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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

et s’approcha de la fenêtre, mais Wilmot demeura assis en face de son verre plein. Les bulles pétillantes avaient disparu de la surface du vin clair couleur d’ambre ; mais bien que du vin de Moselle, à une demi-guinée la bouteille, ne dût pas être la boisson ordinaire d’un ex-forçat, il ne semblait pas apprécier beaucoup ce liquide. Il courbait la tête, appuyant son coude sur son genou, en songeant, songeant toujours.

Dunbar s’amusa pendant dix minutes environ à regarder la rue animée, qui est peut-être la plus belle, la mieux aérée et la plus jolie de toutes les grandes rues de l’Angleterre, puis il s’éloigna de la fenêtre et regarda son ancien valet. Il avait eu l’habitude, trente-cinq ans auparavant, d’être très-familier avec Wilmot et d’en faire un confident et un compagnon ; il recommença maintenant avec lui sur le même pied et tout naturellement, comme si les trente-cinq ans n’eussent pas existé et qu’il n’eût fait aucun tort à Wilmot. Il reprit ses anciennes allures, et traita son compagnon avec cette affabilité hautaine que l’on peut supposer à un monarque à l’égard de son ministre favori.

— Buvez votre vin, Wilmot, — s’écria-t-il ; — ne restez pas là à méditer comme si vous étiez un grand spéculateur réfléchissant à la stagnation des affaires. Il me faut des figures joyeuses pour saluer mon retour dans mon pays natal. J’ai vu assez de sombres visages dans l’Inde, et je ne veux voir ici que des physionomies souriantes et agréables. Vous avez l’air soucieux d’un homme qui a commis un meurtre ou qui en prémédite un.

Le paria sourit.

J’ai de si bonnes raisons pour paraître gai, n’est-ce pas ? — dit-il du même ton que celui dont il s’était servi en acceptant les bontés du banquier. — L’avenir me réserve une si belle perspective, et le passé m’offre de si riants souvenirs ! La mémoire d’un homme me