Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/284

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ces histoires naissent avec une charmante facilité dans cette région mystérieuse où passe la voix de la mer, caressante ou colère. Si les côtes sont bordées de grèves désertes, de récifs aigus, tout ce qu’elles abritent est paisible et fécond. La fertilité du sol est extrême, due à la nature du terrain d’abord, puis à la possibilité de se procurer les engrais de la mer, lesquels ont pour effet de créer un milieu hostile à la pullulation des parasites du sol, limaces, chenilles, vers blancs, insectes de toutes sortes qui n’aiment pas séjourner dans ce milieu salé, sablé, odorant de goëmon, hérissé de rugueux débris de coquillages.

Je n’ai pas quitté la région sans voir les tours formidables du château de Tonquedec. Puis j’ai fait le voyage par mer de Ploumanach à Saint-Michel-en-Grève, parti de bon matin, heureux d’être bercé par les flots de la mer bienveillante, de passer légèrement à travers les écueils, d’aborder à l’île Grande creusée de carrières de granit, de contourner l’île des Peignes, l’île Losquet, l’île Molène, l’île de Millian, de doubler les pointes de Bihit, de Dourvin et de Séhat, de longer la ligne dentelée où se creuse le petit port de Saint-Michel. Le bourg est au fond de la baie sur la route de Lannion à Morlaix. Mais la curiosité, à Saint-Michel-en-Grève, c’est la grève. Elle occupe l’emplacement d’une ancienne forêt qui se développait sur une longueur de quatre kilomètres et sur une surface de six cents hectares de superficie. C’est « Allew Drez », ou la Lieue de Grève. Les eaux envahissent et vident cette immense étendue avec une vitesse extrême, créent des courants de sable, des trous, des entonnoirs, qui, dit-on, persistent çà et là traîtreusement à marée basse et enlizent l’imprudent qui s’aventure au loin. L’accident toutefois doit être rare, car il ne m’a pas été cité d’exemples récents. Le vrai danger, je crois bien, c’est dans le retour brusque et rapide de la mer qui se déverse en un rien de temps par ce vaste espace où nul obstacle ne l’arrête. Fatalement, la légende devait fleurir ici comme le chardon des grèves. La voici. La nuit qui suit la Pentecôte, ceux qui savent voir aperçoivent une silhouette qui arpente mélancoliquement le bord des flots lointains. C’est l’ombre de l’ambitieux Perik Scoarn, natif du bourg de Plestin. Désireux de richesse, Perik suivit le conseil de Satan déguisé en mendiant, qui lui indiqua l’emplacement de la ville d’Is, abordable à marée basse, où il trouverait la baguette magique pour le rendre tout-puissant. Il n’y avait qu’à entrer par une porte qu’il verrait, qu’à pénétrer plus avant dans un palais, et qu’à en sortir avant le douzième coup de minuit. Perik va, entre, découvre les amas de richesses dans une première salle, parvient dans une chambre où il aperçoit le talisman gardé par des femmes d’une beauté surprenante. Toutes sourient au hardi garçon, qui oublie l’heure auprès d’elles. Le premier coup de minuit tinte. Il est trop tard pour fuir. Le dernier résonne encore, que toutes les femmes se changent en statues de pierre, et que Perik est enfermé pour jamais au milieu des monceaux d’or indifférents et des inutiles pierreries. Il pourra seulement, une fois par an, venir errer et gémir au long des flots. C’est, comme on le voit, la vieille fable des sirènes sous une forme locale. Mais peut-être y a-t-il là une ville, un palais, des richesses, des statues de pierre. Des pêcheurs racontent qu’à certains jours de marées très retirées, on a aperçu des vestiges de constructions.

AU PAYS DE TRÉGUIER.

Au fond de la baie, sur un chemin montant, la chapelle de Saint-Efflam est bâtie à la place de l’ermitage du saint, fils du roi d’Hybernie en Irlande. Tout près, le rocher Roch’Ru, surmonté d’une croix. C’est là que saint Efflam mit en fuite un serpent d’importance qui désolait le pays : il se sauva dans la mer par un trou d’où jaillit une fontaine, Toul Efflam. Précieuse fontaine, lieu de pèlerinage pour les boiteux, et qui aide à la