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tugaise. C’est le monument religieux le plus ancien du royaume. L’intérieur est très-sévère, et l’aspect de cette masse brune et rigide est noble et imposant. Les trois nefs de l’intérieur sont spacieuses, mais d’une obscurité glauque et froide qui inquiète l’âme au lieu de la rassurer. Dans les temples, j’aime la clarté nette et précise ; je prie alors avec confiance et j’espère. Quand, au contraire, le sanctuaire est enveloppé d’une ombre sourde dans laquelle la réalité disparaît ou se déforme, mon esprit se courbe sous la terreur : je crois voir se dresser partout les fantômes de la désolation.

On remarque dans la nef du centre un magnifique retable en pierre, ouvrage commandé par l’archevêque D. Diogo de Souza à des artistes biscayens, et dans lequel ceux-ci ont déployé un rare talent d’exécution et un véritable mérite de patience. Une chapelle est spécialement consacrée dans la cathédrale au rite mozarabique.

L’Église portugaise se divise en quatre provinces. L’un des siéges métropolitains est à Braga, ayant pour suffragants les évêchés de Porto, de Bragance, d’Aveiro, de Coïmbre, de Vizeu et de Pinhel. Ce dernier siége et celui d’Aveiro sont vacants depuis si longtemps qu’ils peuvent passer pour supprimés. Enfin Braga possède l’un des neuf séminaires du royaume[1].

Braga fait un grand commerce de bijoux : on y fabrique des broches, des agrafes, des pendants et des anneaux d’oreilles d’un très-bon style. On sent que l’Arabe a passé par là. Le dessin en est ferme et élégant en même temps, et l’ornementation en filigrane dénote, chez l’ouvrier qui l’ajuste, beaucoup de goût dans l’esprit, beaucoup de délicatesse et de subtilité dans les doigts. Les femmes du peuple sont très-friandes de ces jolis colifichets ; aussi la plus pauvre pêcheuse, la plus simple paysanne accroche-t-elle toujours à ses oreilles bistrées de beaux et larges anneaux d’or qui lui vont à ravir, et dont nos coquettes de France, même les plus riches, ne dédaigneraient pas de se parer.

Les rues de Braga sont larges, les places rafraîchies par de belles fontaines jaillissantes, où les filles de l’endroit, la cruche sur la tête ou appuyée sur la hanche, à la manière antique, viennent s’approvisionner. Le palais de l’Archevêque, le séminaire sont des monuments à voir. Les maisons ont conservé un caractère d’ancienneté qui les rend précieuses au touriste. Un amphithéâtre, un temple, un aqueduc, débris mutilés, presque méconnaissables, d’une civilisation éteinte, rappellent encore le souvenir de Bracara Augusta.

Nous avions à peine mis pied à terre qu’on nous signalait déjà, comme la curiosité importante du pays, le sanctuaire de Bom Jésus do Monte, situé à quatre kilomètres de Braga. C’est un lieu de pèlerinage, non-seulement pour les habitants de la ville, mais encore pour ceux de la contrée jusqu’à vingt lieues à la ronde. Que dis-je ? le jour du vendredi saint on voit accourir des points les plus éloignés du royaume, pour gravir pieusement la sainte colline, des Portugais et des Portugaises de tous les âges et de toutes les conditions. À la base d’une petite montagne commence une rampe bordée de fleurs ; elle prend d’abord la direction de droite ; ensuite, au bout de quelques mètres, elle se rejette brusquement à gauche, sur le même versant ; puis elle se brise de nouveau pour revenir à droite, et ainsi de suite jusqu’au sommet, formant une succession non interrompue de terrasses superposées. Un autel, figurant une des stations du chemin de la Passion, occupe chaque angle de ce long zigzag dont le dernier compartiment, c’est-à-dire la terrasse finale, mène à l’église du Calvaire. Cette église, qui date du siècle dernier, et les autres monuments religieux élevés en cet endroit remplis d’ex voto, n’ont aucun intérêt artistique.’

Mais des marches du Calvaire, quel panorama merveilleux ! Et ici il faut renoncer à décrire. Comment peindre en effet ce tableau où les regards s’arrêtent surpris, émus, sur des vallons luxuriants, sur des montagnes couronnées d’arbres vigoureux et tordus ? comment exprimer cette immensité calme et sereine ? par quels mots donner l’idée de ces vertes collines sur lesquelles hameaux et villages font assaut de touches blanches et lumineuses ? comment dessiner ces plaines sillonnées de rivières, fils imperceptibles, déroulant, sur une nappe d’herbe fleurie, de longs circuits d’argent, cet horizon sans limites dont les formes extrêmes, estompées par la vapeur, se perdent derrière une gaze de brume pâle, insaisissable, couleur d’améthyste ?

Après avoir parcouru le mont de Jésus, nous n’avions plus rien à faire à Braga ; le 27 avril, nous nous mettons en route pour Guimaraens.


VIII

Nous arrivons à Guimaraens sans incident digne d’être rapporté.

La route est peu ou mal percée, mais le pays est beau et boisé, fertile en points de vue auxquels Christoval lui-même, insensible d’ordinaire aux attraits de la nature, donne son approbation en laissant paraître ses dents de crocodile. Au loin, sur le flanc des collines et des montagnes sont disséminées des bourgades dont l’église élève vers le ciel un modeste clocher ; parfois, après un ressaut de terrain rocailleux s’étend une belle prairie couverte d’une myriade de fleurs rouges et blanches, et la vigne qui croît en s’attachant aux chênes et aux châ-

  1. Les autres siéges métropolitains sont à Lisbonne, à Évora et à Goa, avec vingt évêchés suffragants.

    Il ne semblera peut-être pas inutile de dire ici que les frais de l’enseignement ecclésiastique ne sont pas supportés par le budget de l’État. Ils sont couverts avec le produit de la bulle pontificale, nommée bulla da Cruzada, qui accorde aux fidèles, moyennant une dispense, l’autorisation de manger certains aliments pendant les jours maigres, c’est-à-dire à peu près le tiers de l’année. Ce revenu, destiné autrefois à contribuer aux armements que les princes chrétiens faisaient contre les infidèles, s’élève annuellement à trente-sept contos de reis, soit cent quatre-vingt-cinq mille francs. L’État n’accorde qu’au séminaire de Funchal, à Madère, une subvention fixée à treize cent trente mille huit cent soixante-dix reis, environ sept mille six cent cinquante francs. Évora, Bragance. Coïmbre, Guarda, Leiria, Portalègre et Viseu sont, avec Braga et Funchal, les villes dotées, en Portugal, de séminaires.