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ARRIVÉE DU BOIS À QUÉBEC. — CLICHÉ DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR DU CANADA.

vernment de la province de Québec, ces religieux se sont voués au défrichement et à la colonisation de la vaste contrée au milieu de laquelle ils ont élevé leur monastère ; ils y ont réussi au delà de toute espérance, et le désert d’il y a quelques années s’est transformé en une florissante paroisse de plus de 400 habitants qui est desservie, deux fois la semaine, par un vapeur partant de Roberval ; j’ai beaucoup regretté de n’avoir pas eu le loisir d’en profiter pour aller saluer, dans leur retraite, ces vaillants Français.

À cette époque de la fin de juin, les Montagnais nomades commencent à redescendre vers la Pointe-Bleue ; j’avais déjà remarqué leurs tentes disséminées sur le rivage, et le Père Supérieur voulut bien m’accompagner, dans le camp où je pus enfin contempler quelques « échantillons d’indiens pur sang, quoique plus ou moins vêtus à l’européenne, aux mocassins près, grâce aux complets de traite fournis par la Compagnie. Pour la même raison, les anciens wigwams coniques en écorce de bouleau ont été remplacés par des tentes en toile analogues à celles de nos soldats, mais les femmes ont conservé un costume spécial dont les parties les plus saillantes consistent en un foulard d’indienne aux couleurs vives jeté sur les épaules, et un bonnet d’étoffe analogue à celui des pêcheurs de la Méditerranée et dont la pointe est fixée, par le retroussis, au milieu du front. Ce bonnet, que les Canadiens appellent tuque, est tricolore, formé de bandes rouges et noires, brodée dé bleu. J’assistai aussi à la naissance d’un canot d’écorce, ce chef-d’œuvre de l’art sauvage, si élancé, léger et gracieux avec ses pinces pointues et recourbées, tout embaumé de résine, tel, enfin, que l’a chanté Longfellow dans son poème indien d’Hiawatha :


Le canot de bouleau fut construit — dans la vallée, près la rivière, — au cœur même de la forêt ; — la vie des bois était en lui, — tous ses mystères, toute sa magie, — la légèreté du bouleau, — toute la fermeté du cèdre ; — avec la souplesse du tremble, — puis il flotta sur la rivière — comme une feuille jaunie par l’automne, — comme un lys d’eau couleur de feu.


Avant de quitter le lac Saint-Jean, il convient de dire au moins quelques mots du ouananiche, le célèbre saumon d’eau douce dont les bonds sont, parait-il, prodigieux, et qui abonde, non seulement dans le lac, mais encore dans les rivières qui en découlent ; sa chair passe pour être supérieure à celle du saumon ordinaire et, chaque printemps, sa renommée attire, de toutes les parties du monde, des pêcheurs passionnés désireux de se mesurer avec lui ; quant aux truites de toute grosseur, elles pullulent tellement qu’on les rapporte à pleins paniers, comme j’en ai pu être témoin. Je rentrai d’assez bonne heure pour avoir le temps de faire un tour dans le village de Roberval, presque exclusivement peuplé de Canadiens qui lui ont donné cette physio-