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Retour vers le sud. — Le sol, les villes et les habitants de l’Adrar. — Gibier et chasse au désert. — Les autruches. Rentrée sur la terre des noirs. — Ce que valent les Maures.

Le 24 mai, dès le matin, nos préparatifs sont faits, nos chameaux chargés. Ould-Aïda vient nous faire ses adieux ; il n’a nullement l’air honteux de sa conduite envers moi. Il est accompagné du vieux Lab, qu’il tient familièrement par la main ; je suis sûr dès lors que celui-ci, quelque mépris et dégoût qu’il m’ait inspiré, va être chargé de nous conduire ; mais peu m’importe, mon seul désir est de quitter cet enfer. Le cheikh s’assied, nous l’imitons ; je le laisse parler.

« Vous allez partir, me dit-il ; je vous donne pour guides mon fils Ely-Chaudora et Lab, qui feront ce que vous voudrez ; vous ne manquerez de rien. »

Je lui fais observer que Lab m’ayant déjà trompé, je n’ai pas la moindre confiance en lui, mais que cela ne peut m’arrêter ; puis j’ajoute à haute voix :

« Lab peut-il jurer devant vous tous qu’il se conduira d’une manière convenable ?

— Moi, je le jure, dit Ould-Aïda.

— Mais moi, répliquai-je, je ne crois pas Lab capable de tenir son serment ; par conséquent, encore moins celui des autres. »

Et cette réplique n’a d’autre effet que d’exciter la gaieté de Lab et de toute l’assemblée.

Ayant ensuite mis le cheikh en demeure de me répondre catégoriquement par oui ou par non aux deux questions suivantes :

Enverrait-il à Saint-Louis un marabout comme chargé d’affaires auprès du gouverneur ? Me fournirait-il pour mon retour les provisions qu’il m’a promises ?

Il me fut impossible de tirer de lui rien de plus que des paroles évasives où perçait la mauvaise foi ; je crus devoir clore l’entretien par ces mots :

« Je ne m’aperçois guère que tu commandes dans l’Adrar, car tu écoutes ce que chacun veut bien te dire ; ce n’est pas ainsi que l’on commande chez les Trarzas et chez nous. »

Gazelles du Sâh’ra. — Dessin de Rouyer.

</noinclue> Humilié d’une opinion aussi ouvertement exprimée, Ould-Aïda se leva et rentra précipitamment dans sa tente. Cependant il ne tarda pas à reparaître suivi de Lab, et me présentant le vieil Ould-Delim, il me demanda si je redoutais quelque chose de celui-ci, un coup de fusil par exemple ! Je lui répondis gaiement que je ne craignais rien, et que le vieux Lab serait mort avant de sortir son fusil de l’étui.

Cette réponse les fit rire aux éclats et ils finirent par se frapper mutuellement dans la main, geste que ne manquent jamais de faire deux Maures qui entendent dire une chose étonnante et surtout risible.

Enfin nous partons ; j’éprouve la même émotion que doit ressentir le prisonnier rendu à la liberté ; mes compagnons sont aussi heureux que moi. Nous avions passé vingt-sept jours en pure perte, exposés à une chaleur atroce, n’ayant pour abri qu’une petite tente de toile fine, forcés d’écouter les mensonges et les niaiseries de gens fanatiques et imbus de préjugés. Nous étions tous souffrants, tous atteints d’un commencement de scorbut, et j’étais en outre affecté d’une ophthalmie et de douleurs de foie qui commençaient à m’inquiéter.

Notre vrai chemin pour sortir de l’Adrar passait par la vallée d’Atar, mais Lab avait reçu des ordres qu’il n’aurait voulu enfreindre à aucun prix. Au lieu de suivre une plaine unie, facile et couverte de pâturages et de quelques arbres, il me fallut traverser pendant plus de cent cinquante kilomètres un terrain entièrement rocheux. Auprès du premier puits que nous rencontrâmes, Lab, ayant trouvé un troupeau de chameaux appartenant à une tribu de marabouts, s’empara d’un des meilleurs animaux pour porter ses bagages. Le marabout propriétaire de la bête dut nous suivre à pied pour ne pas la perdre.