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quand ils ont une bonne nourriture. Mais, à mon avis, quand on s’expose à supporter la faim comme eux, pendant plusieurs jours ou même plusieurs mois, on peut bien montrer quelque avidité pour peu que l’on se trouve à une bonne table.

Tous les peuples sont sujets à la colère ; elle n’est pas étrangère aux Yakoutes, mais ils oublient facilement les griefs qu’ils ont contre quelqu’un, pourvu que celui-ci reconnaisse ses torts et s’avoue coupable.

Les Yakoutes ont d’autres défauts, qu’il ne faut pas attribuer à des dispositions innées ; quelques-uns d’entre eux vivent de bétail volé ; il est vrai que ce ne sont que des malheureux ; quand ils ont pris, sur la chair d’une bête volée, de quoi manger deux ou trois fois, ils abandonnent le reste ; cela montre que leur seul mobile est la faim, dont ils ont souffert pendant des mois et des années. De plus, quand on découvre le voleur, les princes (kinæs, du russe kniaz) le font frapper de verges, selon l’ancienne coutume, au milieu de l’assemblée. Celui qui a subi une telle punition en conserve la flétrissure jusqu’à sa mort ; il ne peut plus être témoin, et ses paroles ne sont d’aucune valeur dans les réunions où délibère le peuple ; on ne le choisit ni pour prince, ni pour starsyna (du russe starchina, ancien). Ces usages prouvent que le vol n’est pas devenu une profession chez les Yakoutes ; le voleur est non-seulement puni, mais il ne recouvre jamais le nom d’honnête homme.

Le Yakoute est processif ; un parent ou un étranger achète à crédit par exemple une vache qu’il ne paye pas, sous prétexte qu’il use du bénéfice de la compensation. Le vendeur le poursuit devant le chef et le prince ; l’affaire passe ensuite par tous les degrés de juridiction, jusqu’à ce que les frais aient absorbé la valeur de vingt vaches et quelquefois tous les biens des plaideurs. Mais ce n’est pas toujours de leur propre mouvement qu’ils se jettent dans la voie ruineuse des procès ; ils y sont souvent poussés par des gens malintentionnés, qui trouvent profit à faire des écritures.

Il suffit qu’un Yakoute veuille devenir maître dans quelque art pour qu’il y parvienne ; il est tout à la fois orfévre, chaudronnier, maréchal, charpentier ; il sait démonter un fusil, sculpter des os, et avec un peu d’exercice, il est capable d’imiter tout objet d’art qu’il a examiné. Il est à regretter qu’ils n’aient pas de maîtres pour les initier à des arts plus élevés ; car ils seraient en état d’exécuter des travaux extraordinaires.

Ils excellent à manier le fusil ; ni le froid, ni la pluie, ni la faim, ni la fatigue ne les arrêtent dans la poursuite d’un oiseau ou d’un quadrupède. Ils chasseront un renard ou un lièvre deux jours entiers, sans avoir égard à la fatigue ou à l’épuisement de leur cheval.

Ils ont beaucoup de goût et d’aptitude pour le commerce, et savent si bien faire valoir la forme et la couleur de la moindre peau de renard ou de zibeline, qu’ils en tirent un prix élevé.

Les crosses de fusil qu’ils fabriquent, les peignes qu’ils taillent et ornent, sont des ouvrages achevés. On doit aussi remarquer que leurs outres de peau de bœuf ne se corrompraient jamais, quand elles resteraient dix ans pleines d’aliments liquides.

Parmi les femmes yakoutes, il y en a beaucoup qui ont de jolis visages ; elles sont plus propres que les hommes ; comme tout leur sexe, elles aiment les parures et les beaux atours. La nature ne les a pas dépourvues de charmes. Elles dissimulent leur inclination pour tout autre que leur mari, et elles ont à cœur de conserver leur réputation intacte. On ne doit donc pas les compter au nombre des femmes mauvaises, immorales et légères. Elles honorent à l’égal de Dieu, le père, la mère et les parents âgés de leur mari. Elles ne se laissent jamais voir tête et pieds nus. Elles ne passent pas devant le côté droit de la cheminée et n’appellent jamais par leurs noms yakoutes les parents de leur mari. La femme qui ne répond pas à ce portrait est regardée comme une bête sauvage, et son mari passe pour fort mal loti.

Traduit par E. Beauvois.





DE SYDNEY À ADÉLAÏDE[1]

(AUSTRALIE DU SUD).
NOTES EXTRAITES D’UNE CORRESPONDANCE PARTICULIÈRE.
1860


… Le 1er mars dernier (1860), jour et mois correspondant, ne l’oubliez pas, au 1er septembre de notre hémisphère, je quittai Sydney, m’acheminant vers le sud dans une charrette à deux chevaux. Une bonne route parallèle à la côte nous conduisit d’abord jusqu’à Campbell-Town. En y arrivant nous apprîmes, à notre grand regret, que le pont de Camden avait été enlevé par les dernières crues ; il fallut nous lancer dans un chemin de traverse ; quel che-

  1. Sydney, chef-lieu de la Nouvelle-Galles méridionale, fondée en 1787 dans une baie magnifique connue sous le nom de port Jackson. Population 100 000 habitants ; latitude sud 33° 51′, longitude est 148° 40′.

    Adélaïde, chef-lieu de la province de l’Australie du sud, fondée en 1836 sur la côte orientale du golfe Saint-Vincent, par 34° 58′ de latitude et 136° 15′ de longitude. Sa population est de 30 000 à 35 000 âmes.