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de pierres. On revient à la mer, on revoit l’assaut contre les tristes rochers sombres, on écoute le tumulte de bataille qui ne cesse pas, les vociférations des victorieux et les plaintes des égorgés.

Le phare quitté, je vais errer dans le sable de la baie des Trépassés, sur une plage qui est une plage comme une autre. Je ne sais si l’on bâtira jamais un casino à proximité, et si les cabines des baigneurs y seront bien nombreuses. Le nom suffirait à éloigner les personnes frivoles qui n’aimeraient pas loger à une telle enseigne expliquée de deux manières : on dit que les druides morts étaient embarqués là pour l’île de Sein, on dit aussi que les courants apportent sur ce sable les cadavres des naufragés. Il semblerait qu’il y ait d’autres raisons pour que la mode ne vienne pas trôner ici pendant la belle saison : le pays est vraiment aride, sans ombrages et sans ressources, et je ne vois guère que les peintres, en quête de « motifs » peu ordinaires, qui puissent venir chercher un gîte au plus près, au hameau de Lescoff ou au village de Plogoff. Tout de même, il y a maintenant deux hôtels à la Pointe du Raz, et l’on ne peut deviner les destinées de cette côte sauvage. Que le snobisme s’en mêle, et nous voilà avec une station balnéaire de plus. Ce que je puis dire à ceux qui seraient tentés d’y venir passer leurs vacances, c’est qu’ils ne verront nulle part de plus belles arrivées de vagues, de formes plus concentriques, de succession plus régulière, que celles qui viennent s’étaler et mourir sur la plage éblouissante de blancheur de cette baie des Trépassés.

LE PHARE DE TÉVENNEC, AU LARGE DE LA POINTE DU RAZ.

Un voisinage peu fait pour recréer les villégiateurs est celui de l’étang de Laoual, qui forme avec la baie des Trépassés, sans cesse parcourue par les lames, le plus formel contraste. Autant la plage est fraîche et agitée, autant le marécage est immobile et fétide : son eau a des teintes livides, plombées, funèbres, c’est une étendue morte à quelques pas de la mer agitée, et c’est l’étang, plus que la baie, qui rend sinistre ce paysage qui pourrait n’être que terrible, aux jours de tempête, avec des accalmies charmantes. Quelle que soit la saison et quelque temps qu’il fasse, je doute que cet étang de Laoual puisse prendre meilleure physionomie. La légende explique son aspect mystérieux et redoutable par la présence, sous ses eaux, de la ville d’Is. La ville d’Is, que l’on croit découvrir à Penmarch, serait donc aussi à la pointe du Raz ; mais n’est-elle pas encore signalée sur d’autres points de la côte de Bretagne, à Saint-Michel-en-Grève, par exemple ? Acceptons de la voir encore ici, sous cette eau terne, bordée de joncs et de roseaux, fleurie çà et là de nénuphars. Quelques femmes y rincent du linge, comme faisait peut-être au temps jadis la princesse Ahès, appelée aussi Dahut : on montre bien la fontaine où le roi Grallon venait lui-même remplir sa cruche. Cette