Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 09.djvu/563

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culotte de cheval et houseaux bridés sur des chaussures armées d’éperons. Les femmes ne sont pas des centauresses, ce sont des fileuses, leur réputation est grande, leur fil fin et régulier peut servir aux dentelles.

De Corlay, pour explorer le pays entre Carhaix et Belle-Île-en-Terre, j’opte pour la route de Callac. C’est non loin de Callac, sur la lisière de la forêt de Duault, à la chapelle de Saint-Gervais, qu’avait lieu, un pardon effroyable, véritable bataille entre les Cornouaillais et les Vannetais pour se disputer la bannière et se rendre le saint favorable. Un témoignage oral, recueilli par M. Anatole Le Braz, décrit une affreuse mêlée où les penn-baz « se lèvent, s’abattent, tournoient, décrivent de larges moulinets sanglants », où les femmes « griffent et mordent », où il y a « des bras rompus, des têtes cassées », des gens « qui vomissent le sang à pleine gorge ». Ces faits ne peuvent être passés sous silence, ils serviront, avec tant d’autres, à mettre au point l’histoire religieuse de la Bretagne. Mais ce n’est pas cette histoire que j’écris, quoiqu’elle m’apparaisse à chaque pas. Je vais à Bulat, où le culte a plus de douceur. Là, au milieu de la lande, une église au délicieux clocher à jour, un ossuaire où la danse des morts grimace et gesticule. Il y a le nom de l’artiste : « Le troisième jour d’avril, l’an 1552, fut commencé faire ce segreterie par Fouquet Jehannou, maistre de l’œuvre. » Dans la tour, au-dessus de la sacristie, on voit la « chambre des ermites » où « deux frères maçons », qui avaient travaillé à l’édifice, logèrent le reste de leur vie. Le pardon de Bulat a lieu le 8 septembre. C’est le pardon des fontaines. Ici, on ne répand pas le sang, on n’entend pas d’imprécations et de cris de rage. Le doux murmure de l’eau bruit des neuf fontaines de Bulat, l’une dans le cimetière, une autre sur le chemin de Callac, les sept dernières à 50 mètres plus loin. On vient de loin demander à ces fontaines le secret de la santé et du bonheur. Les nouvelles mariées jettent aux fontaines les épingles de leur corsage pour obtenir la maternité. Une jeune fille, dit-on, fit 30 kilomètres sur les genoux, vers 1840, pour assister au pardon de Bulat. Pauvre fille ! Ce rude labeur ne pouvait lui être demandé par les divinités bienfaisantes des eaux, si bien célébrées par Le Braz le soir où il vit se former dans la brume la « ronde des antiques Naïades bretonnes, filles immortelles des eaux, de la solitude et de la nuit. »

BELLE-ÎLE-EN-TERRE, LE BOURG ET LE CLOCHER VUS DE LA RIVIÈRE.

Non loin de Bulat, Bourbriac, où le patron, saint Briac, est invoqué pour la guérison de la folie et de l’épilepsie. Ici encore, les scènes sont affligeantes, de cris, de convulsions des malheureux soutenus par leurs parents et leurs amis pour franchir la porte du sanctuaire. On les pousse, parfois on les frappe pour les obliger à passer le seuil, car ils doivent, pour guérir, faire l’expérience pendant sept années de suite, et, s’ils font un faux pas, ils sont obligés à recommencer. Je quitte cela pour la nature toute-puissante et tranquille. Avant d’arriver à Belle-Île-en-Terre, qui sera le terme de cette course et où je compte bien rester