Page:Dubois - Tombouctou la mystérieuse, 1897.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
349
LA POLITIQUE ET LA LITTÉRATURE

Maroc pendant douze ans encore. Craignant l’influence qu’il exerçait sur ses concitoyens, on ne l’avait fait sortir de prison qu’à cette condition. Ce fut seulement après la mort d’El Mansour qu’il obtint l’autorisation de retourner au Soudan. Il rentra donc dans son pays qu’il désirait ardemment revoir et dont il ne parlait Jamais que les larmes aux yeux. Voici quelques-uns des vers qu’il composa pour exprimer l’amour qu’il ressentait pour sa patrie :

« Ô toi qui vas à Gaô, fais un détour vers Tombouctou ; murmure mon nom à mes amis, et porte-leur le salut parfumé de l’exilé qui soupire après le sol où résident ses amis, sa famille, ses voisins. Console là-bas mes proches chéris de la mort des seigneurs qui ont été ensevelis… »

À l’heure de son départ les principaux savants de Marrakech lui firent la conduite. Puis quand on fut sur le point de se séparer, l’un d’eux saisit la main d’Ahmed Baba et prit affectueusement congé en le saluant de cette sourate du livre saint : « Certes celui qui a institué pour toi le Koran, te ramènera à ton point de départ » — parole qu’il est d’usage d’adresser au voyageur afin qu’il revienne à bon port. En entendant ces mots le cheik retira vivement sa main et s’écria : « Puisse Dieu ne jamais me ramener à ce rendez-vous, ni me faire revenir dans ce pays ! »

Il atteignit le Soudan sans encombre et mourut à Tombouctou en 1627[1]. Homme d’un haut savoir il fut aussi un écrivain fécond, polygraphe au surplus. Son œuvre comprend une vingtaine de volumes dont les noms sont connus. À part un traité d’astronomie en vers et quelques commentaires de textes saints, ses livres ont principalement pour objet l’explication du droit et des sciences qui

  1. Il fut enterré auprès de son père Sidi Ahmed dont le tombeau se voit encore au nord de Tombouctou.