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fers de charrue, des broches, des lardiers, pour une grande partie de la Bretagne. Heureux pays qui n’a guère d’autre histoire. Loudéac ne fut jamais fortifié et n’eut, de ce fait négatif, à subir aucun siège. On relate que l’armée française vint y loger, en 1491, à la fin de la guerre de Succession, et qu’elle y souffrit de la faim. On dit aussi que la première imprimerie bretonne fut fondée à Loudéac. Le goût du savoir n’en fut pas pour cela répandu dans toute la région, puisque, en 1794, les paysans révoltés détruisirent une maison d’étude construite, en 1768, pour le défrichement des terrains incultes.

C’est revenir sur mes pas que d’aller à Saint-Méen, mais il faut me résigner à ces courses qui rayonnent autour d’un centre. Le bourg est né d’un monastère, fondé par saint Méen, abattu au xe siècle par les Normands, réédifié au siècle suivant par Hingueton, abbé de Saint-Jacut, rebâti encore plusieurs fois, notamment en 1712. Je vois là l’église abbatiale, sa tour ogivale, coiffée d’un dôme et d’une autre tour carrée plus petite. En venant, j’ai vu Merdrignac, pays de landes coupé de pâturages. Je m’en reviens donc à Loudéac par Collinée, par la vallée du Menez, non loin de la forêt de Bosquen, Collinée, où il reste quelques maisons du xvie siècle, parmi lesquelles sans doute est la maison de Simon Collinæus, qui fut le collaborateur d’Estienne, épousa sa veuve, créa des poinçons pour les caractères italiques, eut l’idée du premier alphabet illustré, et publia des éditions célèbres. Non loin, au Gouray, existait autrefois une « caquinerie », hôpital où l’on traitait la lèpre. Les Caqueux ou Cacous avaient ou n’avaient pas la lèpre, les historiens ne paraissent pas très fixés sur ce point. Ils passaient pour l’avoir, et cela suffit pour que l’on prît contre eux les plus terribles mesures d’isolement. Partout, ils avaient leurs places séparées, même à l’église, avec le vide autour d’eux. Un métier leur était permis, celui de cordier. Admirez l’illogisme qui faisait aux gens qui les fuyaient acheter les cordes faites de leurs mains dangereuses. Ils pouvaient avoir quelques terres autour de leurs maladreries, mais ils ne pouvaient bâtir. Peu à peu les Caqueux s’enhardirent, allèrent çà et là, entreprirent des commerces. De véritables lépreux se révélèrent, et François II dut rendre, en 1465, une ordonnance qui défendait aux Caqueux « de non aller, ne voyager sans avoir une marque de drap rouge sur leur robe, pour les connaître, afin d’éviter le danger et inconvénient qui vraysemblablement pourrait advenir ès gens sains et non suspects et entachés d’icelle maladie, et aussi de non plus se marchander de beurre, plume, porcs, vaches, veaux, chevaux, et autres marchandises, fors seulement de marchander le chanvre au fil pour leur fait ou métier de cordage ; et pareillement de non plus faire aucun labourage que de leurs jardins ». Cette ordonnance fut appliquée par les gens du duc avec une telle rigueur que les Caqueux faillirent être réduits à la famine, dit M. Ant. Dupuy, dans son Histoire de la Réunion de la Bretagne à la France, à laquelle j’emprunte ces détails.

PAYSANNE DE PONTIVY, EN COIFFE NOIRE.

Un autre auteur, Monteil, dans son Histoire des Français des divers états, dit comment se pratiquait la relégation du Caqueux. Lorsqu’il avait été arraché à sa famille, on le recouvrait d’un drap mortuaire, le chef de la paroisse venait le prendre en procession, le conduisait à l’église, où il était placé en chapelle ardente, pour entendre les prières des morts et recevoir des aspersions, avant d’être conduit à la maison qu’il devait occuper. « Arrivé à la porte, au-dessus de laquelle était placée une petite cloche surmontée d’une croix, le lépreux, avant de dépouiller son habit, s’est mis à genoux, le curé lui a fait un discours touchant, l’a exhorté à la patience, lui a rappelé les tribulations de Jésus-Christ, lui a montré, au-dessus de sa tête, prêt à le recevoir, le ciel, séjour de ceux qui ont été affligés sur la terre. Le malade a retiré ensuite son vêtement, mis sa tartarelle de ladre, pris sa cliquette pour qu’à l’avenir tout le monde eût à fuir devant lui. Alors le curé, d’une voix forte, lui a prononcé en ces termes, les défenses prescrites par le rituel :

« Je te défends de sortir sans ton habit de ladre.