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donnant à comprendre qu’elle ne pouvait elle-même participer au jeu ; mais, sur son invitation, sa fille aînée, une charmante enfant, encore dans les bras de sa nourrice, retira d’une coupe d’or un peu d’eau de rose, mêlée avec du bois de sandal, et en répandit sur son père ainsi que sur chacun des voyageurs. Ce fut le signal, et le jeu commença ; les étrangers s’y étaient préparés en s’habillant tout de blanc.

Aussitôt une quinzaine de jeunes femmes se précipitant des appartements intérieurs dans la salle, et entourant le woon et les deux invités, les inondèrent sans merci. Si l’un d’eux se montrait contrarié d’avoir la face changée en gouttière, ces jeunes filles riaient de tout leur cœur. Les mêmes scènes se passaient au dehors. À la fin, tous les partners de ce jeu aquatique étant fatigués et complétement trempés, il fut loisible à chacun de rentrer chez soi pour changer d’habits.

Une heure après, nos compatriotes retournèrent à la maison du woon et furent régalés d’une danse et d’un spectacle de marionnettes, qui durèrent jusqu’à la naissance du jour. La nouvelle année était inaugurée.

…Nous touchions au terme fixé à Calcutta pour le retour de notre mission. Le major Phayre, comprenant que toute insistance pour obtenir du roi la ratification du fameux traité était désormais superflue, demanda son audience de congé. Elle fut fixée au 21 octobre.

Les souwars de la cavalerie irrégulière et la moitié des Européens nous escortèrent jusqu’au palais pour voir l’éléphant blanc ; la musique nous accompagna, le roi ayant manifesté le désir de l’entendre. La réception eut lieu dans le même emplacement et avec les mêmes circonstances qu’auparavant ; les bayadères du roi tournaient dans la myé-nan, et les belles musiciennes, avec leurs mitres en tête et leurs robes bariolées, jouaient sur leurs instruments dans les verandahs. Au bout de vingt minutes, le roi entra et se jeta, à moitié couché, sur un sofa. Il portait un simple tsalwé de vingt-quatre rangs à la manière accoutumée. Après quelques minutes de silence, il demanda à l’ambassadeur : « Quand partez-vous ?

L’ambassadeur. Sire, après-demain.

Le roi. Combien de jours vous faudra-t-il pour descendre le fleuve ?

L’ambassadeur. Nous pourrions faire le trajet en trois jours, mais je désire m’arrêter à Pagán et dans d’autres localités.

Le roi (à l’atwen-woon). Veillez à ce que tout soit prêt et à ce que rien ne manque à leur bien-être.

L’atwen-woon. Les ordres de Votre Majesté seront portés sur le haut de notre tête.

Le roi (à l’ambassadeur). Avez-vous lu les livres et traités religieux que je vous ai envoyés ?

L’ambassadeur. J’ai parcouru le Maha-radza-weug, Sire, mais je n’ai pas eu le loisir de l’étudier.

Le roi. Ne les mettez pas de côté, mais étudiez-les, vous en retirerez grand fruit.

L’ambassadeur. Je le ferai, Sire.

Le roi. Toute votre suite se porte bien ?

L’ambassadeur. Oui, Sire.

Le roi. J’espère que vous n’avez manqué de rien depuis votre arrivée ?

L’ambassadeur. Non, grâce à Votre Majesté.

Le roi. Si vous désiriez quelque chose, dites-le au woondouk, et il veillera à ce que vous soyez satisfait. »

L’ambassadeur ayant ensuite présenté quelques-uns des nôtres qui devaient rester dans le voisinage de la Birmanie comme inspecteurs ou commandants des frontières, le roi, de ce ton débonnaire et doucement sentencieux qui lui était propre, et que durent, sans aucun doute, posséder jadis Édouard le Confesseur en Angleterre et le bon roi Robert en France, déclara au major Phayre qu’il était bien heureux du choix que le gouverneur général avait fait de ces messieurs, « car, ajouta-t-il sagement, on devrait toujours placer sur la frontière des hommes judicieux et modérés. Il est aisé de se fâcher et difficile d’y remédier. La haine peut naître d’un seul mot, et cependant avec de l’attention on peut empêcher une querelle de s’élever. Il est aisé de se lier d’amitié pour quelque temps, mais il est difficile d’y persévérer. Tous nos soins tendront vers cet objet. »

L’ambassadeur. Sire, nous aussi, nous nous y efforcerons.

Le roi. Comme les deux États n’en font qu’un, si quelqu’un désirait venir des pays anglais dans mon royaume, serait-il libre de le faire ?

L’ambassadeur. Certainement, Sire.

Le roi. Si vous pouvez me procurer quelques-unes des reliques bouddhiques qui se trouvent dans l’Inde, ainsi que les coffrets originaux qui les contiennent, écrivez pour m’en informer. Ce sont là des objets que nous vénérons.

L’ambassadeur. Je ferai tout mon possible pour satisfaire le vœu de Votre Majesté.

Le roi (à M. Camaretta). Voyez à ce que tout soit prêt pour le voyage.

(À l’ambassadeur). Désirez-vous me dire autre chose ?

L’ambassadeur. Rien de plus que de remercier Votre Majesté de toutes les bontés qu’elle nous a témoignées depuis que nous sommes entrés dans son royaume.

Le roi. La reconnaissance honore les hommes, et ceux qui l’oublient, les Birmans les considèrent comme des êtres avilis. À présent, la capitale est bien boueuse ; en été, la chaleur est gênante ; l’hiver est la meilleure saison pour y venir. Je considère les membres de l’ambassade comme mes propres nobles, et plus tard s’ils revenaient ici, même sans le major Phayre, je serais heureux de les recevoir dans mon palais. Le kala-woon vous accompagnera jusqu’à la frontière, et j’espère qu’Allan, le commandant de Prome, et lui se lieront d’amitié. »

En ce moment M. Grant, notre artiste photographe, ayant apporté au palais le portrait de l’éléphant blanc, un des atwen-woons remit l’épreuve au roi, qui la regarda avec soin et dit : « C’est une gravure. » Quand on lui eut affirmé le contraire, il s’écria : « Les étrangers dessinent de vrais portraits ; nos artistes ne dessinent que pour plaire. Qu’on apporte notre portrait de l’éléphant blanc. »