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cuir et le métal avec une puissance exceptionnelle. La teinte de cette masse transparente est normalement de deux couleurs : l’une, un vert de mer ; l’autre, un bleu tendre. Pendant le jour, la nuance en est généralement claire et laiteuse, comme on le remarque dans les mers des tropiques ; le vent s’élève-t-il, bientôt les vagues se gonflent, écument, surgissent d’un fond trouble et verdâtre, et l’aspect en est aussi menaçant que possible. Les vents périodiques qui soufflent sur le Tanganyika sont le sud-est et le sud-ouest. La brise de terre et de mer s’y fait sentir presque aussi distinctement que sur les rivages de l’océan Indien. Le vent du matin vient du nord, pendant le jour il est variable, et le soir un souffle léger s’élève des eaux. Les courants de l’atmosphère y sont nombreux, et leur action brusque est souvent désastreuse ; les rafales, qui se heurtent en se croisant, gonflent les vagues et les entraînent en certains endroits à six ou sept mètres du point ordinaire ; c’est peut-être ce phénomène que les Arabes ont pris pour des effets de marée. Les indigènes n’ont pas trouvé le fond du lac ; les Arabes n’y sont parvenus que près des rives. Ces dernières plongent dans l’eau bleue par une pente rapide et forment sous l’eau des bords une couche de sable et de galets. On aperçoit quelques récifs dans le voisinage de la côte, mais on ne rencontre ni écueils, ni bas-fonds une fois qu’on est en pleine eau ; et bien que les îles soient assez nombreuses à la marge du lac, il paraît ne s’en trouver qu’une seule dans la nappe centrale. »

Rocher de l’Éléphant près du cap Gardafui.

Trois jours après, toute la flottille arrivait saine et sauve à Kaouélé, d’où nos voyageurs partaient le 26 mai pour reprendre la route qui les avait amenés de la côte. Le 20 juin ils rentraient à Kazeh, où Snay ben Amir les recevait avec sa générosité ordinaire. Là, tous les membres de la caravane subirent l’influence du climat : fièvre tierce ou quotidienne, maladies de foie et de poitrine, rhumatismes, ophthalmies, surdité, ulcérations, prurigo. Burton, cependant, payant à chacun de ces maux un tribut plus fort qu’aucun de ses compagnons, fut cloué pendant plusieurs mois sur un lit de douleurs. Le délai qui s’ensuivit forcément permit au capitaine Speke de pousser une pointe de trois cent soixante kilomètres, droit au nord, jusqu’au Nyanza d’Oukéréoué, qui, d’après les Arabes, est plus étendu que le Tanganyika. Speke était de retour le 25 août, et le 26 septembre la caravane se remettait en marche à travers les jungles, les marais, les torrents, les forêts, les déserts, les vallées et les montagnes où serpente le sentier que nous connaissons. Enfin le 3 février les voyageurs se retrouvaient au bord de l’Océan, et ils débarquaient à Zanzibar le 4 mars 1859.

Traduit par Mme H. Loreau.




Bien que dans la relation dont nous venons d’offrir un extrait aux lecteurs du Tour du monde, le capitaine Burton, cédant à un sentiment dont nous ne sommes ni les appréciateurs ni les juges, ait cru devoir garder le silence sur les découvertes personnelles du capitaine Speke, ce sont celles-ci surtout qui ont éveillé l’attention du monde savant ; car, plus spécialement que les autres résultats de l’expédition des deux Anglais, elles se rattachent au problème imposé depuis deux mille ans aux investigations des géographes : la recherche des sources du Nil.

Lorsque le 3 août 1858, après vingt-cinq jours de marche pénible, à travers une région que jamais encore n’avait foulée un pied européen, le capitaine Speke, du haut d’une colline, découvrit l’immense nappe d’eau de l’Oukéréoué, il put, d’un seul coup d’œil, reconnaître la véracité des assertions de ses guides arabes. Il avait devant lui un, lac beaucoup plus vaste que le Tanga nyika, si large, de l’est à l’ouest, qu’on ne pouvait en distinguer les deux rives, et si étendu, du sud que personne n’en connaissait la longueur.

Le capitaine Speke trouva deux degrés trente minutes pour la latitude de l’extrémité sud de cette mer intérieure, et s’assura que son niveau dépassait de onze cent quarante mètres celui de l’Océan. D’après des renseignements obtenus d’un grand nombre de ces riverains, son extension au nord de l’équateur ne peut être non plus au-dessous de deux degrés et demi, et de cette extrémité septentrionale s’échappe un cours d’eau qui, prolongé d’un degré ou deux encore, doit forcément rejoindre soit le Nil Blanc dans les environs de Kondokoro ou de Bélénia, derniers points atteints par les voyageurs venus d’Égypte et de Nubie, soit un des nombreux canaux encore inexplorés qui viennent rejoindre le Bahr-el-Abiad, dans le voisinage du lac Nu. La relation suivante, qui nous est adressée de Khartoum par notre collaborateur M. Lejean, se relie à cette hypothèse, en réduisant le Saubat, dans lequel pendant longtemps on a voulu voir un des bras principaux du haut Nil, aux proportions d’un affluent assez modeste.