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LIEU DIT « LE SILLON DES ANGLAIS », PRÈS LANDÉVENNEC.

du sémaphore. Rien ne parle mieux de sécurité, ne donne mieux confiance que cette affirmation de la présence de l’homme. C’est bien peu de chose pourtant, que cette humble maisonnette tapie au sommet de la falaise. C’est bien peu de chose en face des éléments qui font rage, du vent furieux qui accourt, qui emporte tout, qui soufflette la mer et la terre, qui arrache les arbres et disloque les pierres. C’est bien peu de chose devant la mer qui peut tout à coup, sous les assauts du vent, se déchaîner à son tour, se jeter encore une fois sur la côte, recommencer son travail de destruction. Un dernier effort, une lézarde qui se creuse, un morceau de roc enlevé, et tout peut s’écrouler. Qu’importe ! Cette prise de possession du sol et de l’espace par la maison et les signaux du sémaphore est rassurante. Ce faible mât, ces cordages, ces fils, toute cette frêle précision en face de l’abîme des eaux et de l’air, image de l’infini monstrueux, c’est au moins une prévision et un secours. Ici, on conjure les désastres, on avertit, on réconforte. Le bateau perdu au loin voit la tache blanche de la petite maison, il entend le langage muet qui lui est parlé, il évite l’écueil et cherche le port. Je ne puis résister au désir de monter là-haut, et je ne regrette pas ma peine. La vue sur l’océan est splendide, et l’impression de bon refuge reste entière. On comprend très bien que l’on puisse vivre sur ce rocher. La maison aux murs épais est solide à pouvoir défier les tempêtes. Il y a de bons contrevents aux fenêtres. On est là comme en pleine mer, mais avec du feu l’hiver et quelque bon livre à lire, comme le Plutarque à tranches rouges lu par Alphonse Daudet au phare des îles Sanguinaires, la vie est encore acceptable. Et puis, la mer n’a pas que des bourrasques et des fureurs, elle a aussi des grâces et des sourires, et l’on est bien placé ici pour les connaître. Quelle joie, d’ouvrir sa fenêtre sur cette solitude mouvante !

Mais voici les rochers les plus étranges, les plus formidables, après que l’on a franchi l’anse de Dinant. C’est le château de Dinant, en avant des falaises déchiquetées, ravagées, creusées de profondes anfractuosités qui sont le boudoir de la Sirène, les grottes des Korrigans, la salle des Géants. Le château se dresse comme une ancienne forteresse, avec tours, créneaux, meurtrières, courtines, reposant sur des assises semblables à des fondations. Voici des salles à demi détruites, voici un pont de deux arches resté intact. C’est la lame qui a fait œuvre d’architecture, qui a creusé le bloc, percé des fenêtres, ouvert des portes, façonné la ruine. Le spectacle est encore plus saisissant de la mer, si l’on passe en bateau, contournant ces murailles, errant sous ces arches, par ce dédale de pierre.

La désolation ne fait que s’accroître, de grandes étendues rases, des falaises aux sommets sablonneux, des pentes raides de rochers tombant à la mer, de nombreux moulins à vent, de rares villages perdus au creux des ondulations de terrain, parmi les landes et les pierres. Si l’on tire vers l’est, c’est, tout près de Morgat, le hameau de Kermel et l’alignement druidique de Kercolléoc’h, d’où l’on voit la vaste baie de Douarnenez,