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Onze heures du soir. — Le vent a tourné au Nord et voici enfin l’éclaircie souhaitée. Le soleil se montre, et la terre sort de la brume. Le thermomètre est descendu à −3°,2, aussitôt l’humidité diminue. Avec les promesses d’amélioration que nous apporte la soirée, ce serait vraiment trop si, demain matin, le mauvais temps recommençait. La perspective de pouvoir enfin bouger ramène la gaîtė. Avec impatience les poneys attendent leur maigre pitance ; grâce aux économies récemment faites, ils ne souffrent pas cependant de la faim. Après une pareille épreuve, ils semblent étonnamment bien en forme. Ce soir, les choses prennent meilleure tournure, mais rien ne pourra nous faire regagner ces quatre jours perdus.

Samedi, 9 décembre. — Deux ou trois fois pendant la nuit, je sors pour examiner le temps ; il s’améliore.

À 5 h. 30 lever et à 8 heures départ. Marche extrêmement pénible. L’énorme chute de neige tombée pendant la tempête a recouvert le glacier d’une couche abominablement molle. Lorsqu’un homme marche en tête, nos pauvres bêtes avancent encore assez bien. Mais arriverons-nous jamais à frayer la route. L’escouade du lieutenant Evans est chargée de cette besogne. Bowers et Cherry-Garrard marchent en tête avec un traîneau de 3 mètres. Très péniblement, nous parvenons à parcourir ainsi environ 1 kilomètre et demi. La situation fut sauvée par le sous-officier Evans. Toujours ingénieux, il a l’idée d’attacher à Snatcher notre dernière paire de raquettes. Dès lors la bête avance sans qu’il soit besoin de la presser et les autres suivent ; à tour de rôle, chaque poney est placé derrière celui qui fraye la route. Nous allons ainsi tout le jour sans nous arrêter pour déjeuner.

À 8 heures du soir, nous arrivons à 1 kilomètre et demi de la pente conduisant au col nommé par Shackleton le Gateway (le chemin de la Porte). Je comptais le franchir avec les poneys et cela quelques jours plus tôt : ce qui serait arrivé sans le maudit blizzard que nous venons de subir. Cette tempête a porté un rude coup à l’expédition ; cependant si elle n’a pas rendu la piste impraticable, rien n’est encore désespéré.

Une fois le camp dressé, les poneys sont abattus. Pauvres bêtes ! elle se sont admirablement comportées dans les circonstances terribles au milieu desquelles elles se sont trouvées. Bien pénible nous est la nécessité de les abattre si tôt.

Le paysage est grandiose. Le col s’ouvre entre trois hautes masses de granit à droite et un contrefort accidenté du mont Hope à gauche. La terre est beaucoup plus enneigée qu’elle ne l’était avant la tempête. Malgré l’incertitude de l’avenir, ce soir nous sommes tous joyeux.


IV. L’ASCENSION DU GLACIER BEARDMORE.


Pénible ascension. — Cinq jours dans des fondrières de neige. — Premier dépôt établi sur le glacier. — Retour des attelages de chiens. — Lenteur de la marche. — L’escouade d’Atkinson bat en retraite.



Dimanche, 10 décembre[1]. — Les chiens transportent maintenant 270 kilogrammes de matériel, en plus des 90 kilogrammes de vivres qui, plus loin, seront laissés en dépôt.

La journée est admirable. Après le premier kilomètre commence l’ascension ; quoique la pente soit assez raide, nous conservons les skis pendant quelque temps encore. La déclivité devenant ensuite plus accusée et la piste beaucoup plus molle, nous devons les enlever.

À cinq heures nous atteignons le sommet de cette première côte et, après le thé, la dévalons. La descente est presque aussi pénible que la montée, quoique nous puissions maintenant nous servir des skis. Nous venions de camper, à 9 h. 15, quand un vent violent descend du glacier.

L’escouade d’Evans est épuisée ; à son sujet Wilson m’a même donné de mauvaises nouvelles. Wright est, paraît-il, surmené et Lashley fatigué par le traînage si laborieux depuis le dernier blizzard. Je ne suis pas satisfait de cette équipe. La fin de l’étape a clairement montré que quelque chose cloche. Le lieutenant Evans et ses hommes sont restés très en arrière. Après avoir ôté leurs skis ils ont employé près d’une demi-heure à parcourir quelques centaines de mètres. La piste était, il est vrai, particulièrement mauvaise. Cela deviendra très grave si maintenant les hommes faiblissent. Moi, au contraire, jamais je ne me suis senti plus

  1. Day et Hopper, de l’escouade des chauffeurs, battirent en retraite le 24 novembre. Meares et Demetri, avec les chiens, montèrent jusqu’au dépôt du Glacier inférieur et de là rebroussèrent chemin le 11 décembre. À partir de cette date, le détachement qui poursuivit vers le Sud était ainsi composé :

    Traîneau no 1 : Scott, Wilson, Oates et le sous-officier Evans.

    Traîneau no 2 : lieutenant Evans, Atkinson, Wright, Lashley.

    Traîneau no 3 : Bowers, Cherry-Garrard, Crean, Keohane.

    Le 21 décembre, au dépôt du glacier supérieur, Atkinson, Wright, Cherry-Garrard et Keohane revinrent en arrière. Dès lors la caravane du Sud ne comprit plus que deux escouades :

    Traîneau no 1 : Scott, Wilson, Oates et le sous-officier Evans.

    Traineau no 2 : lieutenant Evans, Bowers, Crean et Lashley.

    Le 4 janvier, à 150 milles du Pôle, le lieutenant E. Evans, Crean et Lashley battirent en retraite. Dès lors, seuls continuèrent vers le Sud : Scott, Wilson, Oates, Bowers et le sous-officier Evans avec le traîneau no 1.