Page:Le Tour du monde - 02.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la rive droite du Malagarazi, est des plus insalubres ; les moustiques nous y attaquent, même pendant le jour ; au bord de la rivière nous ne traversons que des marécages, et les montagnes que nous escaladons sont séparées les unes des autres par des torrents fangeux. Impossible, néanmoins, de ne pas admirer la puissance féconde de cette terre, toujours inondée de pluie ou de soleil. La province de Jambého, située sur l’autre rive, est certainement l’une des plus fertiles du globe ; ses villages, dont les huttes ressemblent à des nids, ses champs de patates et de millet qu’on aperçoit à la sortie des jungles, produisent l’effet du jour après une nuit ténébreuse. Nous passons le Malagarazi, et nous suivons la rive gauche de l’un de ses affluents, le Rousougi, qui, à cette époque de l’année, peut avoir cent mètres de large ; un lit de terre rouge en forme le fond ; et, comme il arrive en général dans ces parages, les berges en sont profondément déchirées par des ravins qui rendent la marche excessivement pénible. Un gué se présente, nos hommes s’y précipitent avec joie, et leurs cris et leur nombre les protègent contre les crocodiles, qui prennent la fuite. Nous passons, comme à l’ordinaire, assis sur les épaules de deux porteurs, les pieds sur celles d’un troisième ; et après avoir franchi de nouveaux marais, de nouveaux torrents, de nouvelles jungles, gravi, descendu, escaladé une quantité de roches, de côtes abruptes, de racines et de troncs d’arbres, nous atteignons l’Ouvoungoué, rivière basse et fangeuse, qui entoure une végétation impénétrable. Il faut recommencer la lutte contre les joncs, les roseaux, les herbes tranchantes, auxquels se joint une variété de fougère que nous n’avions pas encore vue : sombre manteau qui recouvre une série d’ondulations monotones, où le sentier s’égare et se brise. Dans tous les endroits où le sol est à découvert, une argile rouge, qui rappelle la surface du Londa, remplace les grès et les granités de l’est, et l’inclinaison vers le lac devient sensible. Des massifs de petits bambous et de rotin rabougri poussent dans ces jungles ; le bauhinia et le smilax y abondent ; du raisin minuscule, de la saveur la plus acerbe, y apparaît au versant des collines ; en certains endroits le sol présente des cavités d’où s’élancent des arbres gigantesques ; et bien qu’on n’aperçoive pas une âme, des plantations et des champs de sorgho annoncent que les environs sont habités.

Coiffures des indigènes de l’Oujiji.

« Le 10 février, vers la fin de l’après-midi, l’expédition, n’en pouvant plus, s’arrêta au flanc d’une colline après avoir traversé un marais. Le ciel, voilé d’un côté dénuées obscures, et de l’autre resplendissant de lumière, nous annonçait un orage ; mais à l’horizon apparaissait une rampe azurée, dont le soleil dorait la crête, et qui était pour nous ce qu’un phare est au marin en détresse. Le surlendemain nous traversions une forêt peu épaisse ; une montagne pierreuse et maigrement couverte fut escaladée à grand’peine ; l’âne de mon compagnon y trouva la mort. Quand nous en eûmes gagné la cime : « Quelle est cette ligne étincelante qu’on voit là-bas ? » demandai-je à Sidi-Bombay. « C’est de l’eau, » répondit-il. La disposition des arbres, le soleil qui n’éclairait qu’une partie du lac, en réduisait tellement l’étendue, que je me reprochai d’avoir sacrifié ma santé pour si peu de chose ; et maudissant l’exagération des Arabes, je proposai de revenir sur nos pas, afin d’aller explorer le Nyanza. M’étant néanmoins avancé, toute la scène se déploya devant nous et je tombai dans l’extase.

« Rien de plus saisissant que ce premier aspect du Tanganyika, mollement couché au sein des montagnes, et se chauffant au soleil des tropiques. À vos pieds des gorges sauvages, où le sentier rampe et se déroule ; une bande de verdure, qui ne sa flétrit jamais, et s’incline vers un ruban de sable frangé de roseaux, que déchirent les vagues. Par delà cette bordure verdoyante, le lac étend, sur un espace de vingt à vingt-cinq milles, ses eaux bleues, où le vent d’est forme des croissants d’écume. À l’horizon, une muraille d’un gris d’acier, coiffée de brume vaporeuse, détache sa crête déchiquetée sur un ciel profond, et laisse voir entre ses déchirures des collines qui paraissent plongées dans la mer. Au midi, le territoire et les caps de l’Ougouha, dominés au loin par un groupe d’îlots, varient cette perspective océanesque. Des villages, des champs cultivés, de nombreuses pirogues, enfin le murmure des vagues, donnent le mouvement et la vie au paysage. Pour rivaliser avec les plus beaux sites connus, il ne manque à ce tableau que des villas et des jardins, où l’œil puisse se reposer de l’exubérance de la nature.

« J’oubliai tout : dangers, fatigue, incertitude du retour, et chacun partagea mon ravissement. Le jour même je m’assurai d’une embarcation, et le lendemain, 14 février, nous longeâmes la côte orientale du lac, en nous dirigeant vers le district de Kaouélé.

« Impossible de décrire la beauté du paysage, les formes variées et pittoresques des montagnes, que rougissaient