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sité. Devant et autour de nous se trouvaient les ministres et quelques vieux princes du sang, à l’aspect sensuel et aux mâchoires saillantes. Leurs tiares constellées de joyaux et leurs vêtements de pourpre les faisaient ressembler à des abbés mitrés du moyen âge.

Dans les transepts, se tenaient une foule d’officiers inférieurs et plusieurs tsaubwas, princes Shans tributaires ; nous fûmes frappés de l’aspect de ces derniers et de leurs manières beaucoup plus distinguées que celles des Birmans.

En s’accroupissant, l’ambassadeur posa la lettre du gouverneur général sur un tabouret doré, recouvert de mousseline. Chacun des officiers avait près de lui une espèce de petite étagère dorée avec des plateaux où se trouvaient du tabac, du bétel, du thé conservé et autres curieux condiments, le tout fort proprement arrangé dans des soucoupes d’or et accompagné de tasses en or et de bouteilles contenant de l’eau musquée.

Nous attendîmes pendant environ vingt minutes l’arrivée du roi ; tout ce que nous apercevions nous intéressait au point de nous faire oublier la position incommode où nous nous trouvions faute de siéges.

Enfin un bruit de musique qui semblait venir des cours intérieures annonça l’arrivée de Sa Majesté : un détachement de soldats entra dans la salle d’audience, se plaça dans les entre-colonnements et s’agenouilla, chaque homme tenant son fusil entre les genoux, et ses mains croisées dans l’attitude de la prière.

Nous vîmes, à travers la grille dorée, le roi montant à son trône ; il en gravissait lentement les degrés, se servant de son sabre à fourreau d’or comme d’une canne. Nous crûmes d’abord que c’était affaire d’étiquette, mais M. Camaretta nous assura que le vêtement du roi, couvert de pierreries, pesait plus de cinquante kilogrammes La reine venait immédiatement derrière son époux.

Le roi resta un moment debout ; puis, après avoir épousseté les coussins avec son éventail, s’assit à la gauche du trône. La reine se plaça à la droite du roi, un peu en arrière, lui présentant de temps à autre quelques-uns de ces menus objets, de ces articles indispensables à une personne de haut rang : la boite à bétel, le crachoir d’or, etc. Entre Leurs Majestés s’élevait l’image sacrée d’une oie ou d’un cygne sur un piédestal d’or.

Après s’être servie de son éventail, et avoir éventé son mari, la reine se fit apporter par une de ses suivantes un cigare allumé qu’elle mit aussitôt dans sa royale bouche. Ce n’est pas manquer à l’étiquette, pour un étranger comme pour un sujet, que de fumer devant le souverain.

De la distance à laquelle nous étions du roi, il nous parut d’une taille assez forte. Ses traits, où se reflétait la physionomie nationale, quoique adoucie, indiquaient plus de distinction qu’on n’en trouve d’ordinaire chez ses sujets, et semblaient empreints de bonté et d’intelligence ; ses mains étaient remarquables de finesse et de délicatesse. Sa longue tunique de soie claire disparaissait, à la lettre, sous la profusion de joyaux qui la décoraient. Sa coiffure ou couronne avait la forme d’une tiare, semblable à un morion hindou, s’élevant en pointe, terminée par un ornement haut de plusieurs pouces et relevé en forme d’ailes au-dessus de chaque oreille. Le front était orné d’une plaque d’or. Cette couronne s’appelle tharapeo.

Le costume de la reine était beaucoup moins majestueux, ce qui tenait sans doute au caractère de sa coiffure que peu de femmes auraient portée à leur avantage. Imaginez-vous un bonnet ajusté étroitement à la forme de la tête, cachant les cheveux et les oreilles, et se dressant en spirale recourbée en avant, comme la corne du rhinocéros, ou comme certaines volutes pétrifiées des collections minéralogiques, le tout accompagné de deux longues barbes tombant le long des joues. Le reste du costume de Sa Majesté avait quelques points de ressemblance avec celui de l’époque de la reine Élisabeth. Les manches et la taille paraissaient formées d’une série de morceaux d’étoffe tailladée, et le cou était entouré d’une collerette aussi tailladée et descendant jusqu’à la ceinture ; au-dessus de la taille le corsage était plastronné de larges pierreries. La robe aussi bien que la coiffure était roide de diamants. La reine est la demi-sœur de son époux, comme l’a toujours voulu la coutume de temps immémorial, parmi les races royales de Birmanie, ainsi que chez celles d’Aracan et du Pégu, au temps de l’indépendance de ces contrées.

Parmi les jeunes filles qui se tenaient en arrière du trône, était la fille du roi, attifée à peu près comme la reine. Une autre charmante petite fille, les cheveux ornés de fleurs et qui regardait à la dérobée les kalàs ou étrangers, était l’enfant de l’héritier présomptif. Une fois le roi entré, nous nous découvrîmes, et au même moment toute l’assemblée des natifs se mit la face contre terre, les mains croisées sur le haut de la tête. Les deux rangées de petits princes agenouillés en file devant nous doublèrent leurs rangs, et les deux atwen-woons qui étaient à nos côtés se traînèrent, prosternés qu’ils étaient, jusqu’à la moitié de la distance qui nous séparait du trône, établissant ainsi un rempart entre le roi et nous.

Une dizaine de brahmanes en étoles et en mitres blanches ornées de feuilles d’or entrèrent alors dans les stalles voisines du trône et commencèrent un chant choral en sanscrit, bientôt suivi d’un chant pareil en birman : ce n’était, à proprement parler, qu’une litanie, ou énumération des dieux hindous, des sages et des créatures saintes dont on invoque la bénédiction et l’intercession en faveur du roi. Les chants terminés, notre ami le tara-thoongyi ou grand juge, qui était à notre gauche, lut au roi une adresse énonçant que les offrandes que Sa Majesté se proposait d’offrir à certaines pagodes de la capitale étaient prêtes, et un des fonctionnaires dit : « Qu’on les dédie ! » Sur ce, les chants recommencèrent. Car, aussi bien que la cérémonie du A-beit-theit ou des lustrations solennelles, ils forment un préliminaire indispensable des offrandes aux pagodes qui inaugurent toujours l’ouverture d’une séance royale. La lettre du gouverneur général fut alors retirée de son enveloppe et lue à haute voix par un than-dau-gan ou receveur de