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TOMBOUCTOU LA MYSTÉRIEUSE

bateau s’échouait-il ? Dans la nuit fraîche comme par le soleil brûlant ils se jetaient à l’eau pour le haler.

Et ainsi durant quatre, six, sept jours, coupés seulement par quatre ou cinq heures de médiocre repos nocturne, malaisément couchés qu’ils étaient au fond du bateau et dérangés par ceux d’entre eux qui continuaient de pagayer. Quels hommes de notre race pourraient fournir une pareille somme de résistance ? Eux, sans y mettre autrement d’amour-propre, ne laissaient point paraître une anormale dépression. Seulement ils riaient et jacassaient un peu moins les derniers jours que les premiers, et recouraient un peu plus souvent à leur réconfortant, le tabac en poudre, que les uns se fourraient dans le nez, les autres dans la bouche.

Est-ce à dire qu’ils s’imposaient de telles fatigues, une telle diligence, par dévouement ? Non. Pensez que quelques heures avant de s’embarquer ils ne me connaissaient pas, qu’ils savaient me quitter quelques heures après l’arrivée. Imaginez qu’ils ne pouvaient même pas comprendre ma diligence, eux pour qui le temps n’est rien, n’a pas de valeur ; eux qui ne savent pas leur âge, pour qui la vie est une route parfois longue, parfois courte, mais de toute manière ne menant à rien. Aussi les premiers jours me fallait-il les dresser, les gronder et, quand les avertissements restaient sans effet, distribuer quelques bourrades. Une stricte équité présidait à ces distributions, il est vrai, et comme dans leurs natures primitives le sentiment de la justice s’est conservé très intense, ils ne m’en gardaient nulle rancune. Peu après avoir reçu le châtiment, ils saisissaient le premier et moindre prétexte pour rire à gorge déployée. Et la barque glissait plus rapide au cri de « Tara ! Tara ! Bosos. »

Je veux leur rendre ce témoignage encore : seul parmi eux, sans escorte nègre, à plusieurs journées de tout autre blanc, naviguant à travers des pays à peine soumis, par-