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Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/550

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pierre grise qui paraissent dégringoler la pente. Huelgoat, aussi, est un point magnifique de la Bretagne, dont la réputation est faite, bien faite, et trop faite, car dès l’arrivée ce ne sont qu’hôtels agencés à la mode des villégiatures. Je suis venu ici au temps où le chemin de fer de Morlaix à Carhaix et Concarneau n’existait pas encore, et je crois bien qu’il n’y avait dans ce temps-là qu’un seul hôtel, à la façon des auberges d’autrefois, très simple et paisible. Le pays n’avait encore été découvert que par quelques peintres. Les temps sont changés. De chaque hôtel sortent en ce moment des hommes à longs cheveux, à vastes chapeaux, qui tiennent sous leurs bras, chevalets, toiles, boîtes à couleurs. Il va falloir que tous les arbres et toutes les pierres de la contrée y passent, bon gré mal gré.

J’arrive tard, tout le monde a fini de déjeuner, est parti au « motif ». Les mouches, seuls hôtes de la salle à manger, bourdonnent et ronflent, dansent leurs danses, valsent leurs valses, après avoir mangé goulûment le sucre des quelques biscuits restés sur la table. Je déjeune de ce que l’on m’apporte, le restant du déjeuner de ce matin ou le commencement du dîner de ce soir. Pendant mon rapide repas, la patronne de l’hôtel vient me donner tous les renseignements qui sont sur mon guide. Je ne puis ni ne dois partir sans aller voir les merveilles du pays, l’Étang…, le Moulin…, le Ménage de la Vierge…, la Pierre qui bouge…, le Gouffre…, la Mare aux sangliers…, l’Église et la Cascade de Saint-Herbot… « Huelgoat, Monsieur, c’est le Fontainebleau breton, avec l’eau en plus ! » Certainement, j’irai revoir tout cela, surtout Saint-Herbot. Au moment où je vais sortir, un gamin suivi d’un autre, puis d’un autre, puis de plusieurs autres encore, s’offre pour m’accompagner. Je marche escorté de l’armée de la « Pierre qui bouge ». Voici l’étang, voici le moulin enveloppé de lierre, qui est aujourd’hui une usine électrique. Nous traversons un petit bois, nous nous trouvons à l’entrée d’une immense clairière remplie de blocs de rochers. Il y en a de hauts, de ronds, de pointus, de plats, de creux, de voûtés. Chaque antre a son nom, sa particularité. Au chaos du Ménage de la Vierge, l’eau coule à travers une grotte. Arrivé à l’extrémité, il faut se courber pour passer dans un étroit couloir, et de là on voit, quand on veut bien les voir, le Chaudron, le Fauteuil, le Lit, le Soufflet, l’Écuelle, la Cuiller, la Fourchette. Pour franchir les pierres, on pourrait facilement poser un pied devant l’autre, mais les guides de la « Pierre qui bouge » ne le permettent pas. Ils sont munis d’échelles, de planches, de bâtons, de petits tabourets, qu’il faut absolument utiliser, car ils vous y obligent. « Tenez, monsieur, passez là-dessus… Tenez, monsieur, appuyez-vous là-dessus… Montez donc sur mon échelle, monsieur… » Enfin, tout ce qu’il faut pour se casser les jambes et payer ce plaisir-là son prix. Ce n’est pas fini. Deux gamins m’attendent devant une énorme pierre posée sur l’une de ses arêtes. C’est la Pierre qui bouge, la Roche Tremblante, la plus belle de la Bretagne. Elle a près de 7 mètres de longueur, plus de 5 mètres de largeur, presque autant d’épaisseur, on croit qu’elle pèse plus de 100 000 kilogrammes. Cette masse est suspendue sur le sol rocheux en un tel parfait équilibre qu’elle va bouger au commandement. Le droit de la mettre en mouvement appartient aux deux gamins qui ont su laisser les autres occupés au Ménage de la Vierge et qui sont arrivés ici les premiers. « Regardez, monsieur ! » L’un des petits s’est glissé sous la pierre, il la porte maintenant sur son dos et, en effet, la lourde masse oscille bientôt, va et vient, il est impossible de le nier. C’est fini. Il faut partir. Ils étaient bien vingt gamins, et un tel travail vaut plus de deux sous. Je leur donne en pièces blanches une dizaine de francs. Les enfants d’Huelgoat se sont assurés là une bonne sinécure pour les jours de printemps, d’été et d’automne.

LA CASCADE DE SAINT-HERBOT, QUI TOMBE DE 70 MÈTRES DE HAUTEUR SUR LA PENTE D’UNE MONTAGNE COUVERTE D’ARBRES.

Je vais tout seul voir le Gouffre qui est un des décors les plus impressionnants du genre. L’eau, vraiment, arrive d’une extraordinaire violence, semble tomber au profond de la terre. Mais je suis bien vite rejoint par le plus obstiné de mes guides, qui veut à toute force me conduire au Camp d’Arthur. Je séjourne encore en forêt, j’écoute le bruit de l’eau, je m’arrête, je repars, je suis les sentiers à peine indiqués au milieu des herbes, de la mousse, des bruyères, des fougères,