Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 10.djvu/473

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d’une mémoire que l’on ne sentait pas nourrie par les livres, il avait conservé en lui le souvenir de tous les pays qu’il avait abordés, de tous les traits de mœurs qu’il avait pu observer. Il savait les gouvernements, les législations, les commerces, par tous les détails visibles qui avaient pu être offerts à son investigation. Pour la Bretagne, il en connaissait toutes les villes, tous les villages, tous les hameaux ; savait ce qui poussait dans les champs de toutes les régions, comment les habitants se nourrissaient, comment ils s’habillaient, quels étaient les traits de leur caractère. Il décrivait les formes des coiffes, la broderie d’un corsage, la manière dont s’agrafait une boucle de ceinture, et il renseignait en même temps sur l’aptitude au commerce, l’humeur timide ou audacieuse, morose ou gaie, des gens avec lesquels il s’était trouvé en affaires. Ce marchand de pommes était de taille moyenne et d’âge moyen aussi, trapu, les épaules larges, une grosse tête bien construite, des petites moustaches noires un peu mêlées de blanc, et des petits yeux noirs au regard très direct et très fureteur. Si vous le rencontrez et si vous le reconnaissez à ce signalement, ne craignez pas d’engager la conversation avec lui, vous ne regretterez pas le temps que vous lui donnerez et vous ne vous ennuierez pas avec ce collectionneur de faits, toujours prêt à vous faire visiter ses collections, et qui n’arrête pas de parler avec simplicité, avec conviction, avec esprit.

À midi et le soir, je restais assez longtemps auprès de cet interlocuteur sympathique. Je trouvais le moyen, toutefois, le matin et l’après-midi, de battre les environs et de connaître le pays de Fouesnant. Je me promenais souvent vers Beg-Meil, lieu de villégiature installé à la pointe ouest de la baie de la Forest : petites maisons, jardins sablés, élégantes verdures. La côte est assez basse et plaisante, faite de petites dunes et d’herbes souples. En face, les pierres grises, violettes, éclatantes, selon la lumière, des îles Glenans. Mais l’endroit de promenade que je préférais était par les chemins ombragés qui conduisent au fond de la baie. La mer vue à travers ces verdures est un spectacle incomparable, et la baie de la Forest, si peu fréquentée, ne le cède à rien, comme beauté et variété d’aspect : c’est la grâce inattendue, la sombre richesse et la grandeur d’un parc. La nature méridionale, si vantée, semble un décor de théâtre auprès d’un tel pays, frais, intime et sublime. Ce n’est plus ici la grâce de Quimperlé, ni le joli pittoresque de Pont-Aven, c’est une force magnifique écrite par la gravité des lignes, la puissance de la verdure, le style des arbres, c’est en même temps une douceur de sentiers et de vallons, et tout aboutit à la blancheur des grèves, à l’arrivée des premières vagues, à l’immensité bleue de la mer.

Les femmes de Fouesnant, comme celles de Pont-Aven, sont des « belles », c’est-à-dire des femmes d’air avenant, de taille élevée et bien droite, et magnifiquement parées, quand la circonstance l’exige. Leur costume alors, de lignes simples, une jupe, un tablier à brides, un corsage, est surchargé de broderies sur la gorge et aux manches, broderies d’or, d’argent, de soies de couleur, du plus harmonieux effet. Il y a de ces costumes qui sont des chefs-d’œuvre de l’ancien temps, et la femme qui en porte semble une statue de

LE PORT DE PONT-LABBÉ OMBRAGÉ D’ARBRES.