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coq de roche, bel oiseau de couleur orange, orné d’une crête de même couleur. Les Indiens assurent avoir vu ces oiseaux s’assembler sur des pointes de rocher et danser en rond pendant longtemps. J’aurais voulu être déjà en chasse, non pour assister à ce galop un peu douteux pour moi, mais pour orner ma collection.

Le bon M. Costa m’avait accompagné chez tous les marchands de comestibles. Je fis remplir un flacon à large goulot de beurre salé et très-rance. J’achetai du biscuit, quelques livres de fromage, de l’huile et de la chandelle, Le tout pouvait bien peser vingt livres, Polycarpe en fut écrasé : quand je vins dîner, je le trouvai étendu dans la cour. J’allai ce soir-là coucher de nouveau chez M. O*****.

Le lendemain, après avoir pris le café, nous partîmes dans un canot armé de six Indiens ayant chacun une pagaie.

Nous débarquâmes. Mon nouvel hôte avait fait apporter à déjeuner ; il me quitta après avoir déposé pour moi un morceau de tortue et un de porc salé. Je pendis mon hamac seulement, me réservant de m’installer le lendemain.

Il s’agissait de faire cette fois de la photographie tout de bon. Je ne craignais pas de voir le soleil déranger les effets dont j’avais besoin, comme cela m’était arrivé dans mes excursions précédentes ; tous mes modèles étaient à découvert, et le soleil ne me manquait pas ; je n’avais que l’embarras du choix.

J’allai donc planter ma tente dans la grande case à claire-voie. J’y fis porter tout ce qui m’était nécessaire, mes glaces, mes flacons, qui tous alors étaient bouchés hermétiquement à l’émeri. Une fois tout organisé, et Polycarpe, qui avait été témoin de mes préparatifs, bien prévenu de ce qu’il allait avoir à faire, je me mis à parcourir mes domaines.


Impressions dans la solitude. — Travaux photographiques. — Peinture. — Indiens Mura.

Le lieu me parut plus intéressant, à mesure que je le connus mieux. La cascade fut une des premières études que je me proposai de faire. Le défrichement, fort étendu, suivait le cours de l’eau ; on avait respecté les arbres qui étaient sur les bords. De l’autre côté les bois étaient restés vierges ; ils s’étendaient fort loin et s’appuyaient à une montagne, peu élevée, mais enfin une montagne.

Ce qui m’étonnait pendant cette première visite, c’était un silence profond : la nature paraissait morte ; pas un cri ne se faisait entendre ; aucun oiseau ne volait ; aucun reptile à terre ; pas un insecte ; rien ! toujours rien ! Le soleil brillait pourtant, et j’étais au milieu d’une immense clairière pleine de fleurs, de baies de toute sorte.

Cette déception ne me fit pas abandonner mes projets pour le lendemain ; et quand j’eus vu tout ce dont j’avais besoin, je revins à la case où était ma tente, et où Polycarpe, couché sur le ventre, dormait en m’attendant.

La chaleur de ma case, dont la porte et la fenêtre se trouvaient au soleil couchant, me fit lever avant le jour, et après avoir tout préparé, je commençai l’éducation de Polycarpe sur ses devoirs d’aide photographe. Il portait ma chambre noire et son pied jusqu’à destination ; je le suivais portant mon parasol, ma montre et ma chaise de voyage. Lorsque j’avais choisi ma place, il devait, quand je revenais, faire mes préparatifs sous ma tente, me suivre pas à pas si le chemin était passable, ou me précéder, le sabre à la main, si les obstacles étaient trop difficiles à franchir. Il devait en outre, quand le soleil serait trop chaud, tenir sur ma tête un parapluie ouvert.

Tout cela fut parfaitement exécuté, quant au fond, mais la forme laissa toujours à désirer. J’étais souvent, et comme c’est nécessaire en photographie, obligé d’aller très-vite, surtout quand j’étais éloigné de ma tente. L’affreux Polycarpe n’en allait que plus lentement ; je n’ai jamais pu le faire courir une seule fois.

Je passai plusieurs journées à faire à peu près la même chose ; j’avais mis la peinture et la chasse de côté momentanément, et je me consacrais à la photographie dans des lieux où certainement personne n’en avait fait. Ce moyen peu artistique avait l’avantage, en reproduisant des détails qui eussent été trop longs à rendre, d’économiser mon temps.

Le colonel venait quelquefois me visiter ; il me faisait toujours présent de victuailles, toujours reçues avec reconnaissance. Ceux qui vivent à Paris, n’ayant d’autre inquiétude que de savoir s’ils dîneront au café Anglais ou au café de Paris, trouveront sans doute que je pense beaucoup à mes repas : j’y penserai bien davantage dans quelques mois, et le bon colonel B***** ne sera plus là pour mettre sur ma table tantôt un morceau de lard, tantôt des œufs de tortues, une poule, et mieux que tout cela, du pain !

Ma solitude, depuis quelques jours, avait été un peu plus animée. On avait envoyé quatre Indiens Mura pour travailler à la grande case. J’avais de nouveau quitté la photographie pour la peinture, n’ayant garde de négliger la bonne fortune qui me tombait dans la personne de ces Indiens.

Il s’agissait ensuite de pénétrer dans les bois du côté où la rivière était libre : car, presque de toutes parts, les arbres poussaient dans l’eau. Je n’avais d’autre moyen que de me déshabiller. Quant à Polycarpe, ce n’était pas une affaire. Sur l’autre bord, il fallait se frayer un passage au milieu des troncs, des branches, des épines.

La petite rivière ne fut pas un grand obstacle. Nous marchâmes plus d’un quart d’heure au soleil ; la chaleur était bien plus forte encore au milieu de ces amas desséchés. Enfin nous arrivâmes à la fin du défrichement maudit, et nous trouvâmes un sentier. Nous étions dans les bois.

Polycarpe portait mon sac de voyage, et moi, mes ustensiles de chasse. Il allait d’abord devant moi assez facilement : le sentier, peu encombré par les plantes, ne rendait pas le sabre très-nécessaire. Cependant plusieurs