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rappellent d’antiques coutumes quelque peu superstitieuses : les marrons qu’on portait dans la poche contre les hémorroïdes, les amandes doubles contre le mal de dents, les noyaux de pêche de Berre bénits à la fête de saint Cézaire qui préservaient les femmes de tout mal, les colliers à treize nœuds contre le croup, les chevaux marins qu’on mettait dans son bonnet pour éviter les maux de tête, les boyaux de chat contre la foulure du poignet, les colliers d’agathe cornée et veinée avec monture d’argent qui facilitaient les accouchements ! Deux scènes d’intérieur sont reproduites en grandeur naturelle : la visite à l’accouchée et la veillée de Noël. Cette dernière attire surtout la curiosité, car Noël est par excellence la fête des Provençaux ; dans tous les mas on se réunit pour faire brûler la bûche calendale avec des rites et des invocations : « Ô feu sacré, fais que nous ayons du beau temps, et que ma brebis mette bas heureusement, que ma truie soit féconde, que ma vache vêle bien, que mes filles et mes brus enfantent toutes bien !… »

AVIGNON. VISITE VÉTÉRINAIRE LE LONG DES REMPARTS.

Nous quittons Arles sous l’impression de ces souvenirs du passé. Avant de remonter à la « Cité des Papes », nous ne résistons pas au plaisir d’une promenade à Saint-Gilles dont l’église offre plus d’un point de comparaison avec Saint-Trophime. Nous voici dans la « tête de la Camargue ». Les vignes alternent avec les pâturages et les étangs, les oliviers font place aux genêts et aux ajoncs fleuris d’or, les mules agiles tirent les charrues dans le sol caillouteux, les lourdes charrettes sont attelées de chevaux robustes portant un harnachement compliqué, que surmonte un haut collier pointu enguirlandé de grelots sonores et empanaché de pompons de laine rouge. Nous franchissons le petit Rhône sur un pont suspendu pour entrer bientôt à Saint-Gilles dont le célèbre portail nous apparaît dans un somptueux décor. Ses trois portes du xiie siècle occupent toute la largeur de l’église. Un soubassement orné de cannelures, de bas-reliefs et de médaillons, supporte les statues des apôtres encadrées de pilastres cannelés au-dessus desquels court une frise avec de très beaux rinceaux. Les voussures profondes du portail nord retombent sur deux colonnes élancées, le linteau figure l’entrée du Christ à Jérusalem et, dans le tympan, la Vierge Marie présente l’Enfant Jésus à l’adoration des Mages, tandis qu’un ange annonce à saint Joseph qu’il faut fuir la persécution d’Hérode. On voit sur le linteau du portail sud les Saintes Femmes visitant le tombeau du Christ et, dans le tympan, le Christ en croix entouré de la Vierge, de saint Jean, de l’Église et de la Synagogue. Le portail central, plus élevé et plus large que les deux autres, présente, au-dessus d’une archivolte formant imposte, une série de bas-reliefs reproduisant de nombreuses scènes de la vie de Notre-Seigneur et de la Passion. Cette frise est soutenue par une corniche ornée d’admirables sculptures en haut-relief : têtes d’hommes, serpents, lionceaux. Le tympan, malheureusement détérioré, montre, comme à Saint-Trophime, un Christ de gloire entouré des symboles des quatre Évangélistes. Malgré de trop nombreuses mutilations, l’harmonie des lignes, le fini de certaines sculptures, la richesse et l’élégance de la décoration font du portail de Saint-Gilles un pur chef-d’œuvre dont la renommée est d’ailleurs universelle.

L’église abbatiale surmonte une crypte renfermant le tombeau de saint Gilles (721), autrefois pèlerinage très fréquenté, où le pape Urbain II vint faire ses dévotions en 1095. La fameuse « vis de Saint-Gilles », escalier rampant en hélice autour d’un pilier central, véritable merveille d’assemblage et de taille de pierre que les ouvriers ne manquaient jamais de visiter en faisant leur « tour de France », est dans une tourelle