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que la distance à vol d’oiseau soit seulement de soixante milles, la ligne a environ cent milles à cause des nombreux détours qu’elle fait pour atteindre les plus importantes plantations. Le voyage est plus long, mais il gagne aussi en intérêt. Je ne puis me lasser de cette scène étrange, et je contemple avec un intérêt qui ne se refroidit pas, les stations avec leurs groupes de noirs, de marchands de fruits, les amas de sucre et de mélasse qui y sont accumulés ; les ingenios brillant sous les rayons du soleil, avec leurs cheminées élevées ; les champs interminables de cannes ; les bœufs lents qui traînent les chars ; les intervalles de sol non défriché ; les jungles ornées de fleurs sauvages ; les bouquets de cocos aux branches pendantes et pleureuses ; les palmiers ; les orangers roides, avec leurs pommes d’or, çà et là les restes d’un cafetal, avec des cafiers sauvages et non coupés, sous des bosquets luxuriants de bananiers. L’œil peut-il jamais se fatiguer de ce spectacle ?

Vue de Matanzas. — Dessin de Lancelot d’après F. Mialhe.

Un peu plus tard, dans l’après-midi, le caractère de la vue commence à changer. Les ingenios et les champs de cannes deviennent moins fréquents, puis disparaissent entièrement, et les maisons ont plutôt l’air de villas que de fabriques. Sur les routes on voit des files de mulets et de chevaux chargés de paniers de fruits, ou balayant le sol avec le fourrage vert dont ils sont chargés ; tout cela se dirige vers la Havane. Bientôt on voit le château d’Atavar et le Principe, puis le port et la mer, la forêt de mâts, la longue ligne des fortifications, les maisons bleues, blanches et jaunes ; il me semble que je suis revenu chez moi après une très-longue absence ; je n’ai pourtant été que pendant quelques jours sur les plantations, mais les impressions que j’y ai reçues ont été si nouvelles et si étranges !


La population de Cuba. — Les noirs libres. — Les mystères de l’esclavage. — Les productions naturelles. — Le climat.

Il faut présenter maintenant les résultats les plus importants de mes observations sur l’état actuel de l’île de Cuba. Les renseignements que j’ai reçus ont été quelquefois contradictoires, mais par cela même il est plus aisé de les contrôler les uns par les autres.

Il y a trois classes de personnes à Cuba, sans compter les esclaves : ce sont les Cubains, les Espagnols et les étrangers des autres nations. Par Cubains, j’entends les créoles ou les personnes nées à Cuba. Par Espagnols, les Péninsulaires ou natifs de la vieille Espagne. La troisième classe comprend les Américains, les Anglais, les Français, les Allemands. Cette dernière classe est nombreuse, possède beaucoup de richesses, et se compose de marchands, de banquiers et de commerçants. Les Espagnols composent l’armée et la marine, remplissent