Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la bienvenue en son langage breton. Je me perds à un dédale d’arbres et de pilastres, j’avise une porte étroite et j’entre dans une petite salle creusée dans l’épaisseur de la muraille. Cette petite salle est une petite salle de bains, avec sa vasque de pierre, ses arrivées d’eau visibles, ses mascarons à l’énigmatique sourire de pierre soutenant les nervures de la voûte. La vasque est au fond, il y a deux bancs de pierre pris dans la muraille, et une croisée étroite comme une meurtrière par laquelle on voit l’émeraude du feuillage mouillé et la trame grise de la pluie. Qui est venu là ? Quelle songerie de femme s’est réfugiée en cet abri pendant qu’au loin la vie faisait rage ? Qui a écouté, de ce banc de pierre, de cette fenêtre en fente, la canonnade des Ligueurs dont on a retrouvé les boulets de pierre dans les fossés d’alentour ? Il a fallu que ce réduit eût un charme pour survivre à la mort du vieux château féodal, pour être respecté par ceux qui vinrent démanteler la forteresse au nom de Louis XIII et de Richelieu. On l’appelle le Bain de la Reine, sans dire de quelle reine il s’agit, sans doute la reine mystérieuse et invisible qui vient ici quand personne n’est là pour la regarder passer, quand les lavandières se sont tues, quand la bonne femme à la coiffe noire rêve dans son lit clos et que sa vache rumine dans son étable, quand le bourg est endormi, toutes ses fenêtres closes comme des paupières lourdes sur ses façades, quand tous les passants curieux sont rentrés à Paris. Alors, la Reine, pâle et blonde, vient au long du rû, vêtue de voiles légers, passe comme une ombre au long des massifs, contourne les sentiers, effleure les pilastres, entre dans la petite salle sans porte, quitte ses voiles, étend son corps d’ombre dans la vasque où l’eau vient bruire doucement. C’est par les beaux soirs d’été. Le murmure de l’eau et la respiration de la baigneuse se confondent avec le chuchotis de la brise tiède dans les arbres, les rossignols chantent comme ils ont toujours chanté, un clair de lune verdâtre pénètre par l’étroite croisée avec l’odeur des roses, et la lumière et le parfum des nuits sont seuls à connaître le secret de la petite salle et la venue de la visiteuse qui va disparaître comme elle est venue, avant le premier avertissement du jour.

INTÉRIEUR DE LA CHAPELLE SAINT-FIACRE.
LE JUBÉ DE 1440, AUX OGIVES FLEURIES, DANS LA CHAPELLE SAINT-FIACRE.