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Wisting plante un ski brisé, afin de pouvoir le découvrir facilement au retour. L’avenir prouva la sagesse de cette précaution.

Marche très pénible à travers de gros sastrugi. Pour passer ces vagues de neige, les conducteurs sont obligés d’étayer leurs véhicules, afin de les empêcher de verser. Hassel et moi, qui n’avons aucun traîneau à diriger, nous éprouvons les plus grandes difficultés à nous tenir debout sur ces monticules.

Au début, le terrain paraît présenter une très faible pente vers le sud. Piste extraordinairement molle ; on a l’impression de fouler du sable. Bientôt les sastrugi deviennent moins saillants et progressivement disparaissent ; en même temps, le glacier s’aplatit et la neige porte mieux. Par contre, la tourmente fait toujours rage ; à la neige chassée par le vent s’ajoute maintenant celle qui tombe du ciel. Au milieu de ce poudroiement serré, les conducteurs distinguent à peine la tête de leurs attelages. À la vitesse que les traîneaux acquièrent par moments, il semble que nous descendions. Le vent nous pousse ; mais seul il ne pourrait déterminer une telle accélération. Cette forme du terrain m’inquiète. Dans ma pensée, le plateau devait s’élever doucement vers le sud et non s’abaisser dans cette direction. Si la déclivité s’accentue, nous camperons. Par ce temps bouché, ce serait folie de continuer sur une pente ; nous risquerions de tomber dans quelque précipice avant d’avoir pu l’apercevoir.

Hansen guide la caravane. J’aurais dû marcher en tête ; au début de la journée, les sastrugi m’ayant retardé, et plus loin, après leur disparition, le convoi ayant pris une vive allure, je suis demeuré en arrière. Soudain, très loin en avant je vois l’attelage de Hansen descendre à toute vitesse ; celui de Wisting suit naturellement le mouvement. Immédiatement, je crie à Hansen de s’arrêter ; seulement à grand’peine il parvient à retenir ses chiens. Devant nous, le terrain s’abaisse rapidement vers une dépression dont la brume empêche de distinguer le fond. Peut-être avons-nous atteint le versant méridional du plateau ! Il est plus probable que nous nous trouvons sur une simple ondulation. En tout cas, il faut attendre une éclaircie pour reconnaître la situation.

Aujourd’hui, l’étape a été courte : 19 kilomètres seulement. L’hypsomètre indique une altitude de 3 000 mètres ; nous avons donc descendu 180 mètres depuis le matin. À la première clarté, nous sauterons hors des sacs de couchage. Dans un pays pareil, si on laisse passer une occasion favorable, elle ne revient pas de longtemps. Donc nous ne dormons que d’un œil. À trois heures du matin, le soleil perce ; aussitôt nous sommes dehors. Il n’est guère brillant ; tout pâle, il semble un pain à cacheter jaune, collé dans le ciel. La brise, quoique moins forte qu’hier, est encore très fraîche. Attendre une embellie sous un vent glacé avec des vêtements plutôt légers n’est pas un lever précisément agréable. Enfin, les nuages s’écartent, nous laissant apercevoir les alentours.

Nous nous trouvons, en effet, sur une ondulation du glacier. Très rapide vers le sud, la pente l’est beaucoup moins vers le sud-est ; dans cette direction, elle aboutit à une immense plaine. Aucune crevasse non plus qu’aucun accident n’est visible. Toutes les montagnes ont disparu, la chaîne Fridtjof Nansen, comme la crête Don Pedro Christophersen. Après cette inspection, nous nous recouchons et dormons jusqu’au matin.

BJAALAND EN RECONNAISSANCE AU 82°.

Lorsque nous nous réveillons, le vent à repris de plus belle. Maintenant que nous avons eu une rapide vision du terrain situé en avant, ni la tempête ni le chasse-neige ne nous arrêteront. Après avoir placé les freins aux patins des traîneaux, nous descendons et arrivons sans incident à la grande plaine. Mettant le cap au sud, nous poursuivons dans l’inconnu à travers des tourbillons de neige, sous la poussée de rafales de nord-est. L’après-midi, traversé une petite ondulation, la dernière. Le terrain est excellent, uni comme un parquet, sans trous ni sastrugi. Notre allure serait très rapide, n’était l’état pulvérulent de la neige. On a l’impression de