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hurlants qui se déchirent à pleines dents les uns les autres. Ce sont les manifestations de sauvagerie qui déterminent l’homme à sacrifier délibérément ces animaux lorsqu’il le faut, malgré le concours précieux qu’ils apportent à des entreprises comme celle que nous nous proposons.

Samedi, 4 février. — Nous sommes arrivés au Corner Camp (campement du Coin), après une excellente marche de nuit de 16 kilomètres. Au début, mauvaise piste ; pendant 3 kilomètres, les poneys enfoncent beaucoup, tandis que, avec ses raquettes, le cheval de Bowers avance facilement. Ensuite, la surface devient meilleure et l’allure plus régulière. À 8 kilomètres du précédent bivouac, campé pour la grande halte. Pendant la seconde partie de l’étape, cela marche encore mieux, le seul incident est la traversée de plusieurs crevasses. Le poney d’Oates fourre ses jambes dans deux de ces trous et enfonce dans un troisième. Trois kilomètres environ avant la fin de l’étape, les fentes disparaissent. Pendant la dernière partie de la marche, terrain très résistant, par suite traînage facile. Je redoute un blizzard.

Dimanche, 5 février. — Hier, vers 4 heures du soir, le blizzard a fondu sur nous. D’abord, vingt-quatre heures durant, le vent souffle relativement modéré, puis, tournant un peu à l’Ouest, il devient beaucoup plus fort. Actuellement il est très violent et soumet notre frêle petite tente à une rude épreuve. Nous espérons la fin prochaine du mauvais temps sans y compter beaucoup cependant : nous ne sommes pas loin du cap Crozier, et dans cette région les blizzards sont longs. Boire, manger, dormir et causer de temps en temps, telles sont nos occupations pendant la tourmente.

Lundi, 6 février. — La nuit dernière le vent a encore augmenté et toute la journée il a soufflé avec une très grande force. Par un pareil temps les sorties manquent d’agrément, mais il n’y a pas de « carottiers » parmi nous. Aux heures habituelles, Oates, Meares et Wilson sont allés donner leur pitance aux animaux ; et les autres n’hésitent pas non plus à accomplir la besogne qui leur incombe.

Les chevaux supportent assez bien ce mauvais temps ; de grands perfectionnements devront cependant être apportés à leur vestiaire. Les chiens, eux, semblent jouir du bonheur parfait. Ils sont couchés en rond sous la neige et abandonnent seulement à l’heure des repas leurs trous chauds. Par bonheur, la température est élevée. À quelle épreuve de patience nous soumet ce blizzard : plus de cinquante heures perdues et aucun signe précurseur de la fin de la tourmente ! Les amas de neige chassée par le vent sont très hauts, plusieurs traîneaux sont presque enfouis.

FORMATION DE CRÊTES DE GLACE DEVANT LE CAP EVANS.

Mardi, 7 février. — Toute la nuit la tempête a continué ; ce n’est qu’aujourd’hui, à 8 heures du matin, qu’elle mollit. Deux heures plus tard, un pan de ciel bleu est visible entre le Sud-Ouest et l’Ouest, en même temps l’île Blanche, le Bluff et les montagnes occidentales[1] se découvrent très nets. Dès que la brise est tombée, nous nous livrons à divers travaux, nous dégageons les traîneaux, réparons l’abri des poneys. À 11 heures, un nuage noir apparaît dans le Sud ; pas de doute, la tempête va reprendre, et en effet, à 1 heure de l’après-midi, le chasse-neige recommence.

  1. Les chaînes de la Terre Victoria. (Note du traducteur.)