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La station d’Yéring comprend environ vingt-cinq mille arpents anglais (10 000 hectares). Elle est bornée au nord par la Yarra, à l’est et au sud par une suite de montagnes qui produisent peu d’herbes, et à l’ouest par le ruisseau que nous avons traversé en venant de Melbourne. Nous la divisons en deux parties distinctes, le run, que nous appelons aussi le bush, composé de tout l’ensemble de nos pâturages, et le clos, qui comprend près de deux mille arpents et qui est fermé d’un côté par la rivière et de l’autre par une forte barrière. Nos habitations, nos jardins sont enclavés dans ce clos. Nous y tenons enfermés les chevaux de service, ceux que nous faisons dresser, les bœufs de travail, les vaches laitières, en un mot tous les animaux que nous voulons avoir sous la main. Tout un système de carrés de différentes dimensions formés par de hautes clôtures, sert à faire passer le bétail du bush dans le clos, et du clos dans le bush. Notre bétail, toujours en liberté, reste à l’état demi-sauvage. Nous le chassons par troupeaux dans ces carrés, et là, en le faisant passer successivement de l’un dans l’autre, nous séparons d’avec les autres les bêtes que nous voulons prendre.

Station d’Yéring. — Dessin de Karl Girardet d’après une photographie.

C’est la qualité des herbes qui détermine l’emploi principal d’une station. Si les terres sont bonnes et les herbes abondantes, on y établira une station pour engraisser le bétail ; une station où les herbes sont de qualité inférieure sera destinée à l’élève du bétail ; et enfin une station où le terrain sablonneux produit une herbe courte et fine, recevra exclusivement des moutons.

De ces trois catégories, la première est la plus productive. Yéring, par sa position au bord d’une rivière et au pied des montagnes d’où descendent plusieurs petits ruisseaux, fait partie de cette catégorie. Chaque vallée, chaque colline un peu considérable, porte un nom que nous lui avons donné. Notre occupation de tous les jours est d’aller chevauchant de droite et de gauche pour voir ce qui se passe, et comme les troupeaux se groupent entre eux par petits mobs (groupes) de quinze à cinquante têtes et restent habituellement sur la portion de terrain qu’on leur a fait adopter, nous appelons ces mobs du nom du terrain qu’ils occupent et nous reconnaissons pour ainsi dire chacune des bêtes qui les composent.

Nous n’élevons pas chez nous, nous achetons des éleveurs de l’intérieur, par troupeaux de deux cents, de quatre cents et même de mille têtes, du bétail maigre âgé déjà de quatre à cinq ans. L’acclimatation de ce bétail est une opération importante ; car de même que les petits mobs retournent toujours à leurs pâturages habituels lorsqu’ils en ont été dérangés, de même aussi, laissés libres, ces grands troupeaux amenés de cent et de deux cents lieues de distance, retourneraient à la station d’où ils viennent, prenant par instinct la ligne la plus droite à travers les forêts, et traversant les rivières à la nage.

Pour habituer le nouveau bétail à nos pâturages, nous le faisons conduire chaque matin par des hommes à cheval sur la partie de notre run qui est la moins occupée : Ces hommes le surveillent pendant toute la journée et le ramènent le soir dans les enclos. Peu à peu ces animaux oublient leur ancienne station, et les hommes qui les gardent n’ont plus à s’inquiéter que de quelques bêtes qu’ils connaissent, et qui ont constamment la tête tournée dans la direction de leur ancienne contrée. Ce sont les plus maigres ; atteintes de nostalgie, elles ne mangent pas, et comme ce sont elles qui prennent toujours la tête et entraînent les autres, tant que leurs surveillants les voient, ils sont sûrs que le troupeau est au complet. Si celles-là manquent à l’appel, ils montent à cheval et les ont bientôt atteintes et ramenées. Pendant le premier mois, on garde strictement rassemblé tout le troupeau. On le laisse s’écarter peu à peu, à mesure qu’il commence à s’acclimater, et on laisse les groupes se former librement, mais toutefois, on a soin de les forcer à