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La noblesse a joué autrefois à Porto un rôle considérable. Elle avait le monopole des emplois administratifs et militaires, et, sans déroger, elle faisait en même temps un peu de négoce. Son influence a beaucoup baissé. Elle tenait avec ardeur pour D. Miguel ; aussi, le régime libéral ayant prévalu, elle s’est complétement retirée de la scène politique et commerciale. Pendant les années qui suivirent la chute de la cause roi gué liste, les familles nobles restèrent éloignées de Porto ; aujourd’hui elles sont rentrées en ville, et leurs hôtels groupés dans les environs de la cathédrale, forment un quartier à part qui répond à notre faubourg Saint-Germain. Les gros bonnets de la finance ont leur faubourg Saint-Honoré auprès de Cedofeita.

La rue Vivienne n’est pas non plus sans avoir été l’objet d’un essai d’imitation sur les bords du Douro. Avec beaucoup moins de festons, de glaces, d’astragales et d’or aux devantures et sur les enseignes qu’à Paris, les magasins élégants et confortables de la ville, les bijoutiers, les marchands de nouveautés, les modistes, ont fait de la rua das Flores (rue des Fleurs) un point de réunion très-agréable pour les flâneurs et les désœuvrés. Les maisons de la rue des Fleurs datent du seizième siècle. Les changeurs ouvrent leurs caisses au largo da Feira, et quant aux marins, dont la population est nécessairement considérable, ils habitent à portée du Douro, par exemple la basse ville, la vieille ville, dans les rues sombres, étroites, à peine praticables qui avoisinent la cathédrale du côté du fleuve, et qu’il faut prendre d’assaut ; enfin sur la rive gauche, à Villa-Nova de Gaia.

Parmi les belles rues de Porto, il convient de citer la rue Neuve-Saint-Jean, la rue Saint-Antoine, la calçada dos Clerigos (chaussée des Prêtres) et la rue neuve des Anglais, fermée à l’une de ses extrémités par un rocher abrupt qui porte comme un diadème la cathédrale et les vastes bâtiments du palais épiscopal. La chaussée des Prêtres et la rue Saint-Antoine partent de la place Dom Pedro, pour gravir l’une en face de l’autre deux collines opposées. La chaussée des Prêtres conduit à la place de la Corderie où se trouve un asile pour les enfants trouvés ; elle mène aussi au passeio das Virtudes (promenade des Vertus), à l’hôpital des Carmes, à la place Charles-Albert, à la prison, à Cedofeita, au quartier Saint-Ovide et à la grande caserne de la place de la Régénération. Sur le plateau culminant de la chaussée, tout près d’un marché, on voit l’église de Notre-Dame de l’Assomption dont le clocher pittoresque, nommé torre dos Clerigos (tour des Prêtres), se pavane dans les airs servant de point de repère aux navires du large qui veulent donner dans le Douro[1].

Le quartier de la cathédrale absorbe l’autre colline. On trouve de ce côté le théâtre Saint-Jean, la Préfecture, la promenade das Fontanhas (des Fontaines), les ruines de l’ancien séminaire, l’évêché, la cathédrale, et une portion de l’ancienne enceinte de la ville. Appuyée sur vingt-six tours carrées, haute de dix mètres, elle se développait autrefois sur trente mille pas de circonférence.

La ville ne se borne pas à ces deux montagnes subdivisées elles-mêmes en mamelons secondaires, et à la vallée qui les sépare. Elle se prolonge à l’est et au nord et se continue avec les dernières maisons de ses longs faubourgs éparpillés dans la campagne ; elle tend surtout à suivre le cours du Douro, et un jour sans doute, elle atteindra l’embouchure du fleuve pour s’annexer S. Joao da Foz.


XI

Servant de point de rencontre à la rue Saint-Antoine et à la chaussée des Prêtres, la place Dom Pedro s’allonge comme un trait d’union entre les deux collines jumelles et rivales. C’est une sorte de champ neutre que la population de tous les quartiers remplit d’un mouvement continuel.

À Porto, le mouvement de la foule n’a pas à beaucoup près le même caractère qu’à Paris où à Londres. Chez nous, il se montre alerte, gai, familier, bruyant et même assourdissant. Chez nos amis d’outre-Manche, il est plus actif encore qu’en France ; en revanche, il est triste et silencieux ; on croit voir une fourmilière d’ombres s’agiter et passer sans mot dire, sans éveiller de bruit. À Porto, il est vivant et expressif. Non pas que les allures des Portugais affectent de l’animation et de la promptitude, au contraire, les Portuenses sont dolents, leur grand parasol (chapeo do sol) à la main, ils marchent à pas posés ; mais la physionomie est ordinairement vive, le geste accentué, démonstratif, et en se joignant ou en se croisant, s’ils se saluent du bord du chapeau, c’est avec une bonhomie souriante et même gracieuse

Et puis, des paysans, des paysannes vont et viennent criant à tue-tête les oranges, les légumes, les fromages, les fruits, les fleurs qui remplissent leurs paniers de jonc, et les costumes des villageoises, aux couleurs intenses, à la coupe élégante et quelquefois inattendue, brisent heureusement la monotonie des paletots de ces messieurs de la noblesse et de la bourgeoisie. Ici, des mules conduites par un arreiro qui siffle une ronde de son village, trottent agitant autour d’elles les flocons de laine rouge, jaune, bleue, verte de leur harnais, et des vaches, par bandes, comme à Paris les ânesses, portent leur lait à domicile ; là, des officiers à la tournure suffisamment martiale, des gardes municipaux, avec leur numéro d’ordre en chiffres de cuivre sur le collet de l’habit et le sifflet passé dans une gaine, sur la poitrine, se mêlent au flot populaire ; de ce côté, des bœufs lourds et pesants traînent des charrettes étranges ; de celui-ci, des gallegos, espèces de bêtes de somme, attelés à une cadeirinha (chaise à porteurs), gravissent d’un pas rhythmé, la pente d’une rue presque perpendiculaire ; enfin l’agoadeiro (porteur d’eau), un baril enluminé sur

  1. Une inscription placée au-dessus de l’une des portes de l’église constate que les dépenses occasionnées par la construction du monument ont été en entier supportées par le clergé. C’est il cette circonstance qu’il faut attribuer la dénomination donnée au clocher.