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avec leur butin. Le capitaine, avant de s’éloigner, nous recommanda la plus grande surveillance. Les deux Indiens qui avaient pu s’échapper ne manqueraient pas, nous dit-il, de chercher une occasion de vengeance : il nous offrit le renfort de quelques soldats : nous en acceptâmes trois. Après nous avoir serré la main, il leva le camp pour continuer sa route vers Janos.

La journée était avancée ; nous nous arrêtâmes à la Boca-Grande où coule le rio Casas-Grandes. Notre caravane s’engagea ensuite dans un défilé assez long d’où elle sortit par une passe connue sous le nom de Boca-Chica (petite bouche).

Le 13 septembre, nous entrâmes dans une prairie ondulée, d’un aspect lugubre : elle avait été incendiée, peu de jours auparavant par des Indiens : c’est un moyen expéditif qu’ils emploient pour rendre leur chasse plus facile. Notre marche était retardée par l’embarras qu’éprouvaient nos montures à passer à chaque pas sur des tronçons d’arbustes à demi consumés. Cette scène de destruction nous rappelait l’horrible massacre des Apaches qu’on avait fait à peu de distance. Quoique le lieu du combat ne fût pas sur notre chemin, nous avions le désir de le voir, et un des soldats mexicains qui avait pris part à l’affaire nous y conduisit.

Une odeur de sang corrompu et dix-neuf peaux de bœuf couvrant confusément le sol, nous indiquaient la place où gisaient les victimes. Quand les Indiens ont été contraints de fuir sans avoir eu le temps d’enterrer leurs morts, ils reviennent et cherchent à protéger les corps contre la voracité des bêtes fauves : les deux Apaches qui avaient échappé aux Mexicains étaient revenus accomplir ce pieux devoir. Malgré l’horreur de ce spectacle, nous demandâmes à voir les restes de la fille du chef qui avait si vaillamment combattu. On souleva la peau de bœuf, et nous la contemplâmes avec un mélange de respect et d’admiration. M. de Dommartin détacha de ses oreilles des boucles en coquillages qu’il conserva en souvenir de cette pauvre fille du désert.

En examinant le corps du chef, nous vîmes un petit sac en peau suspendu à son cou. Il contenait huit morceaux d’or vierge, arrondis, au moyen de pierres, de manière à pouvoir se charger dans une carabine.


La passe de Guadalupe. — Le Mogoyon. — Mauvaise rencontre. — Le placer d’or de Nacayé. — Le rio Gila.

Le soir nous rencontrâmes un serpent à sonnettes mort, long de six pieds : il était fiché en terre avec une feuille de palmier. C’était probablement un signal des Apaches : nous nous empressâmes de le détruire ; il pouvait être dangereux pour nous.

Le 14 septembre, nous approchâmes du défilé de Carizalio : ici la nature prend un aspect grandiose. À droite s’étendait du nord au midi la sierra Florido ; puis le grand lac de Guzman. À gauche s’élevaient les Cordillères ; une brèche les sépare et ouvre une issue pour pénétrer dans la Sonora. Cet important passage porte le nom de passe de Guadalupe.

Chaque année, le président des États-Unis demande au Sénat et au Corps législatif l’établissement d’un chemin de fer qui, traversant ce défilé, permettrait de communiquer aisément avec les bords de l’océan Pacifique.

Le 15 septembre, nous nous arrêtâmes à Los Charcos ou Agua Rosia.

Le 16, nous rencontrâmes une caravane américaine venant du Nouveau-Mexique et se dirigeant vers la passe de Guadalupe pour se rendre par la Sonora en Californie, en suivant la route nommée par les Yankees « le chemin de la Bourse. » Nous campâmes à la grande source de Las Vacas.

Le 17 septembre, nous fîmes halte à l’Ojo de Patchitihu, source chaude que nos bêtes refusèrent de boire, et dont nous ne pûmes faire usage qu’en y mêlant du café.

Depuis la Boca-Grande jusqu’au désert de Patchitihu, le bois avait manqué ; nous n’avions rencontré que quelques palmiers mexicains, des cactus et du mescal. La scène changea subitement comme une décoration de théâtre. Nous étions arrivés devant la chaîne de montagnes du Mogoyon, riche en métaux et couverte de forêts impénétrables où se trouvent des cèdres, des sapins et des chênes verts de dimension colossale. Cette contrée contrastait agréablement avec la monotonie de tous les grands plateaux que nous avions parcourus. Mais nous apercevions dans toutes les directions des fumées de mauvais augure. Cependant il était impossible de reculer.

Le 18 septembre, à peine étions-nous entrés dans le cañon qui conduit aux montagnes que nous aperçûmes deux Apaches à cheval. Ils s’éloignèrent, à notre approche, en tournant une colline au grand galop, et reparurent une demi-heure après, à une grande distance de nous vers l’entrée d’une petite gorge. Ils paraissaient nous narguer. Plusieurs d’entre nous se mirent à leur poursuite ; les deux Indiens disparurent, comme par enchantement, pour reparaître de nouveau, quelques instants après, et cette fois derrière nous. Ce manége nous fit comprendre combien serait dangereuse une attaque sur un terrain qui nous était si peu connu. Nous fîmes halte et nous envoyâmes vers les Apaches notre vieux guide Tatatché qui parlait très-bien leur langue.

La première proposition de ces sauvages fut de nous vendre des chevaux. C’est la ruse ordinaire des Indiens pour pénétrer dans le camp des caravanes, compter les voyageurs, et calculer la chance de réussite en cas d’attaque. Quoique cette ruse nous fût connue, nous les autorisâmes à nous amener des chevaux.

Après le départ des deux Apaches, nous continuâmes à marcher à travers des montagnes de plus en plus boisées. J’ai vu dans ces forêts des genévriers en fruit dont le tronc égalait en grosseur celui des plus grands pommiers. Le mesquite était beaucoup plus grand que dans les prairies. Nous arrivâmes enfin au placer d’or de Nacayé.

Une belle source jaillissait en petites cascades de rocher en rocher. Pour ne pas être surpris par les Apaches, nous plaçâmes notre camp à quelque distance sur une petite élévation. Les wagons furent disposés en carrés et nous fîmes passer des chaînes de l’un à