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Mireille, où Mireille et Vincent dénichant les pimparrins dans les branches du même arbre, savourent les premières et naïves joies de leur amour naissant. « Et sous eux voilà que tout à coup la branche éclate et se rompt ! Au cou du vannier, la jeune fille effrayée, avec un cri perçant, se précipite et enlace ses bras ; et du grand arbre qui se déchire, en un rapide virevolte, ils tombent, serrés comme deux jumeaux, sur la souple ivraie. Frais zéphyrs, qui des bois remuez le dais, sur le jeune couple que votre gai murmure un petit moment, mollisse et se taise ! Folles brises, respirez doucement ! Donnez le temps que l’on rêve, le temps qu’à tout le moins ils rêvent le bonheur ! Toi qui gazouilles dans ton lit, va lentement, va lentement petit ruisseau ! parmi les galets sonores ne fais pas tant de bruit ! pas tant de bruit, car leurs deux âmes sont, dans le même rayon de feu, parties comme une ruche qui essaime. Laissez-les se perdre dans les airs pleins d’étoiles. »

Le chemin longe pendant quelque temps le petit Rhône, caché par un remblai protecteur, la terre se fait plus ingrate, les cultures deviennent plus rares pour disparaître tout à fait, cédant la place aux prêles, aux salicornes, aux soudes, aux arraches, à toute cette maigre et courte végétation des marais que brûlent le vent et le sel de mer ; le sol lui-même change de couleur et prend une teinte blanchâtre qui révèle la présence du sel à sa surface. Bientôt, de toutes parts, des étangs capricieusement découpés scintillent au soleil, des oiseaux d’eau les traversent d’un vol rapide, d’autres, en masses compactes, nagent lentement à la surface, des mouettes étincelantes de blancheur se balancent mollement dans l’air et nous effleurent dans leurs courbes gracieuses ; là-bas, dans le lointain encore, à la limite de la mer, s’élève une église à l’aspect farouche, comme perdue dans cette immensité. C’est le temple vénéré où reposent les Saintes-Maries et vers lequel le vent du nord nous pousse trop rapidement à notre gré.

Chaque année, en vertu d’une tradition séculaire, toute la population de la région d’Arles, et de bien ailleurs en Provence, traverse les solitudes de la Camargue pour se rendre en pèlerinage aux Saintes. Il paraît établi, en effet, par des témoignages dignes de foi et par des enquêtes sévèrement menées et rigoureusement contrôlées qu’aux premières années de la foi chrétienne Marie Jacobé ou de Cléophas, sœur de la Sainte Vierge et Marie Salomé, mère des apôtres Jacques et Jean, chassées de Judée et exposées dans une faible barque aux caprices de la mer, vinrent aborder à la plage où s’élève aujourd’hui le bourg des Saintes Maries, qu’elles y établirent leur retraite et qu’après une vie de recueillement et de prières, elles y furent inhumées.

AU GRAU DU ROI. UN ÉTALAGE PEU COMPLIQUÉ.

« Un coup de vent tempétueux sur la mer effrayante chassait le bateau : Martial et Saturnin sont agenouillés sur la proue ; pensif, dans son manteau, le vieux Trophime s’enveloppe ; auprès de lui était assis l’évêque Maximin. Debout sur le tillac ce Lazare, qui de la tombe et du suaire avait encore gardé la mortelle pâleur, semble affronter le gouffre qui gronde ; avec lui la nef perdue emmène Marthe, sa sœur et Magdeleine, couchée en un coin et pleurant sa douleur. La nef, que poussent les démons, conduit Eutrope, conduit Sidoine, Joseph d’Arimathie et Marcelle et Cléon… ». C’est Mistral qui parle ainsi au chant XI de Mireille et qui nous fait assister au débarquement sauveur ; ses vers enflammés ne font pas que reproduire une poétique légende, ils expriment la croyance de tout un pays.