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le voyage au Sud, je me servis d’un modèle que m’avait envoyé le Dr Schanz, de Dresde. Grâce à lui, je n’ai pas éprouvé la moindre ophtalmie.

Un autre chapitre de la plus haute importance est celui de la chaussure. Mes cinq compagnons dans l’expédition vers le Pôle devront emporter des brodequins destinés à la marche sur les glaciers. Pour le reste, je les laisse libres de prendre le type qui leur conviendra. Avant le départ, Wisting à l’obligeance de retoucher encore une fois mes bottes. En les démontant, nous reconnaissons le soin apporté à leur fabrication par notre fournisseur de Kristiania. Dans cette opération, deux semelles sont enlevées. Combien en reste-t-il encore ? Je ne me le rappelle plus. En tout cas, mes chaussures sont maintenant suffisamment amples pour que je puisse mettre sept paires de bas et une semelle de bois. Maintenant, quel que soit le froid, je suis gréé.

Nous avons également les harnais des chiens à mettre en état. Lors de la dernière expédition sur la Barrière, deux bêtes sont tombées dans une crevasse à la suite de la rupture des traits. Il faut éviter le renouvellement de pareils accidents, sinon notre meute serait promptement décimée. À cette révision nous apportons la plus grande attention et nous veillons à employer les meilleures qualités que nous possédons. Ce long travail terminé, chaque attelage possède désormais des harnais parfaits.

Tous ces détails, que le lecteur trouvera peut-être fastidieux, montrent la longueur des préparatifs d’une expédition comme celle que nous allons entreprendre. Le succès dépend non seulement de l’abondance des ressources pécuniaires, mais encore et surtout de l’équipement et des mesures prises à l’avance pour triompher de toutes les difficultés qui pourront se présenter. La victoire est réservée à celui qui a su tout prévoir et la défaite à celui qui a négligé de prendre à temps les précautions utiles. Aussi est-ce à mes compagnons si dévoués qui, par leur patience et leur persévérance, amenèrent notre équipement au maximum de perfection, que je reporte l’honneur de notre succès.

Le 16 août, nous commençons le chargement des traîneaux. C’est un grand avantage de pouvoir exécuter ce travail à l’abri, d’autant que la température varie entre −50° et −60°, avec accompagnement d’une brise de 6 mètres à la seconde. Par un pareil froid, il eût été presque impossible d’accomplir au dehors cette besogne avec le soin nécessaire. Les plaques de zinc placées sous les traîneaux pour les empêcher d’enfoncer dans la neige molle sont enlevées et remplacées par une paire de skis de rechange. Le 22 août, le train d’équipage est paré pour le départ.

HASSEL DANS LE MAGASIN À PÉTROLE.

Les chiens n’aiment pas les froids excessifs que nous subissons depuis si longtemps. Lorsque le thermomètre descend à −50° et à −60°, leur attitude indique qu’ils souffrent. Ils restent debout et soulèvent leurs pattes alternativement, les laissant en l’air quelque temps avant de les reposer sur la neige. Quelles bêtes rusées ! Les jours où ils savent leur souper composé de poisson sec dont ils ne sont guère friands, quelques-uns refusent de rentrer le soir dans leurs tentes. Stubberud, notamment, à beaucoup de mal avec un de ses élèves, du nom de Funcho. I] était né pendant notre relâche à Madère en septembre 1910. Les soirs où l’on distribue de la viande aux chenils, chacun de nous, après avoir attaché son attelage, va chercher la boîte contenant sa ration, laquelle est déposée près de la tente renfermant les carcasses de phoques. Funcho guette toujours ce moment. S’il voit Stubberud se mettre en quête de la fameuse boite, il rentre tranquillement comme ses camarades. Si, au contraire, son maître n’apporte pas de viande, il prend le large. Pour rattraper le fugitif, Stubberud recourt alors à la ruse. Un soir que l’animal ne veut pas rentrer, notre camarade prend la boîte vide et s’achemine vers le chenil. Funcho, qui a épié tous ses mouvements, rentre aussitôt dans la tente, ravi à la pensée de manger du phoque deux soirs de suite. Sa joie fut courte ; aussitôt il est saisi, enchaîné, et mis en tête-