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« PONT-AVEN, VILLE DE RENOM, QUATORZE MOULINS, QUINZE MAISONS », DIT UN PROVERBE.

remonter la rivière envahie de sables. Deux bénédictins sont nés à Quimperlé : Gurheden, historiographe du monastère de Sainte-Croix au xiie siècle, et Dom Morice, auteur de l’Histoire de la Bretagne, publiée en 1750. Puis, le général Hervé et le prédicateur Boursoul. Le marin Du Couëdic est né aussi près de Quimperlé.

Malgré les passages de touristes et les Anglais établis à demeure, la région de Quimperlé reste solitaire et accessible au promeneur, grâce à la forêt de Clohars-Carnoët, forêt domaniale de 724 hectares.

Elle commence au bas de la ville, elle s’en va jusque vers le village de Clohars, elle se continue çà et là par fragments, allées de chênes, bois de pins, bouquets d’arbres. Ses grandes routes sont sillonnées de voitures de promenade, mais ses chemins et ses sentiers sont déserts, éclairés par la lumière verte qui tombe des arbres. La végétation sort du sous-bois, envahit les talus, — la haute fougère qui se balance en éventail, le rude ajonc étoilé d’or, la bruyère rose, la bruyère violette, la bruyère aux fleurs fanées, d’une pâleur de mort si mélancolique. Toute cette pousse à ras de terre est un monde énorme, d’une variété, d’une richesse inouïes, où vit un autre monde d’insectes innombrables, la pullulation des moucherons, les files sans fin des fourmis agiles, portant des fardeaux plus gros qu’elles, les papillons de toutes tailles et de toutes couleurs, ceux de midi et ceux du soir, les petits papillons violet pâle, qui sont comme des violettes détachées et voltigeantes, les bataillons de coléoptères rayés, bronzés, de cuivre vert et changeant, certains fortement casqués et cuirassés de noir, la tête armée de cornes solides comme des bois de cerf… C’est toute une forêt avec ses habitants, une petite forêt que l’on peut découvrir sous la grande, pour peu que l’on sache rester immobile et attentif à la même place, sans déranger les courses sans fin de tous ces chemineaux, qui connaissent les passages entre deux brins d’herbe.

Si l’on relève la tête, c’est le « temple aux vivants piliers » par lequel Baudelaire symbolisait la nature. Les troncs d’arbres filent plus droits, plus lisses, plus hauts que les colonnes des cathédrales gothiques. Ils ont le contour, la couleur et la dureté de la pierre ; le temps a durci leur bois, l’a changé en jaillissement de granit. Il y a un endroit où ce jaillissement d’arbres en fusées est vraiment admirable. On le découvre de la grande route qui coupe la forêt, à droite, en allant vers Clohars. La forêt, à cet endroit, se creuse en ravin, se relève en colline, et c’est là, sur le sommet montueux, que se dresse un groupe de pins d’une force fine, d’une grâce altière incomparables. Le feuillage en haut seulement, sans branches basses, ils sont les géants qui dominent la forêt. Au soleil couchant, dans la clarté rose, leurs troncs droits font songer à des mâts de navires énormes, leur granit se change en porphyre, et le vent vient chanter ses chants d’orgue dans le feuillage sonore.