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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

Je ne m’approchai pas du grand fleuve sans une certaine émotion, assez particulière, qui a besoin d’être expliquée. Il y a six ans je partais une première fois pour voir le Niger en compagnie du capitaine Brosselard-Faidherbe, et nous ne pûmes l’atteindre. Mon compagnon par trois fois s’était dirigé vers le grand serpent de l’Occident africain, et ne le vit jamais. D’abord il avait suivi avec la première mission Flatters la route du Sud-Algérien. Puis, ayant pris pour point de départ les frontières de la Guinée portugaise, il fut arrêté par des guerres entre indigènes. Une troisième fois il se mit en route. Partant de Benty et de la Mellacorée, en compagnie du peintre Adrien Marie et de moi, il nous dirigea vers les sources du grand fleuve. Les soldats de Samory nous barrèrent la route à 40 kilomètres de ses rives. Et Brosselard-Faidherbe est mort, il y a deux ans, sans avoir vu le Niger…

Le souvenir de pareille malchance m’obsédait. Il était devenu singulièrement intense à la dernière étape. D’avoir fait mes débuts africains avec ce malchanceux, il me semblait que quelque chose de sa déveine devait s’être attaché à moi. Sûrement je ne le verrai pas, moi non plus, ce Niger ! Et voilà que, fatigué par cinq jours d’étapes doublées, tant j’avais hâte de l’atteindre, mon cheval se mit à butter sans cesse sur la route rocailleuse et descendant en pente rapide. Je mis pied à terre. Alors ce fut une autre inquiétude : n’allais-je pas au-devant d’une grande déception ?

Tout à coup l’étroit couloir de la vallée s’épanouit, ses parois rocheuses se rejettent brusquement à droite et à gauche, au loin, comme des battants de porte. « Voilà Djoliba », s’écrie mon domestique, à la façon de ses confrères blancs annonçant : « Madame est servie ». Du haut de la route accrochée à l’un des coteaux, c’est un spectacle impressionnant : de vos pieds à l’horizon, maintenant vaste, s’étale dans les splendeurs d’un crépuscule tropical une