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Immédiatement à la sortie du palais, on trouve le yoom-dau (maison de ville), et le tara-yoom, chambres de conseil ou de justice ; à l’ouest du palais est l’anouk-yoom, où un magistrat spécial juge les délits des femmes du palais ; non loin de là aussi est la prison publique : c’est, comme les maisons de la ville, un assemblage de huttes en nattes et de barrières de bambou. Les prisonniers sont obligés de se nourrir, de sorte que ceux qui ne peuvent payer ou attendrir leurs geôliers, meurent de faim. Ils sont très-maltraités. Le roi, il est vrai, a ordonné de nourrir les prisonniers et s’imagine que ses ordres sont exécutés, mais il n’en est rien. Un jour, en sortant de son palais, Sa Majesté avisa un bouffon très-activement occupé à piocher ; à la demande du roi sur ce qu’il faisait : « Je cherche, répondit le bouffon, un de ces nombreux ordres qui émanent journellement du palais et du conseil suprême et dont on n’entend jamais plus parler. »

Les rues sont très-larges et assez propres par un temps sec ; on n’y rencontre pas de ces mauvaises odeurs si insupportables dans les villes indiennes. Il n’y a cependant aucune police attachée au nettoyage des rues ; les chiens sont les seuls êtres qui s’occupent de ce soin. L’écoulement des eaux se fait à la grâce de Dieu ; aussi, quand il pleut, la boue arrive à une profondeur impraticable ; il est même des quartiers de la ville dont elle interdit l’accès.

Amarapoura ne s’est jamais relevée de l’incendie qui, pendant les guerres civiles de 1831, la consuma complétement, à l’exception toutefois du palais du roi. Aussi la population y est-elle clair-semée ; les habitations sont rares ; on rencontre souvent de grands espaces déserts.

La plupart des maisons, construites en bambou, sont exhaussées sur des pieux. Le long des rues principales, à quelques pieds des maisons, court un rang de palissades bien faites et blanchies à la chaux ; les pieux qui les soutiennent sont couronnés de pots de fleurs, et souvent entre la palissade et la maison fleurissent des arbustes.

Le yaja-mat (palissade du roi) a pour but d’empêcher la foule d’encombrer irrespectueusement le passage du monarque, et même de le voir ; car il faut dire qu’en Birmanie « le droit qu’a un chien de regarder un roi » ne semble pas encore bien établi. Ce système de palissades donne une apparence de propreté à la ville ; mais comme elles cachent les boutiques et les habitants, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus intéressant pour un étranger, elles jettent par cela même un grand caractère de monotonie sur tout l’ensemble. De fait, quand nous nous rendions au palais en grand apparat, n’eût-ce été de nos éléphants qui nous servaient de monture et nous permettaient de voir derrière les barrières, nous ne nous serions jamais doutés du nombre de personnes, hommes, femmes, enfants, occupés à nous épier.

Aux portes de la ville s’élèvent des corps de garde construits en bois et ouverts de toutes parts. Les portes semblent avoir été taillées au travers des bastions, et n’ont d’autres ornements que de grossières moulures en plâtre ; ces bastions, blanchis à la chaux, rompent toutefois la monotonie que la couleur de la brique imprime au reste de la muraille. Au-dessus des portes s’élèvent des pavillons à triples toits pour les entrées principales et à doubles toits pour les autres ; de moindres pavillons couvrent les bastions. Dans le passage des portes les plus fréquentées stationne une foule de petits détaillants dont le commerce consiste en sandales, peignes de bois, cuillers, ciseaux, crayons de stéatite, etc. Des échoppes de pareils articles se groupent aux angles des palissades du palais, et à sa principale porte on trouve la plupart des marchands de para-beiks (tablettes noires) et de crayons de stéatite, qui constituent tout le matériel à écrire des Birmans dans leurs transactions ordinaires.

Les demeures des princes, des ministres d’État et autres dignitaires occupent généralement les emplacements tracés par les rues rectangulaires qui divisent la ville. Ces palais, entre autres celui du prince héréditaire, sont vastes, construits en bois et semblables aux monastères, mais d’un style moins orné ; leurs doubles et triples toitures (permises seulement à la famille royale) sont recouvertes de tuiles petites et minces. Les autres habitations sont faites de nattes de bambou encadrées de bois de teck, avec des pignons et des larmiers en teck et des toits de chaume. Çà et là, dans de larges espaces sous les remparts, on rencontre les greniers royaux.

On compte, suivant le major Allan, dans l’enceinte des murs, cinq mille trois cent trente-quatre maisons, ce qui donne un chiffre de vingt-six mille six cent soixante dix âmes ; toute la capitale, y compris les faubourgs, contiendrait dix-sept mille six cent cinquante-neuf maisons, qui pourraient fournir une population de quatre vingt-dix mille âmes. Le woondouk nous apprit un jour que le nombre des habitants s’élevait à dix millions ! nombre, suivant lui, fort exact, car il correspondait à celui des pièces d’étoffes distribuées lors de l’avénement du roi à chaque homme, femme et enfant d’Amarapoura ; mais, pour nous, ce nombre fabuleux ne pouvait, hélas ! que nous donner une idée approximative du chiffre effrayant des pots-de-vin prélevés par les fonctionnaires chargés de la fourniture des étoffes.

Le faubourg de l’ouest, qui couvre la péninsule au delà des murs d’Amarapoura, est de beaucoup le plus peuplé. Les rues y sont percées avec la même régularité que dans la ville, quoique moins larges, et sont animées d’une activité qui augmente à mesure qu’on s’éloigne du foyer royal ; les principales sont garnies des mêmes palissades que dans la cité et près du fort ; elles constituent le quartier qu’habitent les étrangers. On dit que les natifs ne peuvent, sans l’autorisation du roi, élever des demeures en briques ou pierres ; du reste leurs habitudes et leurs préjugés les en éloignent, et comme cette prohibition ne s’étend pas aux étrangers, les quartiers qu’habitent ceux-ci, à l’exception des Chinois, sont en partie construits en briques. Ce sont des maisons à deux étages, assez basses et de médiocre apparence, percées d’étroites fenêtres et sans verandahs. Il n’y a qu’un marchand anglais, demeurant actuellement à Amarapoura, M. Thomas Spears, qui ait toujours su maintenir son crédit auprès des rois qu’il a vus se succéder, en se tenant à l’écart des intrigues