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reste, de s’occuper de ses colonies et de ses colons ; je n’ai qu’à rappeler que, lors du dernier grand cyclone à l’île Maurice, le Parlement, réuni aussitôt, votait l’envoi de 25 millions de francs. En 1891, lorsque pareil cataclysme s’est produit à la Martinique, la métropole prêtait quelques millions, remboursables en annuités, d’après ce qu’on m’a affirmé à Fort-de-France.

SAINT-VINCENT. TORRENT DE BOUE INCANDESCENTE DESCENDANT JUSQU’À LA MER. — D’APRÈS UNE PHOTOGRAPHIE.

Après avoir exploré la zone à peu près abordable de la région où je me trouve, je me décide à retourner à la capitale. En longeant de nouveau cette côte et en examinant les falaises qui la bordent, les couches énormes et superposées de laves et de conglomérats devant lesquelles passe mon embarcation, j’arrive à la conclusion que le cataclysme de 1902, quelque effrayant qu’il ait été, ne peut, être comparé aux terribles bouleversements dont cette terre a été le théâtre dans les temps reculés. À la Martinique, j’ai fait la même réflexion en jetant les yeux sur les nombreux massifs montagneux, groupés autour des anciens foyers de soulèvements volcaniques, auxquels l’île doit son origine. La Guadeloupe, la Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, se trouvent dans le même cas ; mais cet archipel n’étant connu que depuis quatre siècles, l’histoire est muette au sujet des perturbations titaniques qui en ont remué le sol.

La Soufrière, en guise de salut, veut bien me donner une preuve que son activité ne s’est pas encore calmée ; au moment où elle va disparaître à mes yeux, j’aperçois un nuage dense s’élever du cratère, se développer en d’épaisses volutes qui ont l’air de rouler le long des flancs du volcan. Les Anglais ont baptisé ces nuages du nom de cauliflower (chou-fleur), et la comparaison est assez bien choisie, étant donnée la forme qu’ils ont en sortant de la montagne.

Georgetown, situé sur la côte est, c’est-à-dire la Côte du vent, est difficile à atteindre par mer. Les vagues déferlent généralement avec impétuosité sur les falaises qui forment une ceinture autour de cette partie de l’île et rendent le débarquement extrêmement difficile. On y arrive par une route assez bonne, longue d’une vingtaine de kilomètres. M. Cameron a eu l’obligeance de s’occuper de moi, et la voiture qui me conduit restera à ma disposition pour le temps que je consacrerai à ma tournée. Un fonctionnaire de Kingstown, qui déjà s’est rendu plusieurs fois dans la région dévastée, et qui même a failli être la victime d’une éruption, dans une excursion aux environs de Château-Belair, se décide à m’accompagner. Sa compagnie m’est d’autant plus utile et agréable qu’il peut me donner de nombreux renseignements, et qu’il connaît à merveille la zone que je vais parcourir.

Elle est vraiment ravissante, cette petite île de Saint-Vincent : je ne tarde pas à m’en rendre compte, en sortant de la ville, et en suivant un chemin qui escalade les zigzags des collines, dont de charmantes fleurs aux tons variés diaprent les ondulations. Tout étonné de voir les ruines d’une fabrique à peu de distance encore de la capitale, et bien avant d’atteindre la limite des dévastations, j’apprends que ces dégâts ont été occasionnés par un tout autre cataclysme qui a frappé l’île, il y a quatre ans. C’est que ces pauvres Antilles n’ont pas seulement le feu des volcans suspendu sur leurs tètes comme l’épée de Damoclès, mais que, périodiquement, des ouragans terribles les assaillent et les ravagent. La fabrique en question a été détruite par un puissant cyclone qui a passé, en 1898, au-dessus d’une grande partie de l’île, tuant six cents habitants,