanément en A et B. On peut encore dire, relativement à ce réglage, que si un signal, partant de A au temps zéro, y revient au temps après réflexion en B, l’horloge en ce dernier point devra marquer quand arrivera le signal lancé par A. Il reste, pour l’observateur entraîné avec S, à faire choix d’une unité de longueur ; il prendra pour cette unité une longueur relative à un phénomène physique produit dans le système, par exemple la longueur d’onde d’une radiation déterminée, émise par une source rattachée au système, et pour unité de temps la période correspondant à cette onde.

10.Ainsi donc, il y a pour le système S des unités déterminées et un temps local. Il en est de même pour le système σ. Mais comment pourrons-nous comparer les longueurs et les temps de S et de σ ? Il ne peut être question de transport d’appareils de mesure d’un système à l’autre, ce qui, sans parler des impossibilités, pourrait donner lieu à des altérations dont on ne peut rien dire a priori.

Cette comparaison va être faite en invoquant le principe d’Einstein de la vitesse constante de la lumière, et en tenant compte de la réciprocité des deux systèmes.

Soient la ligne des abscisses dans le système σ, et la ligne des abscisses dans S ; ces droites glissent l’une sur l’autre. L’origine des coordonnées dans S a une vitesse sur . Un point quelconque M a respectivement les coordonnées et par rapport aux deux systèmes ; et sont respectivement les temps correspondant à ceux-ci. On veut chercher les expressions de et en fonction de et , en supposant, comme il est permis par un choix convenable des origines, que et s’annulent pour .

Si le couple correspond à une onde lumineuse, sa vitesse étant égale à , on aura

 ;

mais, d’après l’hypothèse d’Einstein, cette équation devra entraîner

.

Une de ces équations entraîne donc l’autre. Les premiers membres de ces équations ne diffèrent donc que par un facteur, et la réciprocité[3] des deux systèmes exige que ce facteur soit égal à l’unité. On a donc

(1)

ce qui détermine les expressions cherchées, en ajoutant la condition que la vitesse de par rapport à est égale à . On trouve ainsi

(2)

d’où se déduit de suite

(3)

équations auxquelles on adjoindra , , ces deux coordonnées n’ayant pas changé puisque S a, par rapport à σ, une translation dans le sens de l’axe des .

Si le sens de la translation uniforme avait été quelconque, on aurait eu une transformation plus générale, se rattachant à l’invariance (4), qui généralise (1) :

(4)

et le groupe correspondant porte le nom de Lorentz, qui l’a systématiquement envisagé.

On voit le rôle joué par les signaux lumineux dans les mesures de l’espace et du temps, ainsi que le postulat résultant de l’interprétation de l’expérience de Michelson. Si l’on n’adopte pas ces points de vue, la théorie n’a plus de base.

11.Tirons diverses conséquences des équations (2) et (3). Soit une longueur sur S, les abscisses des extrémités et sur étant et . À un même temps , et occupent sur σ les positions et correspondant aux abscisses et sur . On a, d’après la première des équations (3),

,

c’est-à-dire que

Par suite, pour l’observateur sur σ, la longueur est réduite, et cela d’autant plus que est plus grand.

Supposons encore qu’un phénomène se passe en , et dure un temps pour l’observateur sur S. L’observateur sur σ lui attribuera la durée plus longue

,

comme il résulte de la seconde des équations (2). Le temps avance donc moins vite pour l’observateur fixe que pour l’observateur mobile. Un homme en mouvement vieillit par suite plus lentement, du moins à l’estime d’un homme au repos.

12.En différentiant les formules (2), et en divisant, on voit que la loi de composition de deux vitesses et est donnée par la formule (on pose )

La cinématique de la relativité est donc différente de la cinématique classique, pour laquelle la loi de composition est  ; les lois ne coïncident que pour .

Divers phénomènes sont bien d’accord avec le résultat précédent. Citons seulement ce qui concerne la vitesse de la lumière dans un liquide en mouvement. Soient la vitesse du liquide, la vitesse de la lumière dans le liquide en repos ( étant l’indice de réfraction). La vitesse résultante est, d’après la formule précédente non pas , mais

,

c’est-à-dire approximativement  ; le second terme correspond au transport partiel de l’onde lumineuse proposé par Fresnel, et ce résultat est d’accord avec une expérience célèbre de Fizeau faite en 1851. Remarquons d’ailleurs que, dans le raisonnement précédent, on étend à un milieu transparent le postulat de l’isotropie de la vitesse de la lumière admis pour le vide.

13.D’après La théorie de la relativité restreinte, il n’y a pas pour les phénomènes d’échelle absolue de mesure, indépendante des systèmes dans lesquels ils sont observés. En outre, le temps et l’espace jouent des rôles analogues, sinon identiques, dans les équations. Il n’y a donc pas, dans la doctrine de la relativité, d’un côté un espace et un temps , mais un continuum à quatre dimensions. Les phénomènes se passent dans ce continuum que Minkowski appelle l’Univers. Cette idée a été exprimée par ce géomètre dans une conférence faite en 1908, trois ans après l’apparition du premier Mémoire d’Einstein, sous la forme suivante : « Dès maintenant l’espace indépendant du temps et le temps indépendant de l’espace ne sont plus que des ombres vaines ; une sorte d’union des deux doit seule subsister encore. »

Un événement est représenté par un point de l’Univers, et il décrit dans ses modifications une ligne d’Univers. L’expression

ne change pas quand on effectue sur les transformations du groupe de Lorentz, et l’intégrale

prise sur une ligne d’Univers entre les événements correspondant à ses extrémités A et B est appelée l’intervalle entre ces événements. Guidé par des analogies avec la théorie des lignes géodésiques des surfaces et l’ordre d’idées se rattachant au principe de la moindre action, on pose qu’un mobile libre décrit une géodésique de l’Univers de Minkowski, et que, par suite, pour la trajectoire de ce mobile, la variation de l’intervalle entre deux événements est égale à zéro, ce qui s’exprime par

,

étant le symbole ordinaire du calcul des variations. Un calcul facile montre que ces trajectoires sont des lignes droites parcourues uniformément. Les rayons lumineux sont des géodésiques de longueur nulle ().

III.

14.Einstein a été peu à peu conduit à une extension considérable de sa première théorie. Reprenons le envisagé plus haut :

(5)

Si, au lieu des coordonnées , nous faisons usage de coordonnées généralisées , de telle sorte que soient des fonctions de , deviendra une expression de la forme

(6)

les étant des fonctions de  ; on peut, par exemple, supposer que sont des coordonnées curvilignes dans l’espace ordinaire et une coordonnée relative à une horloge chargée seulement de définir l’ordre de succession des événements autour du point . À l’Univers envisagé se trouve ainsi attachée une certaine forme (6).

Prenons maintenant la question en sens inverse, et donnons-nous arbitrairement dix fonctions de et, par suite, la forme quadratique (6) de différentielles. Un problème se pose d’abord : peut-on de (6) remonter à (5) en prenant pour les des fonctions convenables de  ? La réponse est négative : la chose n’est possible que si les satisfont à vingt relations renfermant les et leurs dérivées partielles jusqu’au second ordre. Si ces conditions sont remplies, on dit que l’Univers correspondant à (6) est euclidien[4] ; il en est ainsi, en particulier, quand les sont des constantes.

Supposons-nous maintenant dans le cas général, où l’Univers donné par (6) n’est pas euclidien. Nous considérons alors en un point déterminé, d’ailleurs quelconque, de cet Univers un Univers euclidien qui lui soit tangent. Voici ce qu’on entend par là. Le point étant donné, la forme quadratique (6) est une forme quadratique des à coefficients constants. On peut alors choisir fonctions linéaires et homogènes de , de telle sorte que (5) se transforme en (6). Notre Univers initial a été ainsi transformé en un Univers euclidien, mais seulement dans le voisinage du point envisagé : cet Univers euclidien est l’Univers tangent en ce point.

Dans les univers euclidiens tangents aux divers points, supposons, pour fixer les idées, que les observateurs prennent pour unité de longueur une certaine longueur d’onde lumineuse et une unité de temps telle qu’elle donne à la vitesse de la lumière une valeur . Dans ces conditions, une correspondance se trouve établie de proche en proche entre les observations faites dans notre Univers et celle des observateurs des Univers euclidiens tangents. C’est là un point fondamental, mais l’application de cette idée générale n’est pas sans présenter quelques difficultés, comme on le verra plus loin sur un cas particulier.

15.On pose en principe que toute loi physique doit être exprimée par des équations gardant la même forme, quand on substitue aux coordonnées généralisées des fonctions quelconques de celles-ci, ce qui constitue sous sa forme générale le principe de relativité. Il en est bien ainsi pour les équations du mouvement d’un point libre ; elles sont obtenues en écrivant que la variation de l’intervalle entre deux événements A et B est nulle, c’est-à-dire

,

et elles gardent manifestement la même forme invariante par rapport au transformé. Les trajectoires correspondantes sont dites les géodésiques correspondant au .

La physique d’un Univers dépend donc de son . C’est ce qui a fait dire que la physique se trouve ramenée à la géométrie.

IV.

16.Dans un Univers euclidien, on dit qu’il n’y a pas de champ permanent de gravitation. Donc dans un Univers, où il y a un champ gravitationnel, les ne satisfont pas aux vingt équations dont nous avons parlé plus haut. D’autre part, s’il y a, pour un Univers, des relations entre les et leurs dérivées partielles le caractérisant, les idées d’invariance imposées par le principe de relativité exigent que l’ensemble de ces relations ait une forme invariante quand on fait un changement quelconque de coordonnées. C’est le grand mérite d’Einstein d’avoir su trouver un système de relations entre les , moins limitatif que les vingt équations relatives à l’espace euclidien, et capables, suivant lui, de caractériser un espace gravitationnel.

Nous ne pouvons songer ici à indiquer les diverses hypothèses et les laborieux calculs qui ont conduit à ces relations, se présentant en nombre d’abord égal à dix, mais réductible à six. Disons seulement qu’Einstein a pris pour point de départ l’hypothèse qu’une transformation convenable de coordonnées est équivalente, dans le voisinage d’un point, à une force de gravitation ; c’est là l’idée directrice qui permet de ne plus parler de force et, en fait, dans cette géométrisation de la physique, l’attraction n’est plus une force, mais une propriété de l’espace.

Les propriétés de la matière se rattachent à cette géométrie à quatre dimensions par des généralisations de l’équation classique de Poisson dans la théorie du potentiel newtonien.

Je n’ai pas cru devoir dans l’exposition qui précède parler de courbure dans l’espace à quatre dimensions. Il n’y a là qu’un langage plus ou moins commode, car nous n’avons pas l’intuition d’un tel espace. Peut-être même a-t-il conduit parfois à des assertions en opposition avec la pure doctrine de la relativité. Ainsi on peut lire chez certains auteurs que la présence de la matière produit une courbure de l’espace, tandis qu’il est plus conforme aux idées de géométrisation de dire que l’existence de la matière est une conséquence de certaines déformations. Je n’ai rien dit non plus de la masse, notion qui ne joue pas de rôle direct dans les applications faites ici à l’astronomie ; ce qui la concerne doit, pour être présenté dans toute son ampleur, être rattaché aux formules compliquées de la relativité générale.

17.Les seuls contrôles expérimentaux auxquels a été soumise jusqu’ici en astronomie la théorie de la relativité se rapportent à un champ ponctuel de gravitation provenant d’un point que nous supposerons placé à l’origine. La recherche du correspondant renferme beaucoup d’indétermination. Le problème peut être précisé au moyen de diverses hypothèses simplificatrices. Dans la forme la plus usitée, on appelle la quatrième variable , et représentent les coordonnées polaires de l’espace habituel. On a alors

(8)

 ; est une constante introduite dans le courant du calcul.

Le mouvement d’un point libre dans l’espace (8) se détermine facilement. L’orbite est approximativement une ellipse, dont l’origine est un foyer. Mais le grand axe de cette ellipse n’est pas fixe, comme dans le cas newtonien du problème des deux corps. Il tourne à chaque tour d’un angle sensiblement égal à

(9)

désignant respectivement le grand axe, le temps de la révolution et l’excentricité ; de là se déduit la rotation séculaire.

18.Une application de la formule donnant la rotation séculaire a eu un grand retentissement ; c’est celle qui concerne le mouvement du périhélie de la planète Mercure. On sait que, dans la mécanique céleste classique, le mouvement de Mercure est approximativement aussi un mouvement elliptique avec rotation du grand axe, mais cette rotation tient à l’action des autres planètes, particulièrement de Vénus. Or la théorie des perturbations donne seulement pour le périhélie une avance de 532″ par siècle, tandis que l’observation donne une avance de 574″. Il y a donc un résidu d’environ 42″, mais il me semble que ce nombre ne soit pas déterminé avec une grande précision. Malgré des tentatives variées (changement de l’exposant dans la loi de Newton, aplatissement du Soleil, planète intramercurielle, lumière zodiacale, loi électrodynamique, etc.), on n’a pas réussi à expliquer d’une manière satisfaisante ce résidu[5].

Einstein s’est demandé ce que donnerait la théorie nouvelle appliquée à Mercure, en ce qui regarde l’action solaire, rien n’étant changé d’ailleurs dans l’action des planètes. Or il est remarquable que, en introduisant dans la formule (9) les nombres relatifs à Mercure[6], on trouve 42″,9 : c’est la différence cherchée. On pourrait presque dire que ce résultat est trop satisfaisant, tant d’influences incomplètement analysées jusqu’ici devant s’exercer dans le voisinage du Soleil, si toutefois on considère le nombre de 42″ comme correspondant réellement aux observations.

Pour les autres planètes, sauf peut-être Mars, la rotation du périhélie est très mal déterminée, à cause de la petitesse de l’excentricité, car la quantité mesurée est le produit de la rotation par l’excentricité ; il n’y a donc pas lieu de leur appliquer la théorie précédente. Quant à Mars, il y a entre l’observation et la théorie classique un résidu de 4″, susceptible peut-être de s’expliquer par l’attraction des astéroïdes circulant entre Mars et Jupiter. Quoi qu’il en soit, si l’on applique la formule (9), on trouve pour la rotation du grand axe de Mars pendant un siècle le nombre 1″,35 : le résidu non expliqué de 4″ serait donc diminué de ce nombre.

19.Un second problème relatif à l’espace gravitationnel (8) appelle l’attention. Quelle est la trajectoire d’un rayon lumineux ? Il faut chercher, comme nous l’avons dit, les géodésiques de longueur nulle. Le rayon lumineux est approximativement hyperbolique. Si la distance du sommet de cette courbe au centre de gravitation est , on a pour l’angle des asymptotes

et cet angle est sensiblement l’angle de déviation des rayons lumineux. Ceci trouve son application dans le cas d’un rayon lumineux venant d’une étoile et rasant le bord du Soleil. Il est naturel d’admettre que le sommet est à la surface du Soleil ; étant alors le rayon solaire et étant égal à ( et correspondent à la Terre), la valeur de est égale à 1″,75. Le rayon lumineux est donc dévié de cet angle.

Les étoiles ne pouvant être observées près du Soleil, il faut chercher à profiter d’une éclipse totale de cet astre pour observer cette déviation. C’est ce qui a été fait avec succès dans l’expédition organisée par l’éminent astronome anglais M. Eddington pour observer l’éclipse de Soleil du 29 mai 1919. L’accord avec la théorie semble s’être montré satisfaisant, mais il est à souhaiter qu’une éclipse prochaine confirme ces mesures délicates. On doit désirer aussi que l’action de la matière sur la lumière puisse être mise en évidence dans des conditions plus facilement observables.

20.Une dernière application de la théorie de la relativité à l’astronomie concerne le déplacement vers le rouge des raies du spectre solaire par rapport à celles des sources terrestres, sous l’action du champ de gravitation provenant du Soleil. Les considérations faisant prévoir ce déplacement peuvent être présentées de la manière suivante :

Plaçons-nous en un point donné de l’Univers correspondant à (8). D’après ce que nous avons dit (§ 14), on doit identifier (8) avec le carré

de l’élément de l’espace euclidien, où désignera le temps dans l’Univers euclidien tangent. On obtient ainsi immédiatement

.

Considérons alors un atome vibrant placé au point considéré. Si et sont les deux durées des vibrations correspondant respectivement à un point de (8) à la distance du Soleil et à l’Univers tangent, on aura

.

Or on admet, ce qui peut être contesté (c’est à cette difficulté que nous faisions allusion à la fin du paragraphe 14), que est fixe ; ceci revient à supposer qu’il y a chute libre dans l’Univers tangent. Par suite, pour deux points situés à des distances et , on a, entre les temps et , la relation

.

Si le second point est sur la Terre, on peut regarder comme infini, et en se bornant à la première puissance de , on peut écrire pour un point sur le Soleil

,

représente le rayon solaire.

La durée de la vibration pour l’observateur sur le Soleil est donc plus grande que la durée pour l’observateur sur la Terre. Il doit donc y avoir une déviation vers le rouge. En passant aux nombres, on a

.

On attachait une grande importance à la vérification expérimentale de ce résultat, sans doute parce qu’il paraît tenir à des propriétés intimes de la matière. Mais cette vérification était difficile, car au déplacement prévu par Einstein peut s’ajouter un déplacement des raies par la pression, sur l’importance duquel on n’est pas fixé. Toutefois, M. Perot croit avoir établi que pour certaines raies du magnésium l’effet de pression est négligeable, et que l’écart entre les raies du spectre solaire et celles de l’arc sous faible pression a la valeur prévue par la théorie d’Einstein. D’autre part, MM. Fabry et Buisson, en examinant d’anciennes mesures faites par eux à une époque où l’on ne soupçonnait pas l’influence de la gravitation, ont constaté que leurs résultats étaient en concordance parfaite avec la théorie de la relativité. Pour les raies du fer qu’ils ont examinées, comme pour celles du magnésium étudiées par M. Perot, la pression de la couche renversante serait négligeable, et l’effet Einstein serait seul en cause. Mais il est sans doute prudent d’apporter encore quelque réserve dans cette affirmation.

V.

21.Telles sont les applications faites jusqu’ici à l’astronomie des vues d’Einstein sur la gravitation. Elles se rapportent toutes les trois, on doit le remarquer, à des phénomènes se passant sur le Soleil ou à une distance relativement faible de cet astre. Pour que la physique s’engage définitivement dans la voie ouverte par la théorie de la relativité, il faudra probablement que de nombreuses expériences, d’un caractère positif, aient été effectuées dans les laboratoires. Une expérience, se rattachant aux questions qui nous occupent, fut faite, il y a une dizaine d’années, par M. Sagnac. Elle présente quelque analogie avec celle de Michelson, et se passe dans un système auquel on donne un mouvement de rotation, mais elle se rapporte aux éléments du premier ordre. Dans cette expérience, on observe un déplacement de franges d’interférence qui met en évidence la rotation. Il est d’ailleurs possible d’expliquer la belle expérience de M. Sagnac au moyen de la théorie générale de la relativité, comme au moyen des théories classiques.

Terminons par quelques remarques générales. Certains trouvent qu’il y a dans l’établissement de la théorie de la relativité einsteinienne des points obscurs et des hypothèses insuffisamment formulées, et cela est exact. Mais cette critique touche peu ceux qui pensent qu’une théorie ne doit pas avoir la prétention de donner des apparences une explication conforme à la réalité, et que seuls importent les formules finales et leur accord aussi exact que possible avec un ensemble de lois expérimentales, le but essentiel étant de sauver les phénomènes, σῴζειν τὰ φαινόμενα, suivant une expression qui remonte à Platon, et la partie essentielle d’une théorie étant surtout le moule analytique dans lequel elle enferme les choses. À ce point de vue, on peut dire que ce qui constitue une théorie de la relativité, c’est le qui lui correspond. Celui-ci obtenu, on peut faire abstraction de la manière dont on y a été conduit.

D’autres, attachés aux idées traditionnelles, ne prennent pas facilement leur parti d’une sorte de rupture avec le sens commun. L’avenir dira dans quelle mesure, si de nouveaux faits expérimentaux leur apportent un appui, les idées nouvelles pourront s’incorporer dans ce bon sens moyen de l’humanité, où Descartes mettait le fondement de la certitude, et qui était pour lui le trait d’union entre notre pensée et le réel. Sans cet accord, il n’y a que scepticisme ; c’est un écueil que n’ont pas toujours évité les théoriciens de la physique.

  1. Cet article a été écrit pour l’Annuaire du Bureau des Longitudes de 1922.
  2. Un point est encore à noter. Dans les théories classiques relatives à l’éther les équations sont réduites à la forme linéaire. Qu’adviendrait-il, dans les problèmes qui nous occupent, si l’on ne se limitait pas à cette approximation ? C’est une question à laquelle il n’est pas possible, actuellement, de répondre. On ne peut donc pas dire que l’on a épuisé toutes les alternatives, en restant aux anciens points de vue.
  3. Cette réciprocité s’exprime en écrivant que la longueur, dans le système σ, d’une longueur un immobile par rapport à S est égale à la longueur, dans le système S, d’une longueur un immobile par rapport à σ.
  4. Avec plus de précision, une forme telle que (6) est dite euclidienne quand elle est susceptible d’être ramenée à la forme

    les étant des fonctions des , la transformation étant complexe aussi bien que réelle ; ceci correspond à ce que Riemann appelait espace plan. Si l’on reste dans le domaine réel, certains carrés pourront être précédés du signe moins ; c’est ce qui arrive pour la forme (5), et il peut arriver alors que toutes les variables ne jouent pas le même rôle, tel le temps dans cette dernière forme. Aussi faut-il parler d’analogie et non d’identité entre l’espace et le temps.

  5. Tout récemment (Comptes rendus, 29 août 1921), M. Gaston Bertrand a fait l’intéressante remarque qu’une infinité de lois d’attraction, dépendant à la fois de la distance et de la vitesse, conduisent à la formule (9), et rendent compte par suite du résidu relatif à Mercure. Telle est en particulier la loi

    ne différant de la loi de Newton que par le dernier facteur dépendant de la vitesse . Cette loi et celles visées plus haut ont évidemment un caractère artificiel, et ne se rattachent pas, comme il arrive pour l’application faite par Einstein, à une théorie générale conçue sans souci du cas particulier à expliquer.

  6. L’unité de longueur étant le kilomètre et l’unité de temps le trois-cent-millième de seconde.