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LA POLITIQUE ET LA LITTÉRATURE

à la même tendance, tant ce nom est resté populaire dans les pays du Niger.

La famille d’Ahmed Baba ne s’est pas éteinte, d’ailleurs. J’ai trouvé ses descendants à Tombouctou, habitant au nord de la ville, près de la mosquée de Sankoré, une maison assez importante, qui fut, assure-t-on, la demeure même de l’ancêtre. L’un de ses arrière petits-fils, Ahmadou Baba Boubakar, est cadi et jouit d’une bonne réputation de science ; l’autre, Oumaro Baba, vit de copies qu’il exécute d’une très belle écriture. Ils conservent pieusement une chaise qui avait appartenu à leur glorieux aïeul, lequel la tenait de la munificence du sultan El Zédan, son libérateur. Une touchante tradition de famille se rattache à ce meuble vénéré : chaque fois qu’un membre de la famille se marie, le jour de la cérémonie nuptiale il obtient la faveur de s’asseoir dans la chaise de l’ancêtre. On espère ainsi, m’a-t-on dit, que quelque chose des hautes qualités et du savoir de l’illustre cheik rejaillira sur le marié et sur sa descendance.

L’apogée de la grandeur scientifique et littéraire de Tombouctou fut ce xvie siècle que nous avons vu finir de façon si désastreuse pour les marabouts. Leur arrestation et leur exil en masse portèrent un coup fatal à l’Université de Sankoré. Le déclin des lettres — comme de toutes choses au Soudan — commence avec l’installation des Marocains. Et cependant, aux premiers instants de ce crépuscule, va naître encore le chef-d’œuvre de la littérature soudanienne : Tarik è Soudan (l’Histoire du Soudan), que nous avons si souvent mentionné au cours de ces récits.

Depuis longtemps la vigilance des orientalistes était en éveil et guettait ce livre précieux. De Tripoli, d’Algérie, du Maroc on leur en avait signalé l’existence. Unanimement on l’attribuait à Ahmed Baba.