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on a tout lieu de reconnoître qu’on se trompoit. Ceux qui se sont approchés de nous ne se sont pas rendus François et les François qui les ont hantés sont devenus sauvages. »

Les costumes des Indiens légendaires n’existeront bientôt plus qu’à l’état de souvenirs dans les musées ethnographiques ; les Micmacs, cependant, en conservent encore quelques échantillons qu’ils portent dans les grandes occasions, ou pour complaire au voyageur en quête de couleur locale, mais là, comme ailleurs, la confection à bon marché a fait son œuvre, transformant ces guerriers aux allures majestueuses en des rôdeurs sordides et dépenaillés. Ne trouvant plus, comme jadis, dans la chasse et la pêche, de quoi suffire à leur subsistance, ils ont essayé de se créer des industries particulières, telles que la vannerie, les broderies de perles ou « rassade », etc. Pendant la saison de la chasse, ils servent de guides aux nombreux « sportsmen » qui, de fort loin, parfois, et en vraies caravanes, viennent vivre de la vie errante et libre dans les solitudes des Provinces Maritimes. On a donc tort de croire que l’Amérique des premiers pionniers n’existe plus : dans ce pays des contrastes par excellence, point n’est besoin de s’écarter beaucoup pour la retrouver dans son âpre grandeur ; tout comme au temps de Diéreville, l’orignal, ce renne plus gros qu’un mulet, « se galope » en raquette sur la neige pendant deux ou trois jours de suite : « Quand il est une fois debout, il ne s’arrête point et va jour et nuit jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus ; c’est de quoy bien exercer le chasseur qui court après dans les bois dont l’épaisseur résiste souvent à l’ardeur qu’il a de les percer. »[1]

TÊTE D’ORIGNAL. — CLICHÉ DU « CANADIAN PACIFIC RAILWAY. »

Ces vastes territoires de chasse et de pêche sont souvent loués par des clubs sportifs qui s’installent ainsi, en pleine sauvagerie, avec le luxe le plus raffiné ; quelques hôtels ont suivi cet exemple et se sont spécialement aménagés pour une clientèle de ce genre ; sauf certains détails de nourriture, il est difficile d’exiger un plus grand confort que celui qui vous est offert dans ces palais de bois.

Les Indiens ont, pour la plupart, de fort belles voix ; aussi, avant de quitter nos nouveaux amis, M. l’abbé Doucet pria-t-il l’un d’entre eux de chanter, ce qu’il fit de fort bonne grâce, tout en taillant son manche de hache ; d’une voix de baryton aux accents métalliques, il psalmodia successivement plusieurs airs de plain-chant et l’exécution eût été parfaite sans les hoquets bizarres dont il ponctuait ses strophes. Si les descendants de nos anciens alliés ont oublié le français — en admettant que leurs pères l’aient jamais su — ils en ont cependant conservé quelques mots passés dans leur langue, tels que « bonjour » devenu bozoul « assiette », etc.

CHARLOTTETOWN (ÎLE DU PRINCE ÉDOUARD).
CLICHÉ DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR DU CANADA.

Le lendemain nous quittâmes le Cap-Breton et après m’être, à mon bien vif regret, séparé de M. l’abbé Doucet que les devoirs de son ministère rappelaient à la Grande Anse, je retournai le 12 juin à Shediac, m’embarquer, à la Pointe-du-Chêne, pour l’Île du Prince-Édouard.


V

ÎLE DU PRINCE ÉDOUARD

Tignish. — Charlottetown. — Rustico.


L’Homme Rouge qui, le premier, la posséda, l’appelait Abegweit, ou Reine de la Vague ; Sébastien Cabot, l’ayant découverte le 24 juin 1497, la baptisa, pour cette raison, Île Saint-Jean, nom qu’elle perdit en 1799, pour prendre celui de Prince-Édouard en l’honneur du duc de Kent qui commandait à Halifax ; ses côtes sont basses, plantées de sapins ; elle apparaît au large comme un croissant de verdure étendu sur la mer.

  1. Diéreville : Voyage en Acadie en 1700.