Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/498

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comique de petites filles bretonnes, à gros souliers, à jupes longues, à tabliers de couleur, à coiffes de dentelles. Elles marchent, courent, tournent autour de jeunes femmes et de vieilles femmes vêtues comme elles, et ma foi ! elles ont toutes plus de style et de grâce que les dames et demoiselles en beaux costumes parisiens, en chapeaux à fleurs, à plumes et à panaches, qui passent aussi sur la route. Je finis la soirée à travers les petites rues, la rue du Fil, la rue du Pont, où s’avancent les visages vieillots de maisons coiffées de travers, la place Égalité, avec sa maison de 1578 et sa statue du Dr Guépin. Puis je parcours la place immense, solennelle, morne, la place Nationale, où s’ennuie la statue du général de Lourmel, mort devant Sébastopol. C’est autour de la place Nationale que s’élèvent les édifices officiels, la Sous-Préfecture, l’Hôtel de Ville, le Tribunal. Je quitte cette étendue désolée sans pousser plus avant mes investigations, mais pour me perdre au square qui entoure l’église Saint-Joseph, allées, pelouses et ombrages parmi lesquels est installé un monument druidique en miniature. Il me semble, dans cette ville de Pontivy, que je joue au jeu de l’oie, que je vais m’égarer au labyrinthe ou tomber dans le puits, et qu’il me faudra « payer dix » pour recommencer à la première case. Je découvre enfin une promenade charmante, sous les verdures, au bord du Blavet, où il n’y a qu’un couple qui fait de l’hygiène, allant d’un bout à l’autre au pas gymnastique, en faisant aller les bras, les yeux fixés à terre. Je déambule plus lentement. Demain, je me sauverai plus vite.

AUBERGE À GUÉMÉNÉ.

De Pontivy, je vais sur les Montagnes-Noires par un chemin qui touchera Guéméné, Le Faouët et Gourin. Le temps est gris, chaud, orageux. Mignonne, la petite jument blanche attelée à la voiture, s’en va d’un assez bon train sous les injonctions affectueuses du voiturier : « Allons ! Mignonne. » Un arrêt à Stival, pour admirer le flamboiement des vitraux de Saint-Mériadec, un arbre de Jessé, une Passion, des scènes de la vie de la Vierge, de la vie de saint Mériadec. Je laisse en route d’autres chapelles à vitraux, et des châteaux, et des dolmens, et des menhirs. Il faut se hâter d’atteindre quelque maison. Au moment où je quitte la route de Carhaix pour filer sur Guéméné, le ciel devient d’un violet noir, une lumière cuivrée change la verdure, l’orage éclate, des éclairs crevassent la nuée, la foudre tonne, une pluie formidable inonde le paysage, et aussi la voiture, malgré le tablier relevé et la capote abaissée. Enfin, une maison apparaît à un carrefour. Je descends sous l’averse, et je fais là mon petit déjeuner du matin avec du pain noir et du lard qui me semblent délicieux pendant que les éléments font rage hors de la chaumière. Cette chaumière est meublée comme toutes celles que l’on aperçoit sur les routes de Bretagne : une table et deux bancs, des lits-clos, des solives où pendent des andouilles, des quartiers de lard, des vessies de graisse. Puis l’armoire et l’horloge, en bois ciré, aux gonds de cuivre reluisants. L’armoire et l’horloge, c’est ce que l’on aperçoit partout, bien en vue, par la porte ouverte, c’est la parure, le luxe et l’orgueil de la maison. Le fort de l’orage est passé, il pleut toujours, mais la pluie n’est pas en fureur comme tout à l’heure, elle est régulière et apaisée, elle ne fouette plus le paysage, elle le caresse, et déjà le ciel sourit à travers les pleurs. C’est ainsi, dans la fraîcheur et la douceur, que j’arrive à Guéméné. La première impression est charmante. Une grande rue, aux pavés lavés par la pluie, dévale entre des maisons rousses et grises, des maisons basses, trapues, qui paraissent tenir solidement au sol. On croirait qu’elles sont là de toute éternité, comme des rochers que la main de l’homme aurait creusés en logements et en boutiques, taillés, aplanis et ornés en façades. Tout en haut, la rue se divise en deux et une rangée de maisons s’avance à l’intersection comme un promontoire. Au petit hôtel, de bonne mine et excellent, deux femmes sont à table en mantes noires bordées de velours, que l’on prendrait tout d’abord pour des religieuses. Ce sont des femmes d’Hennebont, deux jeunes veuves