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à notre allure un Européen ne nous aurait pris pour ce que nous étions réellement : des mandataires d’un chef puissant, portant des cadeaux à un souverain. Mais que voulez-vous ? il est de la politique des monarques africains d’envelopper ces choses du plus grand mystère possible.

Je remis donc à Oumar, entre dix et onze heures du soir, heure fort avancée pour l’Afrique, un sabre assez riche, un bonnet de velours brodé en or, un beau burnous de laine, quatre paires de pagnes, deux mètres de drap écarlate, de la verroterie fine, un collier d’ambre d’une valeur de cent quarante francs, un couteau-poignard, une paire de lunettes, une de conserves, un joli lorgnon de presbyte, et enfin, à mon grand regret, je l’avoue, une fort belle lorgnette jumelle qui en route m’avait tenu lieu de longue-vue.

Fonte de minerai de fer au Fouta-Djalon. — Dessin de Hadamard d’après M. Lambert.

L’almamy m’avait averti qu’il ne pourrait me recevoir de toute la journée du lendemain, consacrée aux fêtes du Kori et aux prières publiques, auxquelles il devait présider[1]. En effet, dès le matin du 23 avril, la voix des marabouts ayant convoqué les vrais croyants, je vis tous les citadins, parés de leurs plus riches vêtements, sortir de leurs demeures et se diriger vers celle de l’almamy où retentissait le bruit du tamtam. Dès que la population musulmane de Timbo, grossie de tous les fidèles accourus des villages voisins, fut réunie devant la case royale, qui, semblable de forme et de matériaux aux huttes des plus pauvres Foulahs, n’en diffère que par l’étendue de l’enclos qui la renferme, tout ce monde, Oumar en tête, sortit processionnellement de la ville et gagna les rives d’un ruisseau qui porte, comme la ville, le nom de Timbo. Une fois arrivé le long de ce petit cours d’eau, l’almamy, assisté de ses deux tamsirs (lieutenants ou grands vicaires), se porta à cent pas en avant de la foule ; les marabouts et les anciens se rangèrent dans l’intervalle et la prière commença. Oumar la prononçait à haute voix et l’assistance tout entière (trois mille hommes au moins) répondait, tandis que du sein de la ville un doux et vague murmure, s’élevant par intervalles cadencés, annonçait que dans l’intérieur de chaque case les femmes s’associaient aux prières de leurs maris et de leurs frères.

C’était un beau et touchant spectacle que la vue de tous ces hommes courbant leurs fronts vers la terre, puis les relevant pour les courber encore. Toute cette cérémonie était empreinte d’un si profond recueillement, d’une foi si grave et si austère, que je ne pus résister au

  1. Dans tous les pays peulhs, dans le Fouta-Toro, le Bondou, le Djalon, le Macena, le titre d’almamy emporte la réunion des deux pouvoirs, spirituel et temporel. Celui qui en est revêtu se considère, de même que l’émir de Sokoto, le sultan de Maroc et le padisha de Constantinople, comme l’héritier direct des califes.