Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/363

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
347
LA POLITIQUE ET LA LITTÉRATURE

science et des savants du Soudan d’après des documents soudaniens. Voici les hommes de Sankoré transportés en pleine culture arabe. Quelle figure vont-ils faire au Maroc ? L’épreuve, il faut le dire dès maintenant, tourna à leur entier avantage.

Parmi les exilés se trouvait un docteur du nom de Ahmed Baba. Né en 1556 à Araouan, ses ancêtres étaient des berbères senhadja[1]. Au moment de la conquête, jeune encore, il avait déjà une réputation considérable à Tombouctou. Ses pairs lui avaient décerné le titre précieux de « perle unique de son temps ». Au Maroc sa renommée va grandissant, se répandant de Marrakech à Bougie, à Tunis, jusqu’à la Tripolitaine. À leur tour les Arabes du nord proclament ce nègre : « très docte, magnanime, étendard des étendards. » Ses geôliers eux-mêmes découvrent en lui « un réservoir d’érudition ». À la requête des savants marocains les portes de la prison s’ouvrent pour lui un an après son arrivée (1596). Tous les croyants ressentent de cet élargissement une vive satisfaction, un véritable soulagement. Du cachot il est conduit comme en triomphe à la principale mosquée de Marrakech. Un grand nombre de lettrés le pressent d’ouvrir des cours publics : il prend place dans la mosquée des chérifs, et enseigne la rhétorique, le droit, la théologie. Une affluence extraordinaire d’élèves accourt. Ce n’est pas tout. Des questions de la plus haute gravité lui sont soumises par les représentants de la magistrature et ses réponses deviennent des arrêts sans appel. Avec une modestie digne de sa science, il dit à ce propos : « Peu confiant dans ma propre sagacité et convaincu d’ailleurs de l’insuffisance de mon instruction, j’examinais à plusieurs reprises les questions que l’on me posait. Puis j’invoquais l’assis-

  1. C’est à cette grande tribu des Senhadja, qui se répandit très avant dans le sud de l’Afrique Occidentale, que le Sénégal doit son nom.