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et travaillons immédiatement sur le mur ; le guide nous indique les proportions du corps humain, la disposition des figures et leurs mouvements. Le P. Macarios, mon maître, tenait ses principe du P. Nectarios, qui les lui avait transmis ; » puis, prenant un pinceau qu’il trempa dans du brun rouge délayé dans l’eau, il traça un Christ sur une feuille de papier. Le contour était ferme, sans hésitation, fait avec la dextérité d’un maître d’écriture, mais ce dessin mathématique était insipide, bien qu’il n’y eût aucune faute grossière.

Dans sa préface de la traduction du Guide du moine Denys, M. Didron raconte qu’il vit peindre un caloyer : « En une heure, dit-il, sous nos yeux, il traça sur le mur un tableau représentant Jésus-Christ donnant à ses apôtres la mission d’évangéliser et de baptiser le monde. Il fit son esquisse de mémoire, sans carton, sans dessin, sans modèle. Ce peintre, continue M. Didron, pourrait être mis certainement sur la ligne de nos meilleurs artistes vivants, surtout lorsqu’ils exécutent de la peinture religieuse. » Ceux-ci traitent assez mal la peinture religieuse au point de vue liturgique, cela est vrai. Pourquoi ? Parce que l’inspiration est le mouvement et le dogme l’immobilité ; mais mise à part la question de tempérament qui fait comprendre à chacun la traduction des choses divines de manière différente, ils cherchent, et ne trouveraient-ils que la centième partie de ce qu’ils cherchent, cette partie-là est l’inspiration, ce qui constitue l’art, tandis que ces plates médiocrités de l’Athos, faites machinalement d’après un système immuable, sont sans vie et sans âme. Je ne peux voir ce qu’il y a de commun entre de semblables choses et l’art. J’ouvre le Manuel et je trouve ceci : « Le corps d’un homme à neuf têtes en hauteur : divisez la tête en trois parties : la première pour le front, la seconde pour le nez, la barbe pour la troisième ; faites les cheveux en dehors de la mesure de longueur d’un nez, divisez de nouveau en trois parties la longueur entre le nez et la barbe, etc., etc. À l’aide de ces principes et d’un compas on fait un bonhomme, on arrive même par l’habitude à le faire sans compas ; mais on ne fait pas une œuvre d’art. Si le beau était absolu et s’appelait Michel-Ange, chacun devrait dessiner comme Michel-Ange. Ceux qui l’ont cru n’ont fait que des pastiches assez faibles ; mais Rubens, qui avait étudié Michel-Ange et la nature, a fait des Rubens. Les moines du mont Athos ont essayé à faire toujours du Panselinos, d’après des lois transmises successivement, sans se retremper dans l’étude de la nature qui redonne la vie, et on ne peut mieux comparer leurs productions actuelles qu’à une traduction qui serait elle-même faite d’après un texte, résultat de cent traductions successives.

Dans les fresques de Panselinos, il ne faudrait pas chercher ce qui nous attache et nous séduit dans les productions de l’esprit : un reflet de nos sensations. On sent au contraire là l’éloignement de toute préoccupation terrestre, et l’aspiration vers le divin ou plutôt le surhumain. Le Saint Georges, une des seules figures que l’obscurité du Catholicon de Kariès nous ait permis de reproduire par la photographie, est une des mieux conservées (voy. p. 116). Le procédé matériel de ces fresques est très-simple. Un large trait noir entoure la figure ; les traits sont nettement accusés, et l’ombre se partage également de chaque côté.

Saint-Georges, fresque de Panselinos dans le Catholicon de Kariès. — Dessin de Pelcoq d’après M. A. Proust.


Le monastère d’Iveron. — Les carêmes. — Peintres et peintures. — Stavronikitas. — Miracles. — Un Vroucolakas. — Les bibliothèques.

Hadji-Linos, le président nouvellement élu, nous remit le 23 mai la lettre surmontée du cachet qui devait nous ouvrir les portes des monastères, et le 24 nous nous mîmes en route vers les couvents de la côte orientale : un Albanais de la garde nous servait d’escorte.

Après trois heures de marche sur une pente sablonneuse, entre deux haies de noisetiers et de caroubiers, nous arrivions à Iveron, laissant à notre droite Koutloumoussis encore noir d’un incendie récent.

Il n’est pas aisé de démêler un plan dans cet amas de constructions : aussi le plus court et le plus vrai est de dire qu’il n’y en a pas. L’ensemble de cette Babel d’architecture, encaissé dans un vallon sur le bord de la mer, est triste, et c’est à regret qu’on quitte les sen-